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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

samedi, décembre 06, 2008

QUATRIÈME PARTIE

APPLICATIONS ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES DU MARXISME-LÉNINISME: COMMUNISME, BOLCHEVISME, TITISMES, ETC... *




Notre long développement sur le seul marxisme a pu faire oublier la distinction dont nous étions partis dans l'Introduction de cet ouvrage.

«Marxisme. communisme. bolchevisme, titismes, ces mots, écrivions-nous (1), méritent d'avoir un sens distinct. Leur relation, certes, est rigoureuse. Le marxisme. pourtant, n'est pas le communisme, qui mérite à son tour d'être distingué du bolchevisme. Maints esprits sont marxistes aujourd'hui, qui ne sont pas explicitement communistes... Et de même il existe des communistes fort peu marxistes, ou qui ne le sont que très inconsciemment, ce qui est une façon de ne pas l'être ou de l'être mal.»

Si notre attention s'est portée avec plus d'insistance sur le marxisme, plus étroitement entendu, c'est parce qu'il est l'âme des trois autres.

L'intérêt de ces distinctions, au double point de vue théorique et tactique, est qu'elles permettent d'observer et de comprendre beaucoup plus rigoureusement le dispositif des multiples aspects et le jeu des perpétuelles transformations de cet «ennemi du genre humain» trop sommairement désigné sous le seul terme de communisme.

Or, une longue expérience l'a prouvé, depuis des années une certaine forme d'anti-communisme s'est trouvée radicalement inefficace parce que les coups dont on prétendait l'accabler, étant mal ajustés, ricochaient, n'atteignant aucun point vital.

Les adversaires du communisme, ayant par nature le plus grand mal à saisir l'importance de son tour d'esprit dialectique (lequel constitue sa perversion fondamentale), ces adversaires ont cru et croient toujours préférable de porter leur attention ailleurs, s'épuisant en des réfutations «statiques» de formules ou de thèses que les vrais marxistes, en réalité, entendent différemment et s'accordent à trouver caduques ou secondaires.

D'où l'intérêt de savoir distinguer en cette affaire l'essentiel de l'accidentel, le principal du secondaire, de ne point prendre la cause pour l'effet, comme nous l'avons vu faire dans une étude, pleine de mérites, mais où la «dialectique» était présentée comme une conséquence de la théorie de l'aliénation (2), alors qu'elle commande et explique celle-ci (3). En résultat, le marxisme apparaissait fondé sur une série de négations a priori quasi-dogmatiques, ce qui, non seulement est faux, mais interdit une saine intelligence du vrai tour d'esprit marxiste et de son «intrinsèque perversion».

Sans oublier que pareilles méprises ont un effet déplorable, bien souvent exploité par les moscoutaires. Elles permettent à ces derniers d'accuser les prétendues réfutations «bourgeoises» du communisme ou du marxisme, d'être caricaturales, mensongères, stupides à l'occasion et pleines de mauvaise foi. On comprendra, dès lors, pourquoi nous avons tant insisté sur le marxisme, cherchant à bien faire saisir ce qui constitue son ressort suprême: la dialectique. L'essentiel est là, et là le secret de tout le système.

D'où la distinction que nous n'avons pas craint de proposer, bien qu'elle soit inhabituelle, entre le marxisme (strictement entendu, ramené à ce qu'il a vraiment d'essentiel) et le communisme (tel qu'on l'envisage le plus souvent).

En fait, c'est ce dernier que le plus grand nombre connaît surtout, et ce mot évoque pour lui: la systématisation des conflits sociaux dans leur phase suprême entre la bourgeoisie et le prolétariat; la critique (juste en partie) des antinomies engendrées par l'économie libérale; le primat de l'économie, la théorie de «la plus-value»; la collectivisation; l'internationalisme; la dictature du prolétariat, etc. Voilà ce qu'on entend d'abord par communisme.

Le sens dialectique est, au contraire, quelque chose de trop difficile à saisir, de trop opposé aux données du sens commun pour qu'on y pense comme au ressort principal du système.

Et tel est pourtant le rôle de la dialectique dans l'œuvre de Marx. Elle est l'essentiel, l'élément permanent. Le reste, bien qu'effectivement décrit, soutenu, professé par Marx, n'a qu'une valeur seconde et relative; à ce point qu'aujourd'hui la Révolution progresse, dans une immense partie de la planète, sans que les thèses du communisme, entendu comme nous le disons, soient explicitement professées.

En quoi les pages de Marx, par exemple, sur la lutte de la bourgeoisie et du prolétariat pourraient-elles intéresser les tribus de l'Afrique noire? Ce sont là des textes plus particulièrement réservés aux pays marqués par la civilisation industrielle. Mais est-ce à dire que la Révolution est sans prise sur les peuples qui ne présentent pas les caractères d'évolution sociale que l'on a pu constater en Occident depuis bientôt deux siècles?
En aucune façon.

Car la Révolution a quelque chose de plus essentiel, de plus permanent, de plus universel que sa systématisation du conflit prolétariat-bourgeoisie, c'est son tour d'esprit dialectique, la loi de contradiction, principe et âme même du marxisme.

Où il n'y a pas de prolétaires et de bourgeois, le marxisme saura trouver, voire susciter d'autres éléments de lutte et de contradiction. On peut même dire que le marxisme aujourd'hui a singulièrement développé la gamme de ses arguments dialectiques.

Quelles qu'en soient les formes innombrables, la contradiction (3 bis) demeure le signe spécifiquement marxiste de cet arsenal, et c'est pour cela que nous avons tant insisté sur ce point, tenant à mettre d'abord en relief l'essentiel et non les thèses d'application qui en dépendent, pour écrites qu'elles soient dans les œuvres de Marx. Ainsi, aujourd'hui en Afrique, c'est la contradiction colonisés-colonialistes qui sert d'argument à la Révolution beaucoup plus que la thèse de l'antinomie bourgeoisie-prolétariat. Révolutionnaire aussi, et marxiste encore, l'exploitation des contradictions qui ne peuvent que naître de l'exaspération nationaliste des peuples de couleur, plus ou moins en tutelle.

Révolutionnaires aussi et marxistes toujours, nos façons de considérer et de penser toutes choses en termes contradictoires: chrétiens-progressistes et chrétiens-intégristes. Le marxisme a besoin de cela. il en vit, il en fait l'élément de ses progrès. Et s'il est des domaines où pareilles antinomies n'existent pas, on peut être assuré que le marxisme saura en faire naître.

Car telle est son essence... ET TELLE EST LA RAISON DE NOTRE DISTINCTION ENTRE LA DIALECTIQUE QUI CONSTITUE L'ESSENCE MÊME DU MARXISME ET SES THÈMES D'APPLICATION LES PLUS COURANTS, QUI PASSENT, EN FAIT, AUX YEUX DE LA PLUPART, POUR ÊTRE LE COMMUNISME.


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Notes:

(*) Ancien numéro 94 de Verbe.

(1) Cf. supra, Introduction au présent ouvrage.

(2) Cf. supra, 2e partie, ch. II.

(3) Autrement dit, c'est pour permettre à la dialectique de «rendre à plein» (image du moteur) qu'il faut désaliéner, c'est-à-dire, écarter, supprimer tout ce qui peut être une entrave au plein essor de la puissance humaine.

(3 bis) Répétons encore qu'il s'agit là surtout d'une contradiction étalée dans le temps et qui n'est pas et ne saurait être quoi qu'en pensent les marxistes cette contradiction «logique» condamnée par le principe d'identité.

CHAPITRE I

LE COMMUNISME


Les vrais marxistes, les marxistes conscients sont assez rares, tandis que les communistes vulgaires pullulent. Or, ce à quoi s'attachent plutôt ces derniers, écrivions-nous (4), ce qui les meut, ce qui les «accroche», est, au fond, très différent (dans son accentuation) de ce qui est le ressort intime d'un marxiste authentique. D'où cet avantage de la distinction que nous proposons de faire entre le marxisme strict et le communisme vulgairement entendu: elle permet de distinguer et d'utiliser une faille dans le dispositif de l'ennemi.

Les communismes non marxistes

Nous nous sommes, en effet, amusés bien des fois, à ébranler des communistes ordinaires par la seule proposition du vrai marxisme. Ce qui est l'argument de ce dernier est trop différent de ce à quoi aspire l'autre pour qu'un choc, voire une rupture ne se produise, si l'on sait, comme il faut, expliquer le marxisme à maints communistes.

Car, en bref, le communiste ordinaire est communiste et agit en communiste dans la mesure où il croit encore, peu ou prou, à une vérité (au sens commun de ce terme) et, partant, à la vérité (ainsi entendue) de ce que professe, de ce que promet le «parti». Le communiste ordinaire comprend mal et risque d'accepter encore plus mal, la dialectique, s'il vient à comprendre ce qu'elle est. En cela, il reste assez proche de ces premiers socialistes, de ces premiers communistes, qualifiés d'utopiques par Karl Marx parce qu'ils se figuraient l'ordre social à promouvoir à la manière de Thomas More écrivant son «Utopie», type idéal, stable, définitif de perfection sociale.

Maints communistes pensent qu'une fois faite la révolution prolétarienne, les choses s'arrêteront en cet état, et qu'il leur sera, dès lors, possible de jouir en paix des gains acquis. Expliquez-leur à ce moment, l'idéal marxiste de la Révolution permanente, il y a de fortes chances pour que leur enthousiasme soit moins vif.

Le marxisme ne peut être l'ivresse que d'une intelligentzia, il est bien difficile, au contraire, de faire marcher des populations sans qu'elles aient un but clairement défini. La vieille chanson du kopeck d'augmentation par rouble (5), dont Lénine se moque, n'est pas sans charme pour celui qui travaille de ses mains. Les systèmes l'attirent peu, encore moins l'action pure! Il souhaiterait volontiers plus de sécurité, plus de paix, plus de bonheur pour lui et sa famille.

On comprend, dès lors, comme il est important de savoir distinguer ces deux points d'accentuation très différents. Si la propagande anti-communiste s'attachait à les voir un peu mieux, elle serait moins inefficace.


Les communismes avant et depuis Marx

Ne pas tenir compte du marxisme dans l'étude du communisme, ce serait méconnaître l'élément dynamique de celui-ci.

Il importe toutefois de savoir ce qu'est le communisme, vulgairement entendu, celui auquel croient les mécanos de Billancourt ou les mineurs du Pasde-Calais.

Or, dès qu'on aborde cette étude, on est frappé par la multiplicité des théories communistes élaborées au cours des siècles. On peut cependant noter deux courants communistes dans l'histoire.

- les communismes pré-marxistes,


- le communisme marxiste proprement dit, lequel peut être considéré sous deux aspects:

  1. la «critique» de la société libérale par Marx;

  2. ̊ les thèses communistes proprement dites du marxisme.


