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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

samedi, juillet 03, 2010

ANNÉE 16666. Page 1

RELATION DE CE QVI S'EST PASSÉ EN LA NOVVELLE FRANCE ÈS ANNÉES 1665 ET 1666.
Par le R. P. FRANÇOIS LE MERCIER (*).

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(*) Copié sur l'exemplaire déposé à la Bibliothèque Impériale de Paris.

Relation-1666. A



CHAPITRE PREMIER.

De ce qui s'est passé de plus remarquable à Quebec.


Comme la Reine mere a toujours donné des marques toutes particulieres de sa bonté pour ce païs, et de son zele pour y establir la foy, on n'a pas creu devoir rien omettre de tout ce qui pouvoit contribuer à faire voir la reconnaissance que l'on en conserve aprés sa mort. Aussitôt que l'on en receut la nouvelle, on se mit en devoir de tesmoigner par le deuil des Eglises celui que chacun avoit tres-avant dans le cœur; elles furent toutes tendues en noir, et l'on y fit pendant plusieurs jours les services et les prieres ordinaires.

M. Talon, Intendant pour le roy en ce païs, signala surtout l'affection qu'il a pour le service de sa Majesté, et son respect pour la memoire de cette grande princesse, faisant faire le 3. d'Aoust de l'année 1666. dans la principale Eglise de Quebec, vn service chanté en musique qui eût semblé magnifique partout ailleurs, mais qui le parut au delà de ce qu'on peut exprimer dans un païs ou l'on n'avoit jamais rien vu de semblable.

M. de Tracy, Lieutenant General de sa Majesté en toute l'Amerique, M. de Courcelles Gouverneur de la Nouvelle France, M. l'Intendant et toutes les personnes considérables s'y trouveront en deuil et Mgr. l'Eveque de Pétrée y officia, assisté de plusieurs ecclesiastiques en chape.

Toute cette assemblée fut d'autant plus satisfaite de l'oraison funebre qui y fut prononcée qu'on y fit surtout l'eloge de ce zele admirable que cette grande Reine avoit toujours eu pour la conservation de ce pays, et pour le salut des infideles, dont on voit icy de tout costé des marques illustres.

C'est ce qu'on pouvoit mander de plus considerable de Quebec, et à quoy l'on a cru que l'on s'interesseroit davantage en France, comme l'on ne pouvoit rien faire en Canada avec plus de justice, ni avec plus d'affection.

Toutes les autres choses qui s'y font d'ordinaire soit pour le salut des ames, soit pour la gloire et pour les avantages de nostre nation, s'y font avec plus d'ordre, plus de soin et plus de vigueur que jamais, par le desir que ceux qui y sont ont de plaire au Roy du Ciel et d'obeïr au plus grand Roy de la terre, qu'on voit estendre les effets de sa vigilance et de sa bonté sur ces peuples, que Dieu appelle à la foy par son moyen, comme sur ceux dont la conduite lui a esté laissée par ses ancestres.

Entre plusieurs Sauvages qui ont esté, en mourant saintement, d'heureux fruits des Missions, on a surtout admiré vne petite fille Huronne que cette Eglise a perdue à l'aage de treize ans. Il n'y avoit rien de si surprenant que de voir cest enfant, qui, ayant perdu dès l'age de 10 ans son pere et sa mere, non-seulement se passoit de leur conduite, par les lumieres et les secours extraordinaires qu'elle recevoit de l'esprit de Dieu, mais tenait aussi bien de pere et de mere à deux freres qu'elle avoit beaucoup plus jeunes qu'elle.

Elle vivoit dans vne retraite et dans vn recueillement continuels, et Dieu luy donnoit des sentimens de nos mysteres si fort audessus de son age qu'il n'y avoit personne qui n'en fust surpris. Ses deux petits freres, qu'elle nourrissoit de son travail, recevoient aussi d'elle toutes les instructions et tous les exemples de vertu dont leur age estoit capable, de sorte que les plus habiles Missionnaires qui s'y fussent donné bien de la peine, n'eûssent pu y mieux reussir. La mort de ces deux petits garçons l'ayant laissée libre, elle demanda avec instance d'entrer chez les Meres Vrsulines, et elle estoit sur le point de l'obtenir, lorsqu'il plust à Dieu de la placer dans le Ciel parmi les Vierges qui suivent l'agneau.

