Recit des merueilles arrivées en l'Eglise de sainte Anne du petit Cap, Coste de Beaupray, en la Nouvelle France.
Ce recit porte le nom de merueilles, et non de miracles, afin de ne contreuenir en rien aux ordres de la Sainte Eglise, qui defend de qualifier ces choses extraordinaires de ce nom de miracles, iusqu'à ce qu'elle en aye fait le jugement.
Comme Dieu a tousiours choisi quelques Eglises specialement entre les autres, où par l'intercession de la sainte Vierge, des Anges et des Saints, il ouure largement le sein de ses misericordes, et fait quantité de miracles, qu'il n'opere pas ordinairement ailleurs, il semble aussi qu'il a voulu choisir en nos jours l'Eglise de sainte Anne du petit Cap, pour en faire vn azile fauorable, et vn refuge asseuré aux Chrétiens de ce nouueau monde, et qu'il a mis entre les mains de cette sainte vn thresor de graces et de benedictions, qu'elle depart liberalement à ceux qui la reclament deuotement en ce lieu. C'est asseurement pour cette mesme fin qu'il a imprimé dans les cœurs vne deuotion singuliere et vne confiance extraordinaire en la protection de cette grande sainte; ce qui fait que les peuples y recourent dans tous leurs besoins, et qu'ils en reçoiuent des secours tres-signalés et tres-extraordinaires, comme nous le voyons dans les merueilles qui s'y sont operées depuis six ans. Ce n'est pas mon dessein de les raporter icy toutes, mais seulement quelques vnes des plus considerables, pour satisfaire à la pieté des personnes qui l'ont souhaité de moy. Ie le fais d'autant plus volontiers, qu'ayant esté tesmoin occulaire, ou tres bien informé de ces choses, ie les diray auec plus de certitude.
I.
En l'année 1662. Marie Esther Ramage, agée de 45. ans, femme d'Elie Godin, de la Paroisse de sainte Anne du petit Cap, estant demeurée depuis dix huit mois, toute courbée, en sorte qu'elle ne pouuoit aucunement se redresser, et qu'elle estoit obligée de se traisner comme elle pouuoit auec son baston, sans esperance de pouuoir iamais recouurer par les remedes humains sa santé; se souuint de ce que son mary Iuy auoit dit qu'en sa presence, Louis Guymond, de la mesme Paroisse, auoit esté soudainement gueri d'vne grande douleur de reins, en mettant par deuotion trois pierres aux fondements de l'Eglise de sainte Anne, que l'on commençoit de bastir. Alors elle reclama la Sainte, la priant de faire sur elle vn miracle comme elle auoit fait sur cet homme; à mesme temps, s'oubliant de son baston qui disparut, elle se trouua sur ses pieds toute droite, marchant auec autant de facilité qu'elle eut iamais fait; et toute estonnée d'vn changement si subit, elle commence à rendre graces à sainte Anne, du bienfait qu'elle venoit de receuoir, et du depuis elle est restée en parfaite santé. Ce miracle a beaucoup serui à confirmer dans la foy toute cette famille qui auoit long-temps vescu dans la religion pretenduë reformée.
II.
En la mesme année, le 26. de Iuillet, Feste de la glorieuse sainte Anne, Nicolas Droüin, agé de 14. ans, fils de Elie Godin, agé de cinquante ans, de Robert Droüin, de la Paroisse du Chasteau Riché, coste de Beaupray, estant affligé du mal caduc, qui le mettoit souuent en danger de perir ou par le feu, ou dans les eaux, tombant comme mort au lieu où il s'en trouuoit surpris, se voüa à sainte Anne, et commença une neufuaine en son honneur, suiuant le conseil que ie luy en donnay, et à ses parents, qui me le demandoient; et par ce moyen il recouura sa santé, et estant du depuis parfaitement gueri de son infirmité, il continuë tous les ans auec ses parents, de rendre ses actions de graces à sainte Anne, le iour de sa Feste en son Eglise du petit Cap.
III.