Qu'on ne s'attende pas à nous voir traiter longuement du communisme selon le plan que nous venons d'indiquer. D'une part, l'analyse des communismes pré-marxistes serait fort longue et ne présenterait souvent qu'un intérêt historique. Parfois même la fantaisie des théoriciens fut telle que notre travail perdrait, à les étudier, le caractère sérieux qu'il s'est toujours efforcé de maintenir. D'autre part, le communisme marxiste lui-même n'a vraiment tant d'importance aujourd'hui que parce qu'il est marxiste.

En tant que tel, le communisme n'exige pas les mêmes développements que le marxisme.

Instrument entre les mains de celui-ci - et pas le seul instrument, nous l'avons vu - il nous suffira d'indiquer ses grandes lignes pour faire ressortir le profit que peut en tirer une pensée radicalement révolutionnaire. Il n'est pas question de nier l'influence des thèses économiques de Marx sur les divers socialismes contemporains, ni même celle, plus diffuse, des communismes pré-marxistes.

Toute une gamme de théories, qui se donnent comme socialistes, remorque les divers types de communismes. Certaines se réfèrent explicitement à Karl Marx, alors qu'elles rêvent d'une société heureuse une fois pour toutes, grâce à la socialisation des biens et à la «civilisation industrielle».

D'autres, comme le «socialisme démocratique», se réclament plutôt de certaines écoles anglo-saxonnes (et maçonniques!)... alors que, dans la pratique, la conception dialectique et les méthodes d'action marxistes y tiennent une grande place.

D'autres encore en viennent à refuser ouvertement la lutte des classes et les conceptions de Marx, tout en prônant une demi-collectivisation, une progressive co-gestion des entreprises, etc. C'est le cas de l'actuelle «social-démocratie» allemande (6).

Enfin il est toujours resté un noyau de partisans du «socialisme français», écartelés entre leurs fidélités aux mille nuances - proudhoniennes, blanquistes, jaurésiennes - et le désir de suivre jusqu'au bout le «mouvement» du marxisme-léninisme.

Nous ne décrirons pas tant de systèmes en relations plus ou moins directes, plus ou moins affirmées, avec les thèses de Marx.

Ce qui nous intéresse pour l'instant, c'est de voir le marxisme utilisant le communisme comme une force de subversion particulièrement efficace.

Peu importe au marxisme authentique la teneur des communismes ou des socialismes, pourvu qu'il trouve en eux des possibilités de révolution, des luttes en germe, une «dialectique» sous-jacente dont il lui suffirait de «faire prendre conscience».

C'est par le communisme que le marxisme a commencé à se répandre dans le monde. C'est par lui encore qu'il s'infiltre dans la vie de plusieurs nations, spécialement des plus civilisées, de celles dans lesquelles une tradition peu ou prou chrétienne a maintenu une certaine stabilité, un certain ordre, une certaine hiérarchie des valeurs et des fonctions sociales.

Marx a vu dans le communisme le ferment le plus intense de désagrégation des sociétés, le terrain le plus propice pour susciter des «contradictions internes» et créer un climat de Révolution.

Aux grandes lignes du communisme, sommairement décrites pour en percevoir les possibilités d'utilisation dialectique, se limitera donc la présente étude (7).

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Notes:
(4) Cf. supra, Introduction au présent ouvrage.

(5) Soit 10 % environ. Symbole de la revendication pour un niveau de vie plus élevé.

(6) Cf. un article de La France Catholique du 20 novembre 1959: «La social-démocratie allemande abandonne le marxisme». Le parti social-démocrate d'Allemagne fédérale (le S.P.D.) vient en effet d'abandonner son ancien programme marxiste de 1925. Au récent Congrès de Bad-Godesberg, il reconnaît notamment la légitimité de la propriété privée, de la religion et d'un «ordre social équitable». Cependant l'Osservatore Romano des 7-8 janvier 1960, tout en constatant l'évolution des socialismes en Allemagne, en Angleterre ou au Japon, soulignait le caractère contingent, «électoral» de cette évolution. Et même si la «conversion» de ces socialismes est réelle, leur «conception de l'homme», en tant que socialiste (même non-marxiste), reste condamnée par l'Encyclique Quadragesimo Anno. Cette Encyclique n'a rien perdu de sa valeur. Même «tempéré», le socialisme est inconciliable avec le catholicisme.

(7) Il en sera de même pour le Bolchevisme. Les documents IV et V du présent ouvrage rappelleront schématiquement les luttes du communisme aux prises avec les hommes, les institutions, les peuples, le catholicisme. Ici nous essaierons de voir, à travers ces luttes, sordides ou cruelles, la continuité de la pensée marxiste cherchant toujours à obtenir, malgré les divergences tactiques, «la plus grande action révolutionnaire».


vendredi, décembre 05, 2008

A. - LE COMMUNISME Pré-MARXISTE.

Marx n'est pas l'inventeur du communisme, ni l'inventeur de la chose, ni l'inventeur du mot. Il s'est contenté de donner au communisme une impulsion nouvelle, agrémentant son argumentation de raisons prétendues scientifiques.

En réalité, le courant communiste est aussi vieux que le monde.

André Lalande le définit ainsi (8): «Toute organisation économique et sociale dont la base est la propriété commune par opposition à la propriété individuelle et l'intervention active de la société dans la vie des individus.» Et, se référant plus spécialement au «Manifeste» de Marx et Engels, il ajoute: «Doctrine caractérisée par l'abolition de la propriété foncière individuelle et de l'héritage; la socialisation des moyens de transport et de production; l'éducation publique; l'organisation du crédit par l'État et l'enrôlement des travailleurs sous la direction de celui-ci.»

Il est évident que ce sont là les constantes du système. Rêve d'une société où tout serait en commun, qui ne date pas du siècle dernier.

De Platon aux Quakers

«Pour faire de l'État quelque chose de vraiment universel, de vraiment un, Platon, déjà, ne sacrifiait-il pas tout ce qui peut donner à l'homme une vie propre dans la vie de l'État? Les terres de la République appartiennent en commun à tous les citoyens; il n'y a pas de propriété, il n'y a pas de famille; les femmes, comme les biens, sont communes. Les enfants appartiennent à la cité, sont élevés en commun. Comme il n'y a plus de famille particulière, la République elle-même devient une grande famille; chaque citoyen, dans tous les enfants d'un certain âge, reconnaît ses propres enfants. Tel est le plan qu'expose Platon dans La République ...» (9).

Et la purulence qui se manifestera tout au long des siècles chrétiens par l'abcès des hérésies, s'accompagnera, plus ou moins, en chacune d'elles, d'un véritable socialisme. Albigeois, Lollards, Fraticelli (10), etc., attaqueront la propriété privée, mépriseront la famille, cherchant à imposer leur système par la violence. Les souverains d'Europe, pour se défendre d'eux, devront les disperser par les armes.

Maints penseurs douteux, à partir surtout de la Renaissance, peindront de ces sociétés idéales où règnent entre les hommes la paix et la concorde par et dans le communisme.

C'est la Cité du Soleil du Calabrais Campanella (11), puis Bacon, «le père authentique du matérialisme anglais», comme l'appellent, non sans exagération, Marx et Engels (12). C'est en Angleterre encore, le chancelier Thomas More (13) et sa célèbre Utopie, dont le nom s'appliquera désormais aux ouvrages de ce genre, 'puis Harrington et son Oceana (14). Il n'est pas jusqu'à Luther qui n'ait poussé les paysans du Rhin à une révolte communiste contre les princes, quitte à les désavouer cruellement quand elle échouera? À la Réforme se rattachent aussi les collectivismes para-religieux des Anabaptistes, des Quakers, puis des Mormons (15).

Dire que ces divers socialismes n'eurent pas d'influence serait excessif. Ils ont cependant des caractères communs d'inefficacité. Tantôt ils procèdent d'un fanatisme de secte et leur anarchie les rend éphémères ou limités à un clan. Tantôt ils sont le fruit de rêveries platoniciennes et gardent un caractère plus philosophique que pratique.


Influence de la Révolution «française» sur le courant communiste

Il faudra la Révolution «française» pour que le vieux rêve collectiviste s'appuie sur une conception nouvelle de la vie et du monde et porte vraiment en germe le communisme.

Il y eût au XVIIIe siècle de véritables socialistes comme Morelly dont les théories s'apparentent au genre utopique.

Mais on trouve dans l'œuvre de Diderot tels passages qui annoncent le communisme et notamment l'implacable fatalité matérialiste qui pèserait sur la société (16). On peut découvrir, dans l'énorme mélange de cosmogonie, d'érotisme et d'imaginations ahurissantes que représente la production de Restif de la Bretonne (17), des passages où perce la menace d'un «grand soir».

Mais c'est l'œuvre de Jean-Jacques Rousseau qui porte en elle les sources du communisme révolutionnaire. Babeuf, Fourier, Saint-Simon sont ses disciples et bien des traits du communisme de Marx se dessinent déjà dans le Discours sur l'inégalité ou dans le Contrat Social. Jean-Jacques rêve d'édifier une société où tous les hommes seront égaux et abandonneront à la collectivité toutes leurs libertés.

Gracchus Babeuf ne manque pas d'en tirer les conséquences pratiques (18). Il veut doubler l'égalité politique telle que les Jacobins et Robespierre - autre disciple de Rousseau - la concevaient, par une complète égalité sociale. Et, logiquement, il prône le communisme.


Les «utopistes»

«Un communisme ascétique calqué sur Sparte fut la première forme de la nouvelle doctrine, écrit Engels. Puis apparurent les trois grands utopistes: Saint-Simon, Charles Fourier et Robert Owen».


Fourier (19)

L'œuvre de Fourier est le rêve d'un petit employé qui conçoit une société future à la taille de ses petites ambitions et passions insatisfaites. Au cours des siècles, la société évolue en trente-six périodes. Dans l'étape présente, il faut prévoir une répartition en «phalanstères» (20), sortes de palaces où la division du travail est si parfaite et l'économie si bien réglée qu'on y fait peu d'efforts et que toutes les passions s'y donnent cours, «harmonieusement» réglées par l'attraction universelle. «C'est à moi seul, s'écrie humblement Fourier, que les générations présentes et futures devront l'initiative de leur immense bon« heur.»




Saint-Simon (21)

En attendant cette époque mirifique, les ouvriers sans défense peinent sous le joug du libéralisme industriel, tandis qu'un autre socialiste, Saint-Simon, vante les bienfaits de la richesse procurée par l'industrie et la science, pour le bonheur de tous. Lui aussi se prend pour un messie - celui du néo-christianisme -. Cette espèce de religion philanthropique et naturaliste met les savants à la place des prêtres, tandis que les industriels, commerçants, banquiers forment une noblesse du profit.

Owen (22)

Robert Owen, en Angleterre, prône un véritable communisme auquel manque seulement la systématisation de Marx. Inventeur des crèches pour les petits enfants dont la mère travaille, il envisage une éducation totale par l'Etat et en vient à penser que les «nouvelles forces productives» qui, jusqu'alors, «n'avaient servi qu'à enrichir la minorité et à asservir les masses... étaient destinées à appartenir à la communauté et à n'être employées que pour le bien-être commun»... (23). C'est déjà un collectivisme des moyens de production.




