Libellés

Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

jeudi, avril 12, 2007

85-87 Le tour du monde de la maçonnerie par Djénane Kareh Tager

UNIVERSALITÉ
Djénane Kareh Tager, « Le tour du monde de la maçonnerie », Actualité religieuse, hors-série no 11 (février 1998) 6-8.


Le tour du monde de la maçonnerie

Près de six milliards d'hommes... et sept millions de francs-maçons. C'est peu. Pourtant, disséminés sur tous les continents, ils habitent notre imaginaire. Car leur force occulte est sans rapport avec leur nombre. De l'Europe à l'Asie via l'Amérique, petit tour d'horizon.

Par DJÉNANE KAREH TAGER

Ils sont moitié moins nombreux que les juifs. Comme eux, ils sont accusés d'exercer une trouble influence sur les instances du pouvoir. « Sept millions de francs-maçons pour cinq milliards et demi d'hommes, ce n'est vraiment pas beaucoup pour un mouvement que l'on crédite parfois comme dirigeant le monde », ironise François Thual, auteur d'une Géo-politique de la franc-maçonnerie (Dunod, 1994). D'autant que la majorité se recrute dans la sphère anglo-saxonne, régie par le code de la maçonnerie régulière, c'est-à-dire reconnue par la Grande Loge d'Angleterre. Or celle-ci prohibe, en loge, les discussions portant sur des sujets sociaux, politiques ou religieux. La maçonnerie libérale, plus engagée dans la gestion de la Cité, compte pour sa part un demi-million de membres, essentiellement groupés dans les pays latins à dominante catholique : France, Belgique, Espagne. et quelques-unes de leurs anciennes colonies. Mais les mythes ont la vie dure...
A eux seuls, les Etats-Unis rassemblent quatre millions de maçons, et le Royaume-Uni un million. Ils sont trois cent mille au Canada, presque autant en Australie, soixante mille en Afrique du Sud. cinquante mille en Nouvelle-Zélande ou en Irlande. L'Écosse, berceau de la franc-maçonnerie, détient quant à elle le record du plus grand pourcentage de maçons par rapport au nombre d'habitants. Dans ces pays, les « frères », tous affiliés à la maçonnerie régulière, ont toujours ouvertement vécu leur appartenance à la franc-maçonnerie, laquelle ne fait pas l'objet de suspicions. Cependant, le vent tourne. Du moins en Grande-Bretagne, où l'avènement du gouvernement travailliste de Tony Blair, en mai 1997, a mis un terme à la quiétude des maçons, ouvertement accusés de soutenir le parti conservateur. Un projet de loi, qui a de fortes chances d'aboutir, obligerait la Grande Loge à rendre publics les noms de tous ses adhérents. La presse à sensation s'est déchaînée, accusant les francs-maçons de mainmise sur l'administration, la police ou Scotiand Yard. Et l'Eglise anglicane se met de la partie, certains de ses évêques déclarant que le déisme franc-maçon est incompatible avec la vie chrétienne.
A côté des pays anglo-saxons, l'Europe compte bien peu de francs-maçons. Persécutés et déportés par les nazis durant la Deuxième Guerre mondiale, bannis d'Espagne par le régime franquiste et du Portugal par la dictature de Salazar, interdits de séjour au-delà du Rideau de fer, les francs-maçons ont dû rebâtir de nouvelles organisations au fur et à mesure de l'avancée des démocraties. En France, ils seraient aujourd'hui 75 000, dont 45 000 affiliés au seul Grand Orient. Leur forte présence au sommet de la hiérarchie politique est indéniable : « 10 % de sénateurs et autant de députés sont francs-maçons, confirme François Thual. Enclavée à gauche jusqu’au milieu des années 70, la franc-maçonnerie s'est ensuite ouverte aux partis de droite. Elle est présente dans l'armée, dans les services de renseignements... Mais on ne peut pas, pour autant, affirpner que les francs-maçons aient une influence politique. D'abord, parce qu'ils se trouvent dans tous les partis, ensuite en raison de l'éclatement de la franc-maçonnerie française. Pourtant, du moins dans sa partie Grand Orient, celle-ci reste un laboratoire d'idées dont les productions accèdent facilement aux milieux décisionnaires. » Les lois sur la contraception ou sur l'avortement, les congés payés et la Sécurité sociale ont ainsi commencé par être des « idées » du Grand Orient.