L'année 1664. Marguerite Dire, femme de Mathurin Roy, habitant de Quebec, s'estant rompu vne iambe, et les os, diuisez en quatre, n'ayans peu estre reunis, elle estoit demeurée estropiée depuis huit mois, sans pouuoir aucunement marcher et sans esperance de le pouvoir aucunement à l'aduenir, car tel estoit le sentiment des Chirurgiens. C'est ce qui l'obligea de recourir à Dieu, auec confiance, par l'intercession de sainte Anne. Elle commença pour cét effet vne neufuaine, se confessa generallement, et ayant fait vœu de visiter tous les ans vne Eglise ou Chapelle dediée en l'honneur de sainte Anne, elle se fit porter le iour de sa Feste en son Eglise du petit Cap, où assistant à la Messe, elle se sentit fortifiée au temps de l'Eleuation, et en suite quand il fallut aller à la sainte Communion, elle quitta ses potences, marchant vers l'Autel, et comme le peuple la vouloit soûtenir, elle dit: I'iray bien toute seule, la bonne Sainte m'a fortifiée et fait miracle sur moy; graces à Dieu; il Y a huit mois que ie n'en auois autant fait. Depuis ce temps-là elle ne s'est plus seruie de potences, et a pu librement vaquer à son ménage, et elle continuë tous les ans de rendre son vœu à Sainte Anne.
IV.
Elie Godin, agé de cinquante ans, de la Paroisse de Sainte Anne, estant malade d'vne hydropisie formée, à laquelle les remedes ne pouuoient apporter aucun soulagement, pensoit à se disposer à la mort, et me fit appeler, pour luy donner le saint Viatique; alors ie luy dis qu'il eust recours à la sainte Vierge et à sainte Anne, et aprés l'auoir disposé, ie m'en allay à l'Eglise, dire la sainte Messe à son intention, d'où reuenant pour le communier, il me dit d'vn visage serein: Monsieur, ie suis guery, permettez moy de me leuer; pendant que vous estiés à l'Eglise, comme ie disois mon Chapelet, ie me suis doucement endormy, et i'ay veu pendant mon sommeil, deux venerables Dames qui se sont approchées de moy, et dont l'vne tenoit en sa main vne boëte qu'elle a ouuerte, où i'ay veu dedans vn chemin fort long, et fort estroit, qui conduisoit au Ciel; à cette veüe ie me suis trouué tout rempli de consolation, et tout soulagé de mon mal. En effet apres la sainte Communion, il rend graces à Dieu, se leue, s'en va à l'Eglise, et auant que d'auoir acheué sa neufuaine il fut en estat de trauailler comme auant sa maladie.
V.
Jean Adam, aagé de 23. ans, de Brinon l'Archeuesque, petite ville au Diocese de Sens, le 24. de Mars 1665. se sentit tout en vn instant comme frappé de deux coups d'alênes dans les deux yeux, ne voyant plus que fort peu, et dans quelques iours deuint entierement aueugle, et demeura en cét estat iusques au mois de Iuin, où il fit vœu de dire neuf fois son Rosaire en l'honneur de sainte Anne, d'aller visiter son Eglise du petit Cap. Il fit encore vn pareil vœu à Nostre Dame de Lorette en Italie, aprés quoy il fut conduit à sainte Anne, où le Prestre disant apres la Messe l'Euangile de saint Anne sur luy, il vit par trois diuerses fois fort distinctement, mais d'vne veuë seulement passagere et momentanée, en sorte toutefois qu'il pût aisement discerner la couleur des ornements, qu'il n' auoit iamais veus, et se sentit poussé d'vne viue esperance que trois iours apres, qui estoit la fin de sa neufuaine, il recouureroit entierement la veuë, ce qu'il declara hautement et ce qui arriua comme il l'auoit dit; car le troisiéme iour, lorsqu'on disoit pour luy la Messe en l'Eglise du College des Reuerends Peres de la Compagnie de Iesus à Quebec, il sentit comme si on luy eust donné derechef deux coups d'alêne dans les deux yeux, qui ietterent quelques gouttes d'eau et ensuite il apperceut à l’Eleuation, la sainte Hostie, entre les mains du Prestre, et du depuis il a l'vsage de la veüe plus parfait qu'il ne l'auoit eu auant cét accident.
VI.