Voilà donc, dans le fatras de leurs théories chimériques, des communismes pré-marxistes poussés fort loin dans leurs conséquences sociales.

La distinction sur laquelle nous insistons entre marxisme et communisme n'apparaîtra pas vaine en cet endroit.

Les communismes n'ont pas manqué ! La courte énumération que nous en avons faite ne peut donner qu'une idée très sommaire de leur contenu et de la variété des projets chimériques qu'ils ont engendrés.

Leur caractère commun est d'avoir été pris, par leurs adeptes, comme des fins dignes d'être poursuivies, tandis que la pensée marxiste ne verra dans le communisme qu'un moyen à utiliser en vue de la «Révolution permanente».


La «désaliénation» en germe dans les systltmes «utopiques»

Cependant on peut affirmer, sans excès, qu'ils préparèrent la voie à la subversion marxiste d'une façon négative. L'indépendance et le progrès personnels que représente la propriété; la stabilité et la continuité familiales, tout cela fut remis en question, détruit par les théories communistes, annihilé par leur collectivisme égalitaire.

Avant qu'elle ne soit consciemment voulue et enchâssée dans un système intellectuel, la «désaliénation» était en germe dans les communismes pré-marxistes.

D'ailleurs, Marx et Engels se gardèrent bien de sous-estimer l'importance de l'action que ces communismes accomplirent. «Ils ont attaqué la société existante dans ses bases», écrivent-ils (24). Et l'on comprend que c'est cela, d'abord et surtout, qui intéresse le marxisme. «Ils ont fourni par conséquent en leur temps», poursuivent Marx et Engels, «des matériaux d'une grande valeur pour éclairer les ouvriers ... Propositions positives en vue de la société future: suppression de l'antagonisme entre la ville « et la campagne, abolition de la famille, du gain privé et du travail salarié, et transformation de l'État en une simple administration de la production.»

«La route était ouverte », écrit encore Engels, qui allait nous conduire à L'EXPLICATION DE LA MANIÈRE DE PENSER DES HOMMES d'une époque donnée PAR LEUR MANIÈRE DE VIVRE, au lieu de vouloir expliquer, comme on l'avait fait jusqu’alors, leur manière de vivre par leur manière de penser.» (25)


Ériger un communisme de combat

Cet aveu est capital.

Les socialismes utopiques en eux-mêmes n'intéressent ni Marx ni Engels. Ce qui compte. c'est la «voie ouverte» vers un humanisme nouveau, pensée essentiellement pratique et conception purement dialectique de la vie et du monde. Encore s'agit-il de donner à ces communismes une armature idéologique suffisante.

C'est là qu'apparaît le sens de l'action qui, de Marx aux révolutionnaires contemporains, fit rarement défaut.

Des chimères il fallait tirer une théorie. Mais surtout, cette théorie n'aurait de chance d'être pleinement révolutionnaire que si elle représentait une force.

De là cette nécessité d'ériger en une force dissolvante de la société, telle qu'elle était au XIXe siècle, les effectifs anarchiquement déployés des socialismes «utopiques».

Le monde civilisé connaissait alors une industrialisation rapide, presque brutale. Le climat d'esprit libéral dans lequel elle se produisait faisait de cette évolution industrielle, qui aurait pu apporter un grand bien-être aux ouvriers, une cause de souffrance et d’esclavage.

La tactique consistait donc à ériger un communisme de combat à la place des socialismes de rêve, à utiliser les contradictions entre le capitalisme libéral et le sort des ouvriers, puis à systématiser ces contradictions en une théorie générale de la société. La «marxisation» du communisme se ferait ainsi de deux manières, rigoureusement liées l'une à l'autre, que nous allons examiner brièvement:


  1. La «critique» de la société libérale.

  2. L'énoncé des thèses communistes marxistes proprement dites: conception matérialiste dialectique de l'histoire ou primat de l'économie, accélération de l'évolution historique jusqu'au suprême conflit entre bourgeoisie et prolétariat, théorie de la «plus-value», collectivisation, lutte des classes à outrance pour obtenir ces buts, institution d'une dictature du prolétariat qui, peu à peu, par l'éducation communiste des masses et l'organisation économique amènera à une société sans classe.


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Notes:


(8) Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 147. Éd. P.U.F. 1947.

(9) Janet et Séailles, Histoire de la Philosophie, p. 950. Delagrave édit. 1921.

PLATON (428-347 av. J. C.). Disciple de Socrate. Fondateur de la célèbre école de philosophie: l'Académie. Il se fait, dans «La République», le patron d'un communisme aussi absolu que théorique. Richesse, famille, enfants, les citoyens ne possèdent rien en propre. «Ils ne sont plus que les membres, les yeux, les oreilles d'une société omnipotente», écrit M. l'abbé Blanc. (Dictionnaire de Philosophie). Et cependant une société si rationnellement «idéale» maintient l'esclavage et ferme les yeux sur les vices les plus honteux répandus en Grèce, même chez les philosophes.

(10) ALBIGEOIS: Secte répandue dans le midi de la France et jusqu'en Italie du Nord. Inspirée des théories manichéennes, elle condamnait le mariage et n'admettait que l'on exerce l'autorité que si l'on était en état de grâce! De là une anarchie, une licence de mœurs et une sorte de communisme.

LOLLARDS: Hérétiques anglais du même genre que les Albigeois.


FRATICELLI ou BIZOCCHI: Hérétiques du 14e siècle apparentés aux précédents. Répandus en Italie sous la direction de Dolcino, leur communisme allait jusqu'à la possession commune des femmes. Ils rayaient la luxure des péchés capitaux. Condamnés par Jean XXII (23 janvier 1377).

(11) CAMPANELLA: philosophe italien né en 1568 à Stilo, mort à Paris en 1639. Dominicain. Resta 27 ans en prison pour conspiration contre la domination espagnole. Remis en liberté par le pape Urbain VIII, il fut protégé par Richelieu.

Sa Cité du Soleil est un plan social imaginaire analogue à l'Utopie de T. More. Sa philosophie était surtout dirigée contre la scolastique. Il fut sur certains points un des maîtres de Bacon. Son œuvre variée contient d'excellentes idées à côté d'erreurs. Campanella défendit contre Machiavel le règne social de Jésus-Christ.

(12) BACON (Francis), né eu 1561, mort en 1626. Devint chancelier d'Angleterre sous Jacques Ier. Célèbre surtout pour avoir préparé la «pensée moderne» par certaines de ses vues. Avec quelque exagération, Engels le réclame comme ancêtre du matérialisme dialectique (Die Heillige Familie, Francfort 1845) en s'appuyant sur des passages comme ceux-ci: «La fin de la science que nous proposons n'est pas d'inventer des arguments mais des ARTS». (De Dignitate et Augimentis scientiarum, préambule).

- La fin de la science: «pouvoir avec succès et à propos douer d'une NATURE NOUVELLE un corps donné ou le transormer dans un corps d'une autre espèce» (Novum Organum, II, paragraphe 7).


Il proscrit dans les sciences la recherche des causes finales et ouvre la voie à Descartes et aux théories mécanistes. Malgré son ambition de réaliser les vieux rêves des alchimistes, Bacon n'est pas un athée. C'est à lui qu'on doit la fameuse parole: «Un peu de science éloigne de la religion, mais beaucoup de science y ramène».

(13) MORE ou MORUS (Thomas) né en 1478, mort en 1535, chancelier d'Angleterre sous Henri VIII. Erasme édita à Bâle, en 1518 le célèbre ouvrage de Thomas More: l'Utopie. (De optimo republicae statu, deque nova insula Utopia). Celui-ci, dans le goût de l'époque, est la description d'une société communiste, imitée de Platon, mais seulement en ce qui concerne la communauté des biens matériels et l'abolition de la propriété personnelle. Cependant Thomas More est mort pour la foi catholique, sous Henri VIII, dont il dénonça le schisme. Il a été canonisé.

(14) HARRINGTON (James) historien et sociologue anglais (1611-1677). Sa République d'Océan a est un gouvernement républicain idéal avec distribution égalitaire de la propriété.

(15) ANABAPTISTES: secte hérétique de paysans allemands (16e siècle). C'est elle que Luther fit écraser par la noblesse protestante à la journée de Frankenhausen (1525).


QUAKERS: secte anglaise du 17e siècle fondée par le cordonnier Fox, dont les partisans se livraient à des tremblements dans les prières publiques. Pratiquent l'égalitarisme et refusent de porter les armes. Une colonie quaker s'installa aux États-Unis.

MORMONS: secte fondée en 1830 aux États-Unis par Joseph Smith, puis Brigham Young. Devint un État (Lac Salé). Son communisme allait jusqu'à la polygamie. Celle-ci fut interdite par un bill en 1887.

(16) «Nous ne sommes, écrit-il, que ce qui convient à l'ordre général, à l'éducation et à la chaîne des événements. Voilà ce qui dispose de nous invinciblement...


«Mais s'il n'y a point de liberté, il n'y a point d'action qui mérite la louange ou le blâme; il n'y a ni vice, ni vertu, rien dont il faille récompenser ou châtier... mais quoique l'homme bien ou malfaisant ne soit pas libre, l'homme n'en est pas moins un ÊTRE QU'ON MODIFIE; c'est pour cette raison qu'il faut détruire le malfaisant sur une place publique.

«Il n'y a qu'une sorte de causes, à proprement parler, ce sont les causes physiques. Il n'y a qu'une sorte de nécessité, c'est la même pour tous les êtres...».

Le Neveu de Rameau, à partir de ce fatalisme cynique, tient quelques propos bien dignes d'un marxiste. La révolte contre l'ordre social...: (Si j'étais riche)... «je ferais comme tous les gueux revêtus. Je serais le plus insolent maroufle qu'on eut encore vu. C'est alors que je me rappellerais tout ce qu'on m'a fait souffrir, et je leur rendrais bien les avanies qu'ils m'ont faites. J'aime à commander et je commanderais. J'aime qu'on me loue et l'on me louera... La reconnaissance est un fardeau et tout fardeau est fait pour être secoué».


Le refus de l'éducation familiale des enfants! C'est l'affaire d'un précepteur».

Le refus de la patrie, la lutte des classes: «Il n'y a plus de c patrie, je ne vois d'un pôle à l'autre que des tyrans et des c esclaves».

Et jusqu'à l'attitude «dialectique»! «Je vais terre à terre. Je regarde autour de moi et je prends mes positions ou je m'amuse des positions que je vois prendre aux autres».

(17) «Il présagea, écrit M. Marc Chadourne, un état socialiste où tout étant commun entre égaux, chacun travaille au bien général». C'est à une future société ou «Fédération des Nations», socialiste ou communiste, que Restif de la Bretonne, sous le règne de Louis XVI auquel il demeura fidèle jusqu'au pied de l'échafaud, destina deux projets de règlements propres à toutes les nations de l'Europe pour « opérer une réforme générale des mœurs (l'Andrographe) et des lois (le Thesmographe) et par elles le bonheur du genre humain... Au terme de sa Politique et de sa Morale... le genre humain ne peut être heureux qu'en masse et par la morale publique source de la morale particulière...»