Tous ceux de sa nation et les François de tout age alloient à l'envie admirer le courage de cette genereuse fille, et s'instruire par les exemples de sa resignation et de sa patience. La devotion tendre qu'elle avoit pour le Saint Sacrement de l'autel luy faisoit ardemment desirer de ne passer aucun jour sans recevoir ce pain de tous les jours. On le lui accorda seulement trois fois durant sa maladie et son extreme foiblesse ne la pust empescher de l'aller recevoir à genoux les deux premieres fois; mais la derniere, le mal l'ayant trop accablée, elle fut obligée de demeurer au lit: elle receut alors son Sauveur avec des sentiments si tendres, des desirs et des transports d'amour si ardents, que les personnes qui estoient accourues en grand nombre, fondoient en larmes à ce spectacle, et sembloient toutes ressentir la mesme devotion qui estoit dans le cœur de la malade: Ah! mon Sauveur, disoit-elle souvent, quand vous verrai-je; puisque ce ne peut estre en cette vie, accordez-moi vne prompte mort.

Rien ne l'affligeoit tant que lorsqu'on luy disoit que sa derniere heure n'estoit pas si proche; et l'on peut dire que cette sainte impatience de s'unir à Dieu, luy estoit incomparablement plus sensible que toutes les douleurs de sa maladie.

Elle se tenoit si asseurée de jouïr de ce bonheur, qu'elle promettoit sans hésiter aux personnes à qui elle avoit obligation de bien prier le Sauveur et sa Sainte Mere, pour leur obtenir les vertus qui leur seroient les plus necessaires. Enfin, le moment qu'elle avoit tant desiré estant venu, elle expira doucement en recommandant jusqu'au dernier soupir son ame à son espoux celeste.

Son visage, qu'elle avoit toûjours eu fort beau, parut aprés sa mort plus frais, plus vif et plus esclatant qu'à l'ordinaire; de sorte que tout le monde en glorifia Dieu, comme d'vn effet de sa toute puissance qui vouloit donner cette marque de l'estat heureux auquel il avoit appelé cette fille admirable. Les peuples, persuadés de sa Sainteté, parerent ce corps vierge, et accompagnerent son enterrement de toute la plus grande magnificence qui se puisse pratiquer en ce païs, comme s'ils eussent plutost celebré ses noces avec le divin espoux des ames, qu'vne ceremonie lugubre.





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En français contemporain
RELATION DE CE QVI S'EST PASSÉ EN LA NOVVELLE FRANCE ÈS ANNÉES 1665 ET 1666.
Par le R. P. FRANÇOIS LE MERCIER (*).

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CHAPITRE PREMIER.

De ce qui s'est passé de plus remarquable à Québec.


Comme la Reine mère a toujours donné des marques toutes particulières de sa bonté pour ce pays, et de son zèle pour y établir la foi, on n'a pas cru devoir rien omettre de tout ce qui pouvait contribuer à faire voir la reconnaissance que l'on en conserve après sa mort. Aussitôt que l'on en reçut la nouvelle, on se mit en devoir de témoigner par le deuil des églises celui que chacun avait très avant dans le cœur; elles furent toutes tendues en noir, et l'on y fit pendant plusieurs jours les services et les prières ordinaires.

M. Talon, Intendant pour le roi en ce pays, signala surtout l'affection qu'il a pour le service de sa Majesté, et son respect pour la mémoire de cette grande princesse, faisant faire Je 3 aoust de l'année 1666 dans la principale église de Québec, un service chanté en musique qui eût semblé magnifique partout ailleurs, mais qui le parut au delà de ce qu'on peut exprimer dans un pays ou l'on n'avait jamais rien vu de semblable.

M. de Tracy, Lieutenant General de sa Majesté en toute l'Amerique, M. de Courcelles Gouverneur de la Nouvelle-France, M. l'Intendant et toutes les personnes considérables s'y trouveront en deuil et Mgr. l'Évêque de Pétrée y officia, assisté de plusieurs ecclésiastiques en chape.