En l'année 1667. le 29. de Iuin, Jean Pradere, agé de 22. ans, de la ville et Archeueché de Thoulouse, soldat du Regiment de Carignan, estant frappé de deux infirmitez, dont l'vne estoit mortelle, et l'autre incurable, eut pendant vne nuit vn sentiment extraordinaire, et entendit vne voix qui luy dit que s'il plaisoit à Dieu luy donner la santé, ce seroit vn grand bien pour luy de se donner pour toute sa vie au seruice des malades de l'Hospital, où il estoit pour lors; il y consent volontiers, et demeure dans vne ferme esperance qu'il gueriroit nonobstant vne apostume qu'il auoit dans l'estomac, qui luy causoit vn hocquet qui ne presageoit qu'vne mort prompte et asseurée. En effet on luy donna l’Extreme-onction, iugeant qu'il alloit bien tost mourir. Dieu neantmoins le deliura de ce premier danger en peu de temps; mais pour le second, on luy declara qu'il n'y auoit aucuns remedes humains à faire, et qu'il falloit auoir recours à Dieu, qui seul le pouuoit guerir. Car il auoit perdu l'vsage et le sentiment d'vne iambe depuis six mois, en sorte qu'il ne sentoit ny les coups dont il la frappoit, ny les incisions qu'il y faisoit, en se pansant soy-mesme, non plus que si elle eust esté morte. Se voyant en cét estat sans rien diminuer de sa confiance, il prend resolution d'aller à sainte Anne du petit Cap, à six lieuës de Quebec, pour y faire vne neufuaine, et obtenir par l'intercession de cette glorieuse Sainte, la santé qu'il esperoit. Il commence donc sa neufuaine et ses prieres, souffre de grandes tentations et peines d'esprit, pendant les premiers iours, iusques au cinquiéme, qui estoit la feste des glorieux Apostres saint Pierre et saint Paul, auquel iour estant au pied de l'Autel de sainte Anne, il sentit en sa iambe de tres-grandes douleurs, et notamment tous les coups dont il l'auoit frappée pendant quelle estoit insensible, en suite il se laissa aller comme à vn doux sommeil, dont reuenant à soy, il se sentit plein d'une extreme consolation, et il apperceut sur sa iambe vne sueur dont elle estoit trempée, et de là s'exhaloit vne odeur si suaue qu'il n'auoit iamais rien senti de pareil. Aussitost aprés il voit sa iambe sans aucune humidité, et aussi parfaitement restablie que s'il n'y auoit iamais eu de mal. Il rend graces à Dieu, et à sainte Anne, de la faueur qu'il venoit de receuoir par son intercession, il quitte ses potences, et marche maintenant auec autant de facilité, qu'il ait iamais marché, non sans l'admiration de ceux qui connoissoient son incommodité et iugeoient qu'il estoit aussi difficile de le guerir que de resusciter vn mort; mais l'vn et l'autre est facile à Dieu, à qui rien n'est impossible.
Outre les merueilles que ie viens de rapporter, il y en a beaucoup d'autres, dont i'ay connoissance et que ie touche seulement en general, disant que grand nombre de personnes s'estant vouées à sainte Anne, ont esté secouruës miraculeusement, les vnes ayant euité la mort, le Canot s'estant reuerse sur eux, les autres ayans fait naufrage dans des Chalouppes, ceux-cy et ceux-là se voyans reduits dans vn extreme peril de la vie, d'autres ont gueri de diuerses maladies où les remedes humains estoient impuissants. Les femmes enceintes ont experimenté des secours extraordinaires dans des couches dangereuses, les enfans affligez de fascheuses descentes ont esté gueris. Plusieurs trouuent en ce lieu soulagement en leurs infirmitez, y reclamant sainte Anne avec deuotion et confiance. Ce qui me paroist neantmoins de plus considerable parmy toutes ces faueurs, ce sont les graces tres-puissantes que Dien a données par l'intercession de cette sainte à plusieurs pecheurs pour leur conversion à une vne meilleure vie. Ayant depuis cinq ou six ans fait les fonctions curiales en cette Eglise, i'en ay connu plusieurs à qui ce bonheur est arriué; mais ces faueurs se passans entre Dieu et l'ame au secret du cœur, elles ne se connoistront bien que dans l'eternité.
De si heureux commencements nous font esperer que Dieu par l'intercession de sainte Anne, comblera en ce saint lieu de mille benedictions tout ce nouueau païs. Plaise à sa bonté que nos pechez n'en arrestent pas le cours.
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Extraict du Priuilege du Roy.
Par Grace et Privilege du Roy, il est permis à Sebastien Cramoisy, Imprimeur ordinaire du Roy, Directeur de l'Imprimerie Royale du Louure, et ancien Eschevin de Paris, d’imprimer, ou faire imprimer, vendre et debiter vn Livre intitulé: La Relation de ce qui s'est passé en la Mission des Peres de la Compagnie de Iesus au Païs de la Nouvelle-France, ès années 1666. et 1667. Et ce pendant le temps de vingt années; avec defenses à tous Libraires, Imprimeurs et autres d'imprimer ou faire imprimer le dit Liure, sous pretexte de déguisement ou changement, aux peines portées par le dit Priuilege. Donné à Paris, en Ianvier 1667.