M. Chadourne l'appelle «l'apôtre de la société future et du communisme universel» (La Revue de Paris, juillet 1957, p. 21).

(18) Cf. Gracchus Babeuf, Adresse au peuple français: «Nous voulons l'égalité réelle ou la mort... La Révolution Française n'est que l'avant-courrière d'une Révolution bien plus grande, bien plus solennelle, et qui sera la dernière... Nous consentons... à faire table rase pour nous en tenir à elle seule... La loi agraire, ou le partage des terres fut le vœu instantané de quelques soldats sans principe. Nous tendons à quelque chose de plus sublime... La communauté des biens! Plus de propriété individuelle des terres, la terre n'est à personne... Qu'il ne soit plus d'autre différence parmi les hommes que celle de l'âge et du sexe...» (Cité par Mgr Delassus. Le Problème de l'heure présente. T. I, p. 565).

(19) Charles Fourier, né à Besançon (1772-1837).


(20) «Le Phalanstère sera un vaste «palace» où chacun se groupera selon ses affinités et ses goûts, changera de compagnie quand il le voudra, s'isolera s'il le désire... Les enfants feront table à part, coucheront au rez-de-chaussée , les parents auront d'autant plus de plaisir à les cajoler qu'ils les verront moins souvent. On circulera au Phalanstère par des rues-galeries, vitrées, chauffées en hiver, rafraîchies en été, toujours propres. On sera conduit aux champs en voiture..., la gastronomie sera élevée à la hauteur d'une science primordiale, d'une institution essentielle..., la propriété n'y est plus qu'une participation, sans pouvoir absolu de gestion, sur la totalité des biens de la Phalange».

(21) Claude-Henri comte de Saint-Simon (1760-1825) descendant du duc de Saint-Simon.
(22) Robert Owen (1771-1858), fondateur, en Angleterre, des premières coopératives de production et de consommation.

(23) F. Engels. Socialismes utopiques et socialisme scientifique.

(24) Manifeste du Parti communiste, p. 59. Édit. sociales, Paris.

(25) Socialismes utopiques et socialisme scientifique. Édit. sociales. Paris.

«Mais, écrit Engels dans le même texte. la vieille conception idéaliste de l'histoire qui survivait encore ne connaissait ni guerre de classe basée sur des intérêts matériels ni aucun intérêt matériel; la production et toutes les relations économiques ne recevaient qu'un regard dédaigneux et furtif, elles n'étaient que des éléments secondaires de l'histoire de la civilisation. Les faits nouveaux imposaient un nouvel examen de toute l'histoire passée; alors on vit que l'histoire n'avait été que l'histoire de lutte des classes, que ces classes guer« royantes étaient partout et toujours les produits des modes de production et d'échange, en un mot, des relations économiques ».




jeudi, décembre 04, 2008

B. - LE COMMUNISME MARXISTE:




1. Critique (sic) de la société libérale.

«Le XIXe siècle, dit-on, fut dominé par le libéralisme économique. Il engendra une grande misère pour les ouvriers. Il y eut heureusement la réaction de Karl Marx. Certes, ses critiques furent violentes, ajoute-t-on, et le communisme qu'il prôna est inacceptable pour un chrétien. Cependant, ses attaques contre le libéralisme décidèrent l'Église à s'occuper des questions sociales, à ne plus rester attachée à la bourgeoisie et à reconquérir les masses laborieuses.» Tel est le schème qu'on nous présente bien souvent.

Et comme nous ne distinguons pas toujours le communisme (avec son apparente philanthropie) du marxisme qui l'anime et en fait une machine de guerre révolutionnaire, nous croyons volontiers que Marx fut un pionnier social justement ému de la misère ouvrière. Ensuite, son initiative aurait «mal tourné» mais il resterait, dans sa «critique» de la société libérale, un grand bienfaiteur des humbles et des opprimés. Or, cela est faux pour deux raisons:

- historiquement, il est faux que Marx ait été le premier à dénoncer les méfaits du libéralisme économique;

- logiquement, sa «critique» n'en est une que dans le sens où l'on peut parler d'une «étude critique» du système libéral.

Marx ne «critique» pas le libéralisme pour le détruire ou pour trouver un remède à la misère ouvrière. Il dresse une «contradiction» comme force de combat en face du libéralisme. Il organise le prolétariat en force révolutionnaire. «Nous ne cherchons pas à guérir la plaie», aurait dit Engels, parlant de la «question sociale», «mais nous frappons sur la plaie.» Cela est tout différent d'une initiative philanthropique, même abusive dans ses conséquences, ou trop violente dans ses méthodes. C'est le contraire de la philanthropie... et, à plus forte raison, de la justice et de la charité (26).

Il est vrai de dire que Marx attaque le libéralisme.


On peut même affirmer qu'il y a de bons diagnostics dans son analyse des profits du capitalisme en ère libérale. «Avec le libéralisme, écrivions-nous dans «Le Travail» (27) la dure loi de l'offre et de la demande ne commence pas à jouer seulement à la sortie de l'usine, lors de la vente des produits. Elle est instaurée à l'entrée de l'usine, à l'embauchage de la main-d'œuvre.»
À cela Marx s'oppose. Et il dénonce les conséquences d'un tel mercantilisme sur la vie des ouvriers considérés comme des «machines» selon l'expression du libéral Molinari.


Ses attaques sont brutales. Sa polémique ne respecte rien. Elle ne répond à aucune des normes de prudence et de charité, voire même de justice, auxquelles un polémiste chrétien eut été tenu.

Il montre les ouvriers «exploités», l'immoralité, l'ivrognerie et les fléaux sociaux résultant de la misère. Il parle du travail des femmes et des enfants à l'usine, des horaires excessifs, etc. Tout cela est maintenant assez connu et répété partout pour qu'on n'ait pas à y insister. (28)

Nous n'apporterons qu'une précision chronologique. Le «Manifeste Communiste», premier document officiel du communisme de Marx est de 1847. Or, le «Tableau de l'état physique et moral des ouvriers dans les principales fabriques de France» fut présenté par le Docteur Vuillermé, devant l'Académie des Sciences morales et politiques en 1838 (29). Avant lui déjà, un catholique, Villeneuve-Bargemont, posait dès 1828 la question du prolétariat et la portait, en 1840, à la tribune de la Chambre. En Angleterre, M. Huskisson, ministre du Commerce, dénonçait déjà le travail des enfants et la cruauté du libéralisme dans une Déclaration à la Chambre des Communes, le 28 février 1826 (30). Marx n'a donc rien inventé. Le fléau avait été observé par des catholiques, voire par certains libéraux eux-mêmes, bien avant lui!

On objectera que, si les efforts des catholiques furent nombreux, les libéraux, eux, constataient le mal et ne faisaient rien pour y remédier. À quoi nous répondrons: Marx, non seulement ne fait rien, mais pousse le mal, volontairement, à son paroxysme. (31)

Nulle part dans son œuvre on ne trouve la condamnation du libéralisme au nom d'un principe. Bien au contraire, la concentration du capital en quelques mains et la prolétarisation de plus en plus poussée des ouvriers sont un «moment» de l'évolution dialectique de l'histoire. Pousser à sa puissance maxima le capitalisme libéral tandis qu'on susciterait contre lui la puissance croissante d'un prolétariat anonyme, sans propriété, sans autre morale que le triomphe de sa «classe», sans racines sociales, ne serait-ce pas la plus formidable «contradiction» que l'on pourrait susciter? Telle était la perspective de Marx qui «cherchant la Révolution, trouva le communisme». (32)

«Le communisme, écrivait-il, procède du capitalisme, se développe historiquement du capitalisme, est le résultat de l'action d'une forme engendrée par le capitalisme.» (33)

Mais déjà nous voici amenés à énumérer les thèses communistes de Marx, intimement liées dans ses œuvres à la critique (telle qu'il la conçoit) du libéralisme.


2̊. Les thèses communistes marxistes proprement dites:
Le marxisme, nous l'avons vu, est un matérialisme dialectique (34). II repose sur cette idée que tout se ramène à une lutte de forces matérielles. En conséquence, l'histoire n'est qu'une suite de conflits entre des forces économiques opposées. Aussi appelle-t-on encore le système de Marx un «matérialisme historique».

Selon lui, la royauté, avec sa conception d'une économie nationale, lutta contre la noblesse et son économie de type féodal. La Révolution «française» fut le triomphe de la bourgeoisie sur la noblesse. «Elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques» (35). Son caractère antireligieux viendrait de ce que le «grand centre international du féodalisme était l'Église catholique romaine.» (36)

«L'infrastructure» économique évolue en faveur de la puissance industrielle née de l'invention de la machine à vapeur. Le libéralisme permet l'enrichissement de ceux qui possèdent des capitaux: les capitalistes. «II fut prouvé, dit Engels parlant de l'œuvre de Marx, que l'appropriation du travail non payé était la forme fondamentale de la production capitaliste et de l'exploitation des ouvriers qui en est inséparable, que le capitalisme, alors même qu'il paie la FORCE DU TRAVAIL de l'ouvrier à la valeur réelle que, COMME MARCHANDISE, elle a sur le MARCHÉ, extrait néanmoins d'elle PLUS DE VALEUR qu'il en a donné pour l'acquérir, et que cette plus-value constitue en fin de compte la somme des valeurs d'où provient la masse du capital sans cesse croissante, accumulée dans les mains des classes possédantes.» (37).

On le remarquera, rien n'est changé avec le libéralisme, quant à la conception de l'homme qui travaille et quant à la dignité de son travail. L'un et l'autre considèrent seulement la FORCE de travail de l'ouvrier et n'expriment la valeur de ce travail qu'en termes de valeur marchande. On retrouve dans ce texte les théories typiques du communisme de Marx:

- LE PRIMAT DE L'ÉCONOMIQUE. Autrement dit, l'économie commande tout et tout se ramène à la possession de richesses matérielles.

- LA THÉORIE DE LA «PLUS-VALUE» selon laquelle le patron retient sur le travail de l'ouvrier un profit pur (que nous appelons le bénéfice). Selon Marx, la valeur d'un produit se ramène à la valeur marchande du travail qu'il a fallu pour le produire. Or, dans le prix de vente, le patron extrait plus de valeur - une «plus-value» - que celle du travail fourni. Ainsi l'ouvrier serait-il frustré, pour chaque objet qu'il fabrique, d'une partie de son travail.

- LA CONCENTRATION DU CAPITAL entre quelques mains résulterait du jeu de l'offre et de la demande. Ainsi, le capital, toujours bénéficiaire, aurait-il toujours plus de facilités pour s'accroître encore. Par une progression continue, les plus gros possédants réuniraient entre leur mains le capital entier, non seulement de tout un pays, mais de la planète entière. Qu'opposer à ce capitalisme libéral réduit à quelques possesseurs des richesses mondiales ?...