Toute cette assemblée fut d'autant plus satisfaite de l'oraison funèbre qui y fut prononcée qu'on y fit surtout l'éloge de ce zèle admirable que cette grande Reine avait toujours eu pour la conservation de ce pays, et pour le salut des infidèles, dont on voit ici de tout côté des marques illustres.

C'est ce qu'on pouvait mander de plus considérable de Québec, et à quoi l'on a cru que l'on s'intéresserait davantage en France, comme l'on ne pouvait rien faire en Canada avec plus de justice, ni avec plus d'affection.


Toutes les autres choses qui s'y font d'ordinaire soit pour le salut des âmes, soit pour la gloire et pour les avantages de notre nation, s'y font avec plus d'ordre, plus de soin et plus de vigueur que jamais, par le désir que ceux qui y sont ont de plaire au Roy du Ciel et d'obéir au plus grand Roy de la terre, qu'on voit étendre les effets de sa vigilance et de sa bonté sur ces peuples, que Dieu appelle à la foi par son moyen, comme sur ceux dont la conduite lui a été laissée par ses ancêtres.

Entre plusieurs Sauvages qui ont été, en mourant saintement, d'heureux fruits des Missions, on a surtout admiré une petite fille huronne que cette église a perdue à l'âge de treize ans. Il n'y avait rien de si surprenant que de voir cet enfant, qui, ayant perdu dès l'age de 10 ans son père et sa mère, non seulement se passait de leur conduite, par les lumières et les secours extraordinaires qu'elle recevait de l'esprit de Dieu, mais tenait aussi bien de père et de mère à deux frères qu'elle avait beaucoup plus jeunes qu'elle.

Elle vivait dans une retraite et dans un recueillement continuels, et Dieu lui donnait des sentiments de nos mysteres si fort au-dessus de son âge qu'il n'y avait personne qui n'en fut surpris. Ses deux petits frères, qu'elle nourrissait de son travail, recevaient aussi d'elle toutes les instructions et tous les exemples de vertu dont leur âge était capable, de sorte que les plus habiles Missionnaires qui s'y fussent donné bien dè la peine, n'eussent pu y mieux réussir. La mort de ces deux petits garçons l'ayant laissée libre, elle demanda avec instance d'entrer chez les Meres Ursulines, et elle était sur le point de l'obtenir, lorsqu'il plut à Dieu de la placer dans le Ciel parmi les Vierges qui suivent l'agneau.

Tous ceux de sa nation et les Français de tout âge allaient à l'envie admirer le courage de cette généreuse fille, et s'instruire par les exemples de sa résignation et de sa patience. La dévotion tendre qu'elle avait pour le Saint Sacrement de l'autel lui faisait ardemment désirer de ne passer aucun jour sans recevoir ce pain de tous les jours. On le lui accorda seulement trois fois durant sa maladie et son extrême faiblesse ne la put empêcher de l'aller recevoir à genoux les deux premières fois; mais la dernière, le mal l'ayant trop accablée, elle fut obligée de demeurer au lit: elle reçut alors son Sauveur avec des sentiments si tendres, des désirs et des transports d'amour si ardents, que les personnes qui étoient accourues en grand nombre, fondaient en larmes à ce spectacle, et semblaient toutes ressentir la même dévotion qui était dans le cœur de la malade: Ah! mon Sauveur, disait-elle souvent, quand vous verrai-je; puisque ce ne peut être en cette vie, accordez-moi une prompte mort.

Rien ne l'affligeait tant que lorsqu'on luy disait que sa dernière heure n'était pas si proche; et l'on peut dire que cette sainte impatience de s'unir à Dieu, lui était incomparablement plus sensible que toutes les douleurs de sa maladie.

Elle se tenait si assurée de jouir de
ce bonheur, qu'elle promettait sans hésiter aux personnes à qui elle avait obligation de bien prier le Sauveur et sa Sainte Mère, pour leur obtenir les vertus qui leur seraient les plus nécessaires. Enfin, le moment qu'elle avait tant désiré étant venu, elle expira doucement en recommandant jusqu'au dernier soupir son âme à son époux céleste.