Signé par le Roy en son Conseil.
MABOVL.
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Texte en français contemporain
Récit des merveilles arrivées en l'Église de sainte Anne du petit Cap, Côte de Beaupré, en la Nouvelle France.
Ce récit porte le nom de merveilles, et non de miracles, afin de ne contrevenir en rien aux ordres de la Sainte Église, qui défend de qualifier ces choses extraordinaires de ce nom de miracles, jusqu'à ce qu'elle en ait fait le jugement.
Comme Dieu a tousjours choisi quelques églises specialement entre les autres, où par l'intercession de la sainte Vierge, des anges et des saints, il ouvre largement le sein de ses miséricordes, et fait quantité de miracles, qu'il n'opère pas ordinairement ailleurs, il semble aussi qu'il a voulu choisir en nos jours l'église de sainte Anne du petit Cap, pour en faire un asile favorable, et un refuge assuré aux chrétiens de ce nouveau monde, et qu'il a mis entre les mains de cette sainte un trésor de grâces et de bénédictions, qu'elle départ libéralement à ceux qui la réclament dévotement en ce lieu. C'est assurément pour cette même fin qu'il a imprimé dans les cœurs une dévotion singulière et une confiance extraordinaire en la protection de cette grande sainte; ce qui fait que les peuples y recourent dans tous leurs besoins, et qu'ils en reçoivent des secours très signalés et très extraordinaires, comme nous le voyons dans les merveilles qui s'y sont opérées depuis six ans. Ce n'est pas mon dessein de les rapporter ici toutes, mais seulement quelques unes des plus considérables, pour satisfaire à la piété des personnes qui l'ont souhaité de moi. Je le fais d'autant plus volontiers, qu'ayant été témoin oculaire, ou très bien informé de ces choses, je les dirai avec plus de certitude.
I.
En l'année 1662. Marie Esther Ramage, âgée de 45 ans, femme d'Élie Godin, de la paroisse de sainte Anne du petit Cap, étant demeurée depuis dix huit mois, toute courbée, en sorte qu'elle ne pouvait aucunement se redresser, et qu'elle était obligée de se traîner comme elle pouvait avec son bâton, sans espérance de pouvoir jamais recouvrer par les remèdes humains sa santé; se souvint de ce que son mari Iui avait dit qu'en sa présence, Louis Guymond, de la même Paroisse, avait été soudainement guéri d'une grande douleur de reins, en mettant par dévotion trois pierres aux fondements de l'église de sainte Anne, que l'on commençait de bâtir. Alors elle réclama la Sainte, la priant de faire sur elle un miracle comme elle avait fait sur cet homme; en même temps, s'oubliant de son bâton qui disparut, elle se trouva sur ses pieds toute droite, marchant avec autant de facilité qu'elle eut jamais fait; et toute étonnée d'un changement si subit, elle commence à rendre grâces à sainte Anne, du bienfait qu'elle venait de recevoir, et depuis elle est restée en parfaite santé. Ce miracle a beaucoup servi à confirmer dans la foi toute cette famille qui avait longtemps vécu dans la religion prétendue réformée.
II.
En la même année, le 26 juillet, fête de la glorieuse sainte Anne, Nicolas Drouin, âgé de 14 ans, fils d’Élie Godin, âgé de cinquante ans, de Robert Drouin, de la paroisse du Château Riché, côte de Beaupré, étant affligé du mal caduc (menaçant de tomber), qui le mettait souvent en danger de périr ou par le feu, ou dans les eaux, tombant comme mort au lieu où il se trouvait surpris, se voua à sainte Anne, et commença une neuvaine en son honneur, suivant le conseil que je lui en avais donné, et à ses parents, qui me le demandaient; et par ce moyen il recouvra sa santé, et étant depuis parfaitement guéri de son infirmité, il continue tous les ans avec ses parents, de rendre ses actions de grâces à sainte Anne, le jour de sa fête en son église du petit Cap.
III.