- LE PROLÉTARIAT ÉRIGÉ EN CLASSE, voilà la force dialectique à opposer au capitalisme libéral. De même QU'IL FAUT NÉCESSAIREMENT QUE LA CONCENTRATION DU CAPITAL SOIT POUSSÉE AU PAROXYSME POUR OUE LE COMMUNISME MARXISTE SOIT CONCEVABLE, de même, il faut que le travailleur soit bien un PROLÉTAIRE, arraché à tout et n'ayant aucun bien propre pour en faire cette FORCE RÉVOLUTIONNAIRE D'OPPOSITION.

Or, Marx s'efforce de démontrer que les progrès du machinisme amènent les «capitalistes» à se passer d'ouvriers qualifiés, payés trop cher, et à leur substituer des manœuvres mal payés, sans goût pour leur travail et sans esprit de «métier». Croit-on qu'il s'indigne? prétend-il les tirer, par son communisme, de cette situation malheureuse, leur redonner goût à l'ouvrage, les faire accéder à la propriété?

Non pas! Tout ce qui faciliterait un rapprochement patron-ouvriers, tout ce qui donnerait au salarié des garanties pour son gain et la stabilité de son emploi, tout cela arrête le jeu des contradictions, freine la Révolution et tend à maintenir la société en position «statique». Le communisme de Marx dresse donc le «prolétaire» contre le «bourgeois» et c'est la LUTTE DES CLASSES (38).

Cette lutte des classes est celle d'un prolétariat international en lutte contre le capitalisme international aux mains d'un petit nombre.

«La grande industrie, écrivait Karl Marx, agglomère dans un seul endroit une foule de gens inconnus les uns des autres. La concurrence les divise d'intérêts. Mais le maintien du salaire, cet intérêt commun qu'ils ont CONTRE leur maître, les réunit dans une même pensée de résistance-coalition... Les coalitions, d'abord isolées se forment en groupes, et en face du capital toujours réuni, le maintien de l'association devient plus nécessaire pour eux que celui du salaire... Dans cette lutte - VÉRITABLE GUERRE CIVILE - se réunissent et se développent tous les éléments nécessaires à une bataille à venir. Une fois arrivée à ce point-là, l'association prend un caractère politique.» (39)

L'issue de ce combat sera l'écrasement total du capitalisme et la DICTATURE DU PROLÉTARIAT (40).

«La victoire de la dictature du prolétariat. écrit Staline (41), signifie l'écrasement de la bourgeoisie, la démolition de la machine d'État bourgeoise, le remplacement de la démocratie bourgeoise par la démocratie prolétarienne. Voilà qui est clair. Mais quelles sont les organisations à l'aide desquelles ce travail colossal peut être accompli? Que les anciennes formes d'organisation du prolétariat qui se sont développées sur la base du parlementarisme bourgeois ne puissent suffire à ce travail, cela n'est guère douteux...

Les Soviets sont la nouvelle forme d'organisation du prolétariat.»

Les Soviets sont les organisations «de masse» du prolétariat. «Le pouvoir des Soviets, réunissant les pouvoirs législatif et exécutif en une seule organisation d'État, et remplaçant les circonscriptions électorales territoriales par des unités de production fabriques et usines - relie directement les ouvriers et, d'une façon générale, les masses travailleuses à l'appareil administratif de l'État, leur apprend à gouverner le pays.»

«...Lénine dit que... la République des Soviets... est la seule forme capable d'assurer la transition la plus indolore du socialisme.» (42)

Les biens des capitalistes appartiendront alors à l'ensemble des prolétaires. Ce sera la COLLECTIVISATION générale.

Parmi les mesures de collectivisation nous relevons:


1. Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l'État;

2. Impôt fortement progressif;

3. Abolition de l'héritage;

4. Confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles (43);

5. Centralisation du crédit entre les mains de l'État au moyen d'une banque nationale dont le capital appartiendra à l'État et qui jouira d'un monopole exclusif;

6. Centralisation entre les mains de l'État de tous les moyens de transport;

7. Multiplication des manufactures nationales et des instruments de production...

8. Travail obligatoire pour tous: organisation d'armées industrielles, particulièrement pour l'agriculture» (44)... etc...

Peu à peu l'État, tout-puissant pendant la dictature du prolétariat, se détruira lui-même par suite de l'organisation collectiviste toujours croissante jusqu'au moment où il disparaîtra entièrement pour faire place à l'idéal de LA SOCIÉTÉ FUTURE (45).

La société sans classe

La société sans classe telle est la perspective offerte par le communisme marxiste aux masses qu'il veut séduire.

Après les luttes révolutionnaires qui lui sont demandées, le prolétaire ne comprendrait guère sa «libération» autrement que par l'instauration d'un type de vie sociale où les rêves du matérialisme vulgaire se trouveraient enfin réalisés.

Le «Manifeste communiste» en parle peu. «Si le prolétariat», disent Marx et Engels «dans sa lutte contre la bourgeoisie, se constitue forcément en classe, s'il s'érige par une révolution en classe dominante... (s'il) détruit par la violence l'ancien régime de production, il détruit en même temps ... les conditions de l'antagonisme des classes, il détruit les classes en général...»

«À la place de l'ancienne société bourgeoise avec ses classes... surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous.» (46)

Ne nous voilà guère avancés! Comment se présentera cette fameuse «société sans classe» où la production des biens sera telle que tous les besoins seront satisfaits sans que soit utile une organisation politique?

Au contact des choses commencent les difficultés. On aimerait savoir quelles seront ces difficultés et comment on les vaincra pour le plus grand bonheur collectif.

Lénine, dit-on, ne promettait guère la «société future» avant mille ans! Mais il est des théoriciens plus optimistes.

Soit donc, une des descriptions les plus poussées qui aient été faites de la société sans classe: celle de Boukharine «Au début, écrit-il, pendant les vingt ou trente premières années, peut-être faudra-t-il établir certaines règles, par exemple: tels produits seront seulement délivrés d'après certaines indications sur le livret de travail ou contre présentation de la carte de travail. Mais plus tard, une fois la société communiste consolidée et développée, tout sera superflu. Tous les produits seront abondants... Chacun retirera de l'entrepôt communal ce dont il a besoin et tout sera dit. Vendre son surplus? Personne n'y aura intérêt, car chacun pourra prendre ce qu'il lui faut, de plus l'argent n'aura pas de valeur. Donc, au début de la société communiste, les produits seront vraiment distribués d'après le travail accompli et, plus tard, tout simplement d'après les besoins des membres de la communauté...» (47).

On aimerait avoir quelques détails sur cette «satisfaction des besoins de chacun».

Au chapitre des moyens de transport par exemple, aurons-nous droit chacun à une «Vespa»? aurons-nous une «Rolls» personnelle?

Au chapitre de l'habillement, serons-nous vêtus d'un «bleu de travail» ou d'un habit sur mesures de chez le bon faiseur avec chemises de soie, brodée à nos initiales? Nous voyons mal toute une société vêtue de brocards et dont tous les membres mèneront une vie opulente. En revanche, un peuple entier vêtu de guenilles est terriblement facile à imaginer.


Lénine aurait parlé d'une «prise au tas». Mais l' «entrepôt communal» cher à Boukharine contiendra-t-il les produits de la seule «commune»? Si la production est spécialisée et centralisée selon des plans à l'échelle mondiale, il est normal que l'entrepôt communal soit ravitaillé de l'extérieur. Il faudra donc des transports, des bureaux, des calculateurs et une administration d'autant plus importante que la centralisation des produits sera plus poussée et la planification plus largement établie.

Or, Boukharine affirme que la «société communiste éliminera le parasitisme», c'est-à-dire les citoyens non-producteurs. Par ailleurs, la centralisation crée l'intermédiaire. Et l'intermédiaire n'est pas précisément un producteur! On sera bien obligé de créer des offices de répartition. Voilà Boukharine au pied du mur. «La direction centrale, écrit-il, incombera à divers bureaux de comptabilité et offices de statistiques. C'est là que, jour par jour, seront tenus les comptes de toute la production et de tous les besoins.»

«La direction centrale»... voilà qui sonne bien mal dans la bouche de ceux qui prétendent faire disparaître l'État? Aussi la conclusion nous paraît-elle surprenante.

«Il n'y a plus d'État. Plus de groupe ou de classe qui soit au-dessus des autres. De plus, dans ces bureaux de comptabilité aujourd'hui travaillent ceux-ci, demain ceux-là... La bureaucratie, le fonctionnarisme permanent disparaîtront. L'État sera mort.»


Acceptons-en l'augure. Il faut calculer et répartir les produits du monde entier, sans État et sans bureaucratie, mais alors comment vont fonctionner les «bureaux» de Boukharine? Comment fonctionnera cette «direction centrale», chargée de tout calculer, en vue de la «prise au tas», si, comme Boukharine l'affirme, «il n'y a ni prolétaires, ni capitalistes, ni ouvriers salariés; il n'y a que de simples humains, « des camarades...»? Comment concilier dans une «société sans classe» la coexistence des producteurs et des distributeurs et calculateurs?

Pour échapper à l'écueil des inégalités de fonctions sur lequel vient se briser le système, on a recours à un stratagème: la rotation sociale: «Aujourd'hui j'administre, je calcule combien il faudra de pantoufles ou de petits pains pour le mois prochain; demain, je travaille dans une savonnerie. La semaine suivante, peut-être, dans une serre de la ville, et trois jours après dans une station électrique... Cela ne sera possible que lorsque tous les membres de la société jouiront d'une instruction convenable.»

Admettons encore qu'on arrive à ce degré «d'instruction convenable». Il reste que les exemples proposés par Boukharine sont trop mal choisis. Que penserait-on du cycle suivant: «Aujourd'hui je suis chirurgien, demain artiste peintre, la semaine suivante gardien de salle dans un hospice de vieillards; un mois plus tard je suis professeur d'Université, puis soutier dans un grand navire, puis star de cinéma, puis plongeur dans un restaurant? Car telle est la vie, telles sont les inégalités réelles. Si la justice doit s'établir par rotation sociale, il faut faire se compenser les points extrêmes.

Et si l'on admet la «rotation sociale», peut-on savoir qui organisera le roulement? Qui me dira: aujourd'hui sois mineur et demain artiste lyrique? Nous craignons fort qu'il y ait des mécontents et que, comme à la caserne, ce soit souvent les mêmes qui se plaignent de faire les corvées!

Mais au moins, à la caserne, le sergent de semaine est là, soutenu par l'adjudant, renforcé à son tour par le capitaine, etc... qui veillent, ordonnent, et s'il le faut, punissent.

Qui veillera, qui ordonnera, qui pourra bien punir dans une société qui, par définition et principe, n'aura ni chefs, ni gendarmes. Société sans État! Encore nous abstenons-nous de toute prévision désobligeante sur la valeur personnelle des membres de la société communiste.