En Europe de l'Est, l'effondrement du communisme a vite été suivi de l'arrivée des obédiences de l'Ouest. Les luttes d'influence entre celle-ci, sur fond de durcissement ultranationaliste, ont eu raison d'une éventuelle percée de la maçonnerie, volontiers accusée d'être un agent de l'impérialisme américain. Au début des années 90, la réactivation des Grandes Loges nationales s'est accompagnée de manifestations hostiles. En Tchécoslovaquie, par exemple, Vaclav Havel a été accusé par des foules déchaînées de « brader les murs (du pays) aux francs-maçons ».

Une profonde méfiance

C'est également par crainte d'un complot, de préférence judéo-maçonnique, que le monde arabe cultive une profonde méfiance à l'égard de la maçonnerie. Celle-ci n'est pas officiellement interdite. Mais aucune demande d'ouverture de loge n'est agréée par les autorités. Seules exceptions : le Liban, où se côtoient le Grand Orient et une obédience régulière, et la Jordanie, où subsistent quelques loges héritées de la présence britannique. « En règle générale, la franc-maçonnerie a du mal à percer en pays d'islam, constate François Thual. Dans le meilleur des cas, elle est considérée comme une incongruité, et dans le pire, comme un instrument de domination politique dirigé par les anciens colonisateurs occidentaux. »

En Afrique, en revanche, la fin de l'ère coloniale s'est accompagnée d'un essor. « Les réseaux maçonniques africains se conjuguent assez harmonieusement avec les réseaux d'affaires et politiques et sont en résonance avec les intérêts français, note François Thual. Le schéma est le même pour l’Afrique anglophone dans ses relations avec Londres. » Au milieu des années 80, François Mitterrand avait chargé un maçon du Grand Orient, Guy Penne, d'orchestrer les relations de la France avec l'Afrique.

Autre lieu de prospérité : l'Inde, où la rupture avec le colonisateur britannique n'a pas eu raison des loges mises en place par la Grande Loge d'Angleterre. Ce qui n'est pas le cas pour le Pakistan ou le Bangladesh qui, dès l'indépendance, ont mis un terme à ce reliquat de l'empire. Quant à l'Asie du Nord. elle a pris goût à la maçonnerie, probablement sous l'influence des Etats-Unis. Le mouvement est sensible en Corée du Sud, à Taiwan et au Japon, qui sont devenus terre de mission pour le Grand Orient « latin ». Faut-il préciser, en revanche, que les maçons n'ont droit de cité ni en Chine ni en Corée du Nord ? Le Vietnam, lui, hésite à leur entrouvrir ses portes.

L'Amérique latine (voir l'encadré page 7) a elle aussi connu un essor, notamment au Pérou, en Bolivie et au Brésil. « Les francs-maçons ont été persécutés d'une manière indirecte, car ils partageaient souvent les idées des anarchistes. En fait, la maçonnerie a été étroitement liée aux mouvements de libération », souligne Paulo Secar Fernandes Arede, directeur des éditions Aurora, qui consacrent de nombreux ouvrages à la maçonnerie.


Ce tour d'horizon soulève une dernière question : dans quels milieux la maçonnerie recrute-t-elle donc les frères ? Toutes les obédiences prônent un même principe égalitaire et affirment que la configuration sociologique de leurs loges est identique à celle de la société. François Thual sourit : « La maçonnerie s'est, la plupart du temps, adressée aux élites, sociales, morales et politiques, avoue-t-il. En France, elle recrute dans les classes moyennes et moyennes supérieures ; en Grande-Bretagne, plutôt dans les classes supérieures. La raison en est évidente : un minimum de bagage culturel est nécessaire pour s'intéresser à la franc-maçonnerie. » Il est loin, le temps des bâtisseurs de cathédrales !

Aucun commentaire:

Archives du blogue