L'année 1664 Marguerite Dire, femme de Mathurin Roy, habitant de Québec, s'étant rompu une jambe, et les os, divisés en quatre, n'ayant pu être réunis, elle était demeurée estropiée depuis huit mois, sans pouvoir aucunement marcher et sans espérance de le pouvoir aucunement à l'avenir, car tel eétait le sentiment des chirurgiens. C'est ce qui l'obligea de recourir à Dieu, avec confiance, par l'intercession de sainte Anne. Elle commença pour cét effet une neuvaine, se confessa générallement, et ayant fait vœu de visiter tous les ans une église ou chapelle dédiée en l'honneur de sainte Anne, elle se fit porter le jour de sa fête en son église du petit Cap, où assistant à la Messe, elle se sentit fortifiée au temps de l'élévation, et ensuite quand il fallut aller à la sainte communion, elle quitta ses potences, marchant vers l'autel, et comme le peuple la voulait soutenir, elle dit: J'irai bien toute seule, la bonne Sainte m'a fortifiée et fait miracle sur moi; grâces à Dieu; il Y a huit mois que je n'en avais autant fait. Depuis ce temps-là elle ne s'est plus servi de potences, et a pu librement vaquer à son ménage, et elle continue tous les ans de rendre son vœu à Sainte Anne.
IV.
Élie Godin, âgé de cinquante ans, de la paroisse de Sainte Anne, étant malade d'une hydropisie formée, à laquelle les remèdes ne pouvaient apporter aucun soulagement, pensait à se disposer à la mort, et me fit appeler, pour lui donner le saint viatique; alors je lui dis qu'il eut recours à la sainte Vierge et à sainte Anne, et après l'avoir disposé, je m'en allai à l'église, dire la sainte messe à son intention, d'où revenant pour le communier, il me dit d'un visage serein: Monsieur, je suis guéri, permettez-moi de me lever; pendant que vous étiez à l'église, comme je disais mon chapelet, je me suis doucement endormi, et j'ai vu pendant mon sommeil, deux vénérables dames qui se sont approchées de moi, et dont l'une tenait en sa main une boîte qu'elle a ouverte, où j'ai vu dedans un chemin fort long, et fort étroit, qui conduisait au ciel; à cette vüe je me suis trouvé tout rempli de consolation, et tout soulagé de mon mal. En effet après la sainte Communion, il rend grâces à Dieu, se lève, s'en va à l'église, et avant que d'avoir achevé sa neuvaine il fut en état de travailler comme avant sa maladie.
V.
Jean Adam, âgé de 23 ans, de Brinon l'Archevesque, petite ville au diocèse de Sens, le 24 mars 1665 se sentit tout en un instant comme frappé de deux coups d'alênes dans les deux yeux, ne voyant plus que fort peu, et dans quelques jours devint entièrement aveugle, et demeura en cet état jusqu’au mois de juin, où il fit vœu de dire neuf fois son rosaire en l'honneur de sainte Anne, d'aller visiter son église du petit Cap. Il fit encore un pareil vœu à Nostre Dame de Lorette en Italie, après quoi il fut conduit à sainte Anne, où le prêtre disant après la messe l'Évangile de saint Anne sur lui, il vit par trois diverses fois fort distinctement, mais d'une vue seulement passagère et momentanée, en sorte toutefois qu'il pût aisément discerner la couleur des ornements, qu'il n' avait jamais vus, et se sentit poussé d'une vive espérance que trois jours après, qui était la fin de sa neuvaine, il recouvrerait entièrement la vue, ce qu'il déclara hautement et ce qui arriva comme il l'avait dit; car le troisième jour, lorsqu'on disait pour lui la messe en l'église du Collège des Révérends Pères de la Compagnie de Jésus à Québec, il sentit comme si on lui eut donné derechef deux coups d'alêne dans les deux yeux, qui jetèrent quelques gouttes d'eau et ensuite il aperçut à l’élévation, la sainte hostie, entre les mains du prêtre, et depuis il a l'usage de la vue plus parfait qu'il ne l'avait eu avant cet accident.
VI.