S'il est vrai, comme le prétend le vieil adage que «ce qui est possédé en commun est l'objet d'une commune négligence», que sera-ce quand n'importe qui désignera n'importe quel autre pour faire n'importe quoi?

Marxiste ou non, la «société sans classe» est une de ces utopies que la connaissance des hommes, fût-elle sommaire, ne peut permettre d'envisager sans en rire.

Car, à la vérité, le communisme c'est cela. Nous disons bien: le communisme, l'idéal de la société sans classe. Et nous jugeons passée la dictature du prolétariat.

Or, ce «paradis» d'un nouveau genre, comment Lénine en parle-t-il? «Toute la société, dit-il, ne sera plus QU'UN GRAND BUREAU ET UN GRAND ATELIER.»

Voilà tout ce que l'illustre tacticien a trouvé!

Atelier et bureau, même pas l'unité. Karl Marx n'avait-il pas écrit: «Ce n'est que dans la société communiste, lorsque la résistance du capitalisme aura déjà définitivement été brisée, que les capitalistes auront disparu et qu'il n'y aura plus de classes, que l'État cessera d'exister et que l'on pourra parler de liberté.»? Quand il n'y aura plus de classes... et déjà deux classes vont s'affronter!

Quand, dans la société communiste, le travailleur du fond de la mine passera devant les bureaux qu'on suppose coquets, bien aérés et dotés des derniers perfectionnements scientifiques, peu lui importera de savoir que celui qui tient le porte-plume possède la même fortune ou la même auto.

Alors seront suscitées de nouvelles «contradictions» sociales. La «société sans classe» n'aura été que le revêtement transitoire, fixiste, statique de la «Révolution permanente».

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Notes:

(26) Cf. les textes de Marx, Engels, Rosenberg, H. Lefèvre et Liou-Chao-tchi que nous avons cités à propos de la «désaliénation» et de l' «humanisme du travail». Cf. supra, p. 86, 87, 99 et 100.

(27) P. 109.

(28) «Les conditions d'existence de la vieille société sont déjà abolies dans les conditions d'existence du Prolétariat. Le Prolétariat est sans propriété, ses relations de famille n'ont rien de commun avec celles de la famille bourgeoise. Le travail industriel moderne qui implique l'asservissement de l'ouvrier par le Capital... dépouille le prolétariat de tout caractère national. Les lois, la morale, la religion sont pour lui autant de préjugés bourgeois, derrière lesquels se cachent autant d'intérêts bourgeois ». Marx-Engels. Manifeste du Parti Communiste.

(29) «Chez les tisserands de Sainte-Marie-aux-Mines, beaucoup sont maigres, chétifs, scrofuleux, ainsi que leur femme et leurs enfants. Il est vrai que l'on fait dévider les trames à ces dernier dès qu'ils ont atteint l'âge de cinq à six ans, et qu'on les retient chaque jour à ce travail beaucoup plus qu'il ne conviendrait. J'en ai vu de quatre ans et demi qui faisaient déjà ce métier». Dans cette même région les pauvres ne mangent de la viande que «tous les quinze jours et plus rarement encore». À Lille, «un peu plus du sixième de la population totale du département était alors inscrit sur les registres du Bureau de Bienfaisance... C'est de beaucoup la plus forte proportion d'indigents qui ait été constatée en France dans un département entier», un des plus prospères cependant, ajoute plus loin Vuillermé.

«Les logements sont généralement misérables chez les tisseurs de Lille: dans leurs caves obscures, dans leurs chambres qu'on prendrait pour des caves, l'air n'est jamais renouvelé, il est infect, les murs sont plâtrés de mille ordures...». Cf. Vuillermé cité par Deslandres et Michelin. Il y a cent ans. Édit. Spes, Paris.

(30) «Nos fabriques de soieries emploient des milliers d'enfants qu'on tient à la tâche depuis trois heures du matin jusqu'à six heures du soir. Combien leur donne-t-on par semaine? un shilling et demi, trente-sept sous de France, « environ cinq sous et demi par jour, pour être à la tâche dix-neuf heures par jour, surveillés par des contremaîtres munis d'un fouet, dont ils frappent tout enfant qui s'arrête un instant» Huskisson, ministre du Commerce. Déclaration à la Chambre des Communes, le 28 février 1826.

(31) Cf. Lénine: «Presque tous les socialistes d'abord et en général les amis de la classe ouvrière ne voyaient dans le prolétariat qu'une plaie; ils voyaient avec effroi cette plaie s'agrandir à mesure que se développait l'industrie. Aussi cherchaient-ils tous les moyens d'arrêter le développement de l'industrie et du prolétariat. Marx et Engels mettaient, au contraire, tout leur espoir dans la croissance continue de ce dernier. PLUS IL Y A DE PROLÉTAIRES, PLUS GRANDE EST LEUR FORCE EN TANT OUE CLASSE RÉVOLUTIONNAIRE, PLUS LE SOCIALISME EST PROCHE ET POSSIBLE.» Karl Marx et sa doctrine, p. 42, Édit. sociales, Paris.

(32) Cf. Rappoport: «Sur le terrain économique, la société moderne tend à la concentration de la production. Les grandes « entreprises, plus viables et plus profitables, absorbent de plus en plus les petites et moyennes entreprises. L'usine gigantesque supprime le petit atelier, le grand commerce domine la petite boutique, la haute banque triomphe de la petite banque. LE COMMUNISME EST LA CONCLUSION DE CETTE CONCENTRATION».

(33) Cité par L. de Poncins. L'énigme communiste, p. 235.

(34) Cf. supra, 2e partie, ch. I.

(35) Marx-Engels: Manifeste du Parti Communiste, p. 46. Édit. sociales.

(36) F. Engels: Socialismes utopiques et socialisme scientifique.

(37) F. Engels: Opus. cit., p. 56 et p. 59.

(38) «L'histoire est jalonnée par ces luttes constantes des classes et ces secousses sociales profondes. Là comme partout ailleurs, la nature agit par bonds, par saccades, par révolution.» (Marcel Cachin: Sciences et religion, p. 45. Édit. sociales, Paris).

(39) Misère de la philosophie, p. 159-160. Bureau d'éditions, 1937.

(40) «Une révolution est certainement la chose la plus autoritaire qui soit, un acte par lequel une partie de la population impose sa volonté à l'autre partie au moyen de baïonnettes, de fusils, de canons - moyens autoritaires s'il en fut - et le parti qui a triomphé doit maintenir son autorité par la crainte que ses armes inspirent aux réactionnaires.» (Engels, cité par Lénine: L'État et la Révolution, t. IV. p. 2).

- André Marty demandait. en 1924, dans son programme électoral: «Le massacre de la bourgeoisie, l'exécution de tous les fonctionnaires, l'établissement de la dictature du prolétariat, la prise en charge immédiate de la justice. de l'armée et de la police par le Parti communiste».
(41) Des principes du léninisme, p. 39. Edit. sociales. Paris, 1945.


(42) Lénine: Œuvres complètes, t. XXII. p. 131. Édit. russe. « Thèses sur l'Assemblée constituante» (référence de Staline).

(43) Entendre par là tous ceux qui ne voudraient pas du communisme (note de La Cité catholique).

(44) Manifeste du Parti Communiste, p. 48. Édit. du centenaire, C.D.L.P., Paris.

(45) Dans la dictature du prolétariat... «il subsistera encore une certaine inégalité entre les hommes, due au développement insuffisant des forces productrices sociales. C'est seulement dans la deuxième période que la société pourra écrire sur ses drapeaux: de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins». (Marx et Engels: Critique des programmes de Gotha et de Erfurt).

(46) Manifeste du Parti Communiste, p. 49. Édit. du centenaire, C.D.L.P., Paris, 1948.

(47) Boukharine: A.B.C. du Communisme.


mardi, décembre 02, 2008

C. - BRÈVE RÉFUTATION DE QUELQUES THÈSES COMMUNISTES.

On ne réfute pas le marxisme comme une autre doctrine, avons-nous dit, parce qu'il ne se présente pas comme une affirmation mais comme une «dialectique», une pratique, un «guide pour l'action».

Mais on peut réfuter les communismes. Qu'ils soient le rêve idéal des «utopistes» ou la transposition fixiste d'une «société sans classe», dont la perspective facilite la «Révolution permanente», dans l'un ou l'autre cas ils offrent des aperçus de la vie sociale communiste d'où peuvent être dégagés certains caractères permanents. Nous nous attacherons à quelques-uns d'entre eux, sans prétendre pour cela à une réfutation détaillée des systèmes, qui dépasserait l'objet de cet ouvrage.





  1. La société communiste borne le destin de l'homme à la vie terrestre.

  2. La propriété privée personnelle y est considérée comme illégitime.

  3. La famille disparaît plus ou moins selon les systèmes.

  4. Les groupements naturels et corps intermédiaires sont pulvérisés.

  5. L'État lui-même tendrait à disparaître après avoir été l'instrument de la collectivisation (surtout dans le communisme marxiste).


Ces questions touchant de près à la morale, tant privée que publique (48), aucun jugement ne peut avoir plus d'autorité en la matière que celui des Souverains Pontifes.

Nous nous bornerons donc, ici, à rappeler pourquoi l'Église condamne les COMMUNISMES (même non marxistes) en tant que tels et quand même ils ne professeraient ni haine ouverte pour la religion, ni inversion de la pensée.

Enfin, sans nier les succès techniques des sociétés où l'on a essayé du communisme, nous verrons comment les Papes jugent les résultats du collectivisme pour la finalité de l'homme aux plans naturel et surnaturel.

1. - La société communiste borne le destin de l'homme à la vie terrestre

«Ce que la raison et la foi disent de l'homme, écrivait Pie XI dans l'Encyclique Divini Redemptoris, nous l'avons résumé, quant aux points fondamentaux, dans l'Encyclique sur l'éducation chrétienne (49). L'homme a une âme spirituelle et immortelle; il est une personne, admirablement pourvue par le Créateur d'un corps et d'un esprit, un vrai «microcosme», comme disaient les anciens, c'est-à-dire un petit monde qui vaut (à lui seul) beaucoup plus que l'immense univers inanimé. En cette vie et dans l'autre, l'homme n'a que Dieu pour fin dernière; par la grâce sanctifiante, il est élevé à la dignité de fils de Dieu et incorporé au royaume de Dieu, dans le corps mystique du Christ. C'est pourquoi Dieu l'a doté de prérogatives nombreuses et variées: le droit à la vie, à l'intégrité du corps, aux moyens nécessaires à l'existence; le droit de tendre à sa fin dernière dans la voie tracée par Dieu; le droit d'association, de propriété et le droit d'user de cette propriété... (50)

«... C'est dans la société, ajoutait Pie XI, que se développent toutes les aptitudes individuelles et sociales données à l'homme par la nature, aptitudes « qui, dépassant l'intérêt immédiat du moment, reflètent dans la société la perfection de Dieu, ce qui est impossible si l'homme reste isolé. Ce dernier but de la société est lui-même, en dernière analyse, ordonné à l'homme, afin que, reconnaissant ce reflet des perfections divines par la louange et l'adoration, il le fasse remonter à son Créateur. Seul l'homme, seule la personne humaine, et non la collectivité en soi, est doué de raison et de volonté moralement libre... (51)

«À l'homme, à la personne humaine s'applique vraiment ce que l'Apôtre des Gentils écrit aux Corinthiens sur l'économie du salut: «Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu.» (52) Tandis que le communisme renversant l'ordre des relations entre l'homme et la société, appauvrit la personne humaine, voilà les hauteurs où l'élèvent la raison et la révélation! (53)

Comment le communisme appauvrit-il la personne humaine, Pie XI le montrait au début de cette même Encyclique.