En l'année 1667 le 29 juin, Jean Pradère, âgé de 22 ans, de la ville et Archevêché de Toulouse, soldat du Régiment de Carignan, étant frappé de deux infirmités, dont l'une était mortelle, et l'autre incurable, eut pendant une nuit un sentiment extraordinaire, et entendit une voix qui lui dit que s'il plaisait à Dieu lui donner la santé, ce serait un grand bien pour lui de se donner pour toute sa vie au service des malades de l'hôpital, où il était pour lors; il y consent volontiers, et demeure dans une ferme espérance qu'il guérirait nonobstant une apostume qu'il avait dans l'estomac, qui lui causait un hoquet qui ne présageait qu'une mort prompte et assurée. En effet on lui donna l’extrême-onction, jugeant qu'il allait bientôt mourir. Dieu néanmoins le délivra de ce premier danger en peu de temps; mais pour le second, on lui déclara qu'il n'y avait aucun remède humain à faire, et qu'il fallait avoir recours à Dieu, qui seul le pouvait guérir. Car il avait perdu l'usage et le sentiment d'une jambe depuis six mois, en sorte qu'il ne sentait ni les coups dont il la frappait, ni les incisions qu'il y faisait, en se pansant soi-même, non plus que si elle eut été morte. Se voyant en cet état sans rien diminuer de sa confiance, il prend résolution d'aller à sainte Anne du petit Cap, à six lieux de Québec, pour y faire une neuvaine, et obtenir par l'intercession de cette glorieuse sainte, la santé qu'il espérait. Il commence donc sa neuvaine et ses prières, souffre de grandes tentations et peines d'esprit, pendant les premiers iours, jusqu’au cinquième, qui était la fête des glorieux Apôtres saint Pierre et saint Paul, auquel jour étant au pied de l'autel de sainte Anne, il sentit en sa jambe de très grandes douleurs, et notamment tous les coups dont il l'avait frappée pendant qu’elle était insensible, ensuite il se laissa aller comme à un doux sommeil, dont revenant à soi, il se sentit plein d'une extrême consolation, et il aperçut sur sa jambe vne sueur dont elle était trempée, et de là s'exhalait une odeur si suave qu'il n'avait jamais rien senti de pareil. Aussitôt après il voit sa jambe sans aucune humidité, et aussi parfaitement rétablie que s'il n'y avait jamais eu de mal. Il rend grâces à Dieu, et à sainte Anne, de la faveur qu'il venait de recevoir par son intercession, il quitte ses potences, et marche maintenant avec autant de facilité, qu'il ait jamais marché, non sans l'admiration de ceux qui connaissaient son incommodité et jugeaient qu'il était aussi difficile de le guérir que de ressusciter un mort; mais l'un et l'autre est facile à Dieu, à qui rien n'est impossible.
Outre les merveilles que je viens de raporter, il y en a beaucoup d'autres, dont j'ai connaissance et que je touche seulement en général, disant que grand nombre de personnes s'étant vouées à sainte Anne, ont été secourues miraculeusement, les unes ayant évité la mort, le canot s'étant renversé sur eux, les autres ayans fait naufrage dans des chaloupes, ceux-ci et ceux-là se voyant réduits dans un extrême péril de la vie, d'autres ont guéri de diverses maladies où les remèdes humains étaient impuissants. Les femmes enceintes ont expérimenté des secours extraordinaires dans des couches dangereuses, les enfants affligés de fâcheuses descentes (hernies)ont été guéris. Plusieurs trouvent en ce lieu soulagement en leurs infirmités, y réclamant sainte Anne avec dévotion et confiance. Ce qui me parait néanmoins de plus considérable parmi toutes ces faveurs, ce sont les grâces très puissantes que Dien a données par l'intercession de cette sainte à plusieurs pécheurs pour leur conversion à une une meilleure vie. Ayant depuis cinq ou six ans fait les fonctions curiales en cette église, j'en ai connu plusieurs à qui ce bonheur est arrivé; mais ces faveurs se passant entre Dieu et l'âme au secret du cœur, elles ne se connaîtront bien que dans l'éternité.
De si heureux commencements nous font espérer que Dieu par l'intercession de sainte Anne, comblera en ce saint lieu de mille bénédictions tout ce nouveau pays. Plaise à sa bonté que nos péchés n'en arrêtent pas le cours.
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Extrait du Privilège du Roi.
Par Grâce et Privilège du Roi, il est permis à Sébastien Cramoisy, Imprimeur ordinaire du Roi, Directeur de l'Imprimerie Royale du Louvre, et ancien Échevin de Paris, d’imprimer, ou faire imprimer, vendre et débiter un Livre intitulé: La Relation de ce qui s'est passé en la Mission des Pères de la Compagnie de Jésus au Pays de la Nouvelle-France, les années 1666 et 1667. Et ce pendant le temps de vingt années; avec défense à tous Libraires, Imprimeurs et autres d'imprimer ou faire imprimer le dit Livre, sous prétexte de déguisement ou changement, aux peines portées par le dit Privilège. Donné à Paris, en janvier 1667.
Signé par le Roi en son Conseil.
MABOUL.