«... Le communisme dépouille l'homme de sa liberté, principe spirituel de la conduite morale, il enlève à la personne humaine tout ce qui constitue sa dignité, tout ce qui s'oppose moralement à l'assaut des instincts aveugles. On ne reconnaît à l'individu, en face de la collectivité, aucun des droits naturels à la personne humaine, celle-ci, dans le communisme n'est plus qu'un rouage du système. Dans les relations des hommes entre eux, on soutient le principe de l'égalité absolue, on rejette toute hiérarchie et toute autorité établie par Dieu, y compris l'autorité des parents. Tout ce qui existe de soi-disant autorité et subordination entre les hommes « dérive de la collectivité comme de sa source première et unique. On n'accorde aux individus aucun droit de propriété sur les ressources naturelles ou sur les moyens de production, parce qu'ils sont l'origine d'autres biens, et que leur possession entraînerait la domination d'un homme sur l'autre. Voilà précisément pourquoi ce genre de propriété privée devra être radicalement détruit, comme la première source de l'esclavage économique... (54)

«Que deviendrait donc la société humaine fondée sur de tels principes matérialistes? Elle serait une collectivité sans autre hiérarchie que celle du système économique. Elle aurait pour unique mission la production des biens par le travail collectif et pour unique fin la jouissance des biens terrestres dans un paradis où chacun donnerait selon ses forces et recevrait selon ses besoins». C'est à la « collectivité que le communisme reconnaît le droit, ou plutôt le pouvoir discrétionnaire, d'assujettir les individus au joug du travail collectif, sans égard à leur bien-être personnel, même contre leur propre volonté, et, quand il le faut, par la violence. L'ordre moral, aussi bien que l'ordre juridique, ne serait plus, dès lors, qu'une émanation du système économique en vigueur; il ne serait fondé que sur des valeurs terrestres, changeantes et caduques. Bref, on prétend ouvrir une ère nouvelle, inaugurer une nouvelle civilisation résultant d'une évolution aveugle: une humanité sans Dieu!»

«... Voilà le nouvel Évangile que le communisme bolchevique et athée prétend annoncer au monde comme un message de salut et de rédemption! Système rempli d'erreurs et de sophismes, opposé à la raison comme à la révélation divine; doctrine subversive de l'ordre social puisqu'elle en détruit les fondements mêmes, système qui méconnaît la véritable origine, la nature et la fin de l'État, ainsi que les droits de la personne humaine, sa dignité et sa liberté.» (55)

Déjà Pie IX, parlant des «... criminels systèmes du nouveau socialisme et du communisme» montrait qu'il «ne sortira de cette conspiration aucun avantage temporel pour le peuple, mais bien plutôt un «accroissement de misères et de calamités»; car, ajoutait le Pape, «il n'est pas donné aux hommes d'établir de NOUVELLES SOCIÉTÉS et des COMMUNAUTÉS OPPOSÉES À LA CONDITION NATURELLE des choses «humaines.» (56)

Ceci est très important. Socialisme et communisme, en effet, n'avaient pas commis, en 1849, les ravages et les persécutions dont souffre aujourd'hui une bonne partie de l'humanité.

On ne pouvait accuser Pie IX d'être sensibilisé par les souffrances résultant de ces erreurs, comme le sont les Pontifes contemporains.

Et cependant, il est significatif de voir communisme et socialisme condamnés comme CONTRAIRES À L'ORDRE NATUREL, sans parler de l'ordre surnaturel. Et ceci dans leur principe même et au temps de leur première expansion, avant qu'ils soient les instruments de la frénésie dialectique du marxisme.


2. - La propriété personnelle considérée comme illégitime

Aussi n'est-ce pas seulement par un motif de prudence - et pour éviter une commotion trop brusque de la société - que l'Église repousse les atteintes communistes à la propriété personnelle. Mais dans la possession des biens de la terre, l'Église voit le moyen d'accéder aux biens célestes, si l'on en fait un usage raisonnable, réglé par l'esprit de pauvreté volontaire. «Les richesses, nous dit saint Thomas, sont un bien en tant qu'elles servent à l'exercice de la vertu.» (57)

«Ce qui excelle en nous, qui nous fait hommes et nous distingue essentiellement de la bête, enseigne Léon XIII (58), c'est la raison ou l'intelligence, et, en vertu de cette prérogative, il faut reconnaître à l'homme non seulement la faculté générale d'user des choses extérieures, mais en plus le DROIT STABLE ET PERPÉTUEL DE LES POSSÉDER... Il a le droit de choisir les choses qu'il estime les plus aptes, non seulement à pourvoir au présent, mais encore AU FUTUR.»

Droits conformes à la nature intelligente et libre des hommes ainsi que le notait Pie XII:
«La dignité de la personne humaine, écrivait-il, suppose donc normalement, comme fondement naturel pour vivre, le droit à l'usage des biens de la terre; à ce droit correspond l'OBLIGATION FONDAMENTALE D'ACCORDER UNE PROPRIÉTÉ PRIVÉE, autant que possible à tous...» (59)

«Il serait CONTRE NATURE, avertissait Pie XII, dans un autre message (60), de se vanter comme d'un progrès d'un développement de la société qui, ou par l'excès des charges, ou par celui des ingérences immédiates, rendrait la propriété privée vide de sens, enlevant pratiquement à la famille et à son chef la liberté de poursuivre la fin assignée par Dieu au perfectionnement de la vie familiale.»

Ce ne sont donc pas seulement le communisme ou le socialisme, intégralement appliqués, dont les visées sont dénoncées par Pie XII comme étant «contre nature», mais encore la mentalité socialisante, l'excès des ingérences du droit public dans le droit privé, etc...

Et cela, certes, à cause du bien personnel que la propriété privée représente pour l'homme, mais aussi à cause du bien qui en résulte pour la société.

C'est, en effet, tout l'esprit d'initiative, d'ingéniosité, d'émulation au travail qui est rattaché au caractère personnel de la propriété.

«L'homme est ainsi fait, précisait Léon XIII, que la pensée de travailler sur un fonds qui est à lui redouble son ardeur et son application... Nul qui ne voit sans peine les heureux effets de ce redoublement d'activité sur la fécondité de la richesse et sur la richesse des nations.»


3. Disparition de la famille

Avantages de la propriété privée pour l'épanouissement personnel, avantages pour la société, mais en particulier pour la famille.

Nous ne reviendrons pas ici sur la primauté naturelle qui revient à la famille monogamique, fondement de l'ordre social et véritable sanctuaire où s'éduquent les âmes (61). L'Église l'a toujours défendue contre le communisme dont Pie XI nous dit (62):

«En refusant à la vie humaine tout caractère sacré et spirituel, une telle doctrine fait nécessairement du mariage et de la famille une institution purement conventionnelle et civile, fruit d'un système économique déterminé. On nie par conséquent l'existence d'un lien matrimonial de nature juridico-morale qui soit soustrait au bon plaisir des individus ou de la collectivité et, par suite, on rejette l'indissolubilité de ce lien. En particulier, le communisme n'admet aucun lien spécial de la femme avec la famille et le foyer. En proclamant le principe de l'émancipation de la femme, il l'enlève à la vie domestique et au soin des enfants pour la jeter dans la vie publique et dans les travaux de la production collective au même titre que l'homme; le soin du foyer et des enfants est dévolu à la collectivité. Enfin on retire aux parents le droit de l'éducation, que l'on considère comme un droit exclusif de la communauté; c'est seulement au nom de la communauté et par délégation, que les parents peuvent encore l'exercer.»

Et si les Papes ont défendu la propriété privée avec une constante vigueur, c'est qu'ils voient en elle un moyen d'assurer la stabilité et la continuité de la famille.

«La justice sociale, écrit Pie XI dans l'Encyclique «Divini Redemptoris» (63), demande que les ouvriers puissent assurer leur propre subsistance et celle de leur famille par un salaire proportionné; qu'on les mette en mesure d'acquérir un modeste AVOIR afin de prévenir ainsi un paupérisme général qui est une véritable calamité.»

«Institution si naturelle et si indispensable à la vie de l'humanité et principalement DE LA FAMILLE», ainsi la qualifie Pie XII (64). Tel est aussi l'avis de ses Prédécesseurs dont on peut dire qu'aucun texte justifiant la propriété personnelle contre socialisme et communisme nomet cet aspect familial. Qu'on lise en particulier Quadragesimo Anno, Casti Connubii ou Rerum Novarum et l'on retrouvera cette sollicitude de l'Église pour la vie, même matérielle, des familles.


4. Disparition des groupements naturels

Nous ne pouvons que signaler brièvement l'opposition des Souverains Pontifes au nivellement égalitaire sous la férule d'un État envahissant vers lequel, de Platon à Marx, ont toujours conduit les communismes. Réfuter aussi complètement qu'il conviendrait la pulvérisation des corps sociaux reviendrait à exposer toute la doctrine sociale de l'Église. Dès ses débuts La Cité Catholique a insisté sur cet aspect souvent méconnu de l'«ordre social chrétien» qui est essentiellement un ordre de corps intermédiaires: professionnels, locaux, régionaux, allant de la famille à l'État en une hiérarchie vivante et harmonieuse (65).

Contentons-nous de rapporter ici quelques jugements sans équivoque de Pie XII: «L'État ne contient pas en lui-même et ne réunit pas mécaniquement dans un territoire donné une agglomération amorphe d'individus. Il est et doit être, en réalité, l'unité organique et organisatrice d'un vrai peuple.» (66)

«L'édifice de la paix reposerait sur une base croulante et toujours menaçante si l'on n'en finissait pas avec un pareil totalitarisme qui réduit l'homme à ne plus être qu'un pion dans le jeu politique, UN CHIFFRE DANS LES CALCULS ÉCONOMIQUES.» (67)

«Le caractère fortement centralisateur des nations modernes ayant pour conséquence de réduire à l'excès les libertés des communautés locales et des individus, vous rappelez le primat des valeurs personneIles sur les valeurs économiques et sociales: le bien commun en vue duquel le pouvoir civil est établi, culmine dans la vie autonome des person« nes (68).

«... En quelle direction faut-il alors chercher la sécurité et l'assurance intime d'une vie en commun sinon dans un retour des esprits vers la conservation et le rappel des principes de la vraie NATURE HUMAINE VOULUE PAR DIEU, à savoir: qu'IL y A UN ORDRE NATUREL même si ses formes changent avec les développements historiques et sociaux.

«Mais les lignes essentielles ont toujours été et DEMEURENT LES MÊMES: la famille et la propriété comme BASES D'ASSURANCE PERSONNELLE puis, comme facteur complémentaire de sécurité, les INSTITUTIONS LOCALES ET LES UNIONS PROFESSIONNELLES et FINALEMENT L'ÉTAT (69).


5. Disparition de l'État

Pas plus que celle des corps sociaux, l'Église ne souhaite la suppression de l'État, vers laquelle tendent certaines descriptions du communisme, celle notamment de Karl Marx dans son mythe de la «société sans classe».

Sur le fondement de l'Église... «reposent surtout, nous dit Pie XII (70), les deux colonnes principales, l'armature de la société humaine telle qu'elle est conçue et voulue par Dieu: la famille et l'État... Appuyés sur ce fondement, ils peuvent remplir sûrement et parfaitement leurs rôles respectifs: la famille en tant que source et école de vie, l'État en tant que gardien du droit qui a, comme la société dans son ensemble, son origine prochaine et sa fin dans l'homme complet, dans la personne humaine, image de Dieu... Les deux colonnes maîtresses de la société, en s'éloignant de leur centre de gravité, se sont malheureusement détachées de leur fondement. Q'en est-il résulté sinon que la famille a vu décliner sa force de vie et d'éducation, et que l'État, de son côté, est SUR LE POINT DE RENONCER À SA MISSION de défenseur du droit pour se transformer en ce Leviathan de l'Ancien Testament, qui domine tout parce qu'il veut tout attirer à lui? Sans doute, dans la confusion inextricable où s'agite aujourd'hui le monde, l'État se trouve-t-il dans la nécessité de prendre sur lui une charge énorme de devoirs et d'emplois: mais cette SITUATION ANORMALE ne menace-t-elle pas de COMPROMETTRE GRAVEMENT SA FORCE INTIME et l'efficacité de son autorité?»

Fragilité des thèses communistes de Marx

Pour ce qui est du communisme de Marx, nous nous attacherons d'autant moins à le réfuter que les marxistes sont loin d'être unanimes sur sa valeur. Ils y voient plus un instrument commode pour cultiver les «contradictions internes» dans les sociétés industrielles qu'une thèse économique définitive. Voyons, au regard du sens commun, ce qu'on peut en penser.

Concentration du capital:

Elle est d'autant moins fatale que l'industrialisation a progressé depuis Karl Marx. Tandis qu'il fallait une énorme concentration industrielle autour des machines à vapeur, l'électricité permet de décentraliser l'industrie. Elle pourrait même apporter la renaissance de petites entreprises personnelles, pour les industries légères notamment. Et que dire des espoirs suscités par l'énergie atomique dans ce domaine? Il faut professer un dogmatisme étroit pour paralyser l'économie contemporaine par le développement excessif du gros capitalisme et le gigantisme industriel.



La «plus-value»: Dire comme Karl Marx que la «plus-value» (ou bénéfice) est illégitime parce que le prix d'un objet est le prix du travail qu'il a fallu pour le faire (71), ne résiste pas au moindre examen parce que le prix d'un objet n'est pas OUE le prix du travail qu'il a fallu pour le faire.

«Soit, écrivons-nous dans «Le Travail» (72), une toile laborieusement léchée par un rapin de cinquième ordre et le dessin prestement enlevé par un artiste de génie. C'est à ce dernier pourtant qu'ira le prix.» De même, le travail du viticulteur ne fait pas à lui seul le prix du vin. Il aura beau s'évertuer: si son terrain est médiocre, il ne vendra pas sa «piquette» comme un cru champenois ou bordelais!



Lutte des classes:

Cette lutte des classes «qui fait couler des fleuves de sang», comme l'écrivait Pie XI (73) part d'une division schématique de la société en «classes» arbitrairement définies. Le propre d'une vie sociale saine est justement d'atténuer les hiatus entre professions et groupes sociaux, de telle sorte qu'une ascension continue, autant que graduelle, puisse s'opérer. Héritage, éducation, propriété personnelle, artisanat, progrès dans le métier, possibilités d'élever son niveau dans le sein d'une profession etc... , ces bienfaits des hiérarchies sociales rendent la notion de «classe» tellement absurde qu'il faut justement arracher les hommes à leurs communautés naturelles, les «désaliéner», en faire des «déshérités» et des «prolétaires» pour que les classes, théoriquement prévues, apparaissent dans la réalité.


M. Bertrand-Serret dans son ouvrage «Le mythe marxiste des classes» (74) en donne des exemples nombreux.

Peut-on dire que le directeur d'une grande firme est un «prolétaire» parce qu'il est salarié, qu'il vit dans un appartement en location et voyage par le train?

En revanche va-t-on taxer de «bourgeois» le forgeron et la mercière du coin qui possèdent en propre un pavillon de deux pièces et un carré de choux en Bretagne? Il fallait vraiment «chercher la Révolution» pour «trouver» les «classes» sociales... et, ainsi les faire lutter entre elles.


Dictature du prolétariat: Elle serait le fait d'une classe ayant éliminé les autres et prenant le pouvoir politique par une révolution: en l'occurrence le prolétariat ouvrier.

Or, comme l'ont montré Akhminof, Djilas, et d'autres observateurs des pays communistes, ce n'est plus le mythique «prolétariat» mais une «nouvelle bourgeoisie» qui gouverne.

Aristocratie des «techniciens», qui passe plus ou moins à travers les «purges» à cause de ses compétences pratiques, ou aristocratie du Parti, véritable singerie des anciennes noblesses, mais avec ce caractère implacable des parvenus doublés de marxistes, sans cesse naissent de nouvelles classes parce que tel est l'ordre naturel des choses contre lequel les systèmes ne peuvent rien. Naissance de classes que les marxistes vont faire se heurter, s'opposer, lutter entre elles, selon les perspectives de la dialectique historique. Idéal même de cette «Révolution permanente» dont on voit bien qu'elle reste le danger constant, diabolique renversement de l'ordre social, derrière les façades mobiles et diverses des communismes contemporains.


CONCLUSION

Dans son Message de Noël 1955 Pie XII dénonce la mentalité de ceux qui «... croient pouvoir baser toute sécurité sur la productivité toujours croissante et sur le cours ininterrompu de la production toujours plus grande et plus féconde de l'économie nationale.

« ... La croyance erronée qui fait reposer le salut dans un progrès toujours croissant de la production sociale est une superstition... la plus dangereuse». Cette superstition... n'est pas... capable de dresser un rempart solide contre le communisme parce qu'elle est partagée par le parti communiste et même par de nombreux non-communistes. Dans cette croyance erronée, les deux partis se rencontrent et établissent ainsi un accord tacite qui peut induire les prétendus réalistes de l'Ouest à rêver de la possibilité d'une véritable coexistence.

«Dans le message de Noël de l'année dernière (1954), Nous avons exposé la pensée de l'Église sur ce sujet et Nous entendons confirmer cette pensée encore une fois. Nous REPOUSSONS LE COMMUNISME EN TANT QUE SYSTÈME SOCIAL EN VERTU DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE et Nous devons affirmer particulièrement les fondements du droit naturel. Pour la même raison, Nous repoussons l'opinion suivant laquelle le chrétien devrait regarder aujourd'hui le communisme comme un phénomène ou une étape dans le cours de l'histoire, comme un «moment» nécessaire de l'évolution de celle-ci et par conséquent, l'accepter comme décrété par la divine Providence.»

Pour ces raisons naturelles et surnaturelles les Papes ont condamné la mentalité collectiviste: qu'elle soit socialiste ou communiste, qu'elle soit marxiste ou non-marxiste. Ruineuse pour la société et pour les hommes, elle ne peut qu'être repoussée par l'Église et, de ce fait, elle est inacceptable pour les chrétiens.

De là, cette opposition radicale que soulignait Pie XI dans l'Encyclique Quadragesimo Anno. (75)

«... Le socialisme, s'il demeure vraiment socialisme, ne peut pas se concilier avec les principes de l'>Église catholique, car sa conception de la société est on ne peut plus contraire à la vérité chrétienne.»

«... Socialisme religieux, socialisme chrétien, sont des contradictions: personne ne peut être en même temps bon catholique et vrai socialiste.

«C'est notre devoir pastoral de les avertir (ceux qui veulent fraterniser avec le socialisme) du PÉRIL REDOUTABLE qui les menace: qu'ils se souviennent tous que ce socialisme éducateur a pour père le libéralisme et pour héritier le bolchevisme.» (76)

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Notes:

(48) Et non plus à la description du tour de pensée intellectuel comme le furent nos chapitres sur le marxisme-léninisme.

(49) Lettre Encycl. Divini illius Magistri, 31 déc. 1929 (A.A.S., vol. XXII, 1930, p. 49-86).

(50) Divini Redemptoris, § 27, Cf. Document II.

(51) Ibid., § 29.

(52) 1, Cor. III, 23.

(53) Ibid., § 30.

(54) Ibid., § 10.

(55) Ibid., §§ 12 et 14.

(56) Encyclique Nostis et Nobiscum, 8 décembre 1849, cf. Document I, § 7.

(57) On trouvera sur ce point la question plus largement traitée dans notre ouvrage Le Travail, chap. 1, p. 28.

(58) Rerum Novarum, 1891.

(59) Radiomessage Con Sempre, 24 décembre 1942.

(60) Radiomessage La Solennita, 1er juin 1941.

(61) Cf. notre ouvrage La Famille, lre partie.

(62) Divini Redemptoris, § 11. Cf. Document II.

(63) Ibid., § 52. Cf. Document II.

(64) Allocution aux membres du Congrès des échanges internationaux, 7 mars 1948.

(65) Cf. Verbe NUMÉRO 8 et supplément NUMÉRO 8, ainsi que nos études sur la «fonction supplétive des corps intermédiaires», Verbe, NUMÉROS 44 à 49.

(66) Radiomessage du 24 décembre 1944.

(67) Allocution au Consistoire, Noël 1945.

(68) Au Congrès de l'Association italienne du Conseil des Communes d'Europe, 7 décembre 1957.
(69) Message de Noël, 1956.

(70) Allocution au Consistoire du 20 février 1946.

(71) «Le travail, dit Marx, est la substance même de la valeur.»


(72) P. 126.

(73) Divini Redemptoris, § 57. Cf. Document II.

(74) Éditions du Cèdre, Paris.

(75) Cf. Document II, §§ 35, 36, 37.

(76) Cf. également l'avertissement de Pie XII sur le danger de la socialisation: Radiomessage aux catholiques autrichiens, 14 septembre 1953, cité dans Le Travail. p. 106, note 87.


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