Son visage, qu'elle avait toujours eu fort beau, parut après sa mort plus frais, plus vif et plus éclatant qu'à l'ordinaire; de sorte que tout le monde en glorifia Dieu, comme d'un effet de sa toute puissance qui voulait donner cette marque de l'état heureux auquel il avait appelé cette fille admirable. Les peuples, persuadés de sa Sainteté, parèrent ce corps vierge, et accompagnèrent son enterrement de toute la plus grande magnificence qui se puisse pratiquer en ce pays, comme s'ils eussent plutôt célébré ses noces avec le divin époux des âmes, qu'une cérémonie lugubre.











I. Page 1

De ce qui s'est passé de plus remarquable à Quebec.


texte à venir

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En français contemporain

De ce qui s'est passé de plus remarquable à Québec.

II. Page 3

Des Missions Huronnes, Algonquines et Papinakioises.

texte à venir
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En français contmporain

Des missions huronnes, algonquines et papinachoises.

vendredi, juillet 02, 2010

III. Page 5

De la Guerre et des traités de Paix des François auec les Iroquois.

texte à suivre
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En français contemporain


De la guerre et des traités de paix des Français avec les Iroquois.

ANNÉE 1667. Page 1

RELATION DE CE QVI S'EST PASSÉ DE PLVS REMARQVABLE AUX MISSIONS DES PERES DE LA COMPAGNIE DE lESUS EN LA NOUVELLE FRANCE, ÈS ANNÉES 1666. ET 1667.

Enuoyée au R.P., ESTIENNE DECHAMPS Prouincial de la Prouince de France (*)


(*) D'après l'édition de Sébastien Mabre-Cramoisy, publiée à Paris en 1667.
Relation-1667. A
texte à venir
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En français contemporain

RELATION DE CE QUI S'EST PASSÉ DE PLUS REMARQUABLE AUX MISSIONS DES PÈRES DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS EN NOUVELLE FRANCE, LES ANNÉES 1666 ET 1667.

Envoyée au R.P., ÉTIENNE DESCHAMPS Provincial de la Province de France (*)


(*) D'après l'édition de Sébastien Mabre-Cramoisy, publiée à Paris en 1667.
Relation-1667. A

I. Page 2

De l'Estat où se trouue le Canada depuis deux ans.

texte à suivrre
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En français contemporain

De l'état où se trouve le Canada depuis deux ans.

II. Page 4

Relation de la Mission du Saint Esprit aux Outaouak dans le lac de Tracy, dit auparauant le Lac Superieur.

texte à suivre

--------------------------------------------------------------------------------------------------En français contemporain

Relation de la Mission du Saint Esprit aux Outaouais dans le lac de Tracy, dit auparauant le Lac Supérieur.

III. Page 9

De l'arriuée et demeure du Missionnaire à l'Anse du Saint Esprit, appelée Chagouamigong.

texte à venir

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En français contemporain

De l'arrivée et demeure du missionnaire à l'Anse du Saint Esprit, appelée Chagouamigong (La Pointe, Wisconsin).

IV. Page 10

Conseil general des Nations du pays des Outaouak.

texte à venir
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En framçais contemporain


Conseil général des nations du pays des Indiens Ottawa..

V. Page 11

Des faux Dieux et de quelques coustumes superstitieuses des Sauuages de ce païs.

texte à venir
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En français contemporain


Des faux dieux et de quelques coutumes superstitieuses des Sauvages de ce pays.

VI. Page 13

Relation de la Mission du S. Esprit, dans le Lac de Tracy.



texte à venir

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En français contemporain

Relation de la Mission du S. Esprit, dans le Lac Supérieur.

VII. Page 15

De la Mission des Tionnontatehronnons.


texte à venir

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En français contemporain

De la Mission des Tionnontatehronnons ou Pétuns.

VIII. Page 17

De la Mission des Outaouak, Kiskakoumac et Outaoüasinagouk.
texte à venir

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En français contemporain


De la Mission des Indiens Ottawa, Kiskakoumac et Outaouasinagouk.

IX. Page 18

De la Mission des Pouteoüatamiouek.

texte à venir

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En français contemporain



De la Mission des Pouteouatamis (nation ojibwée).

X. Page 21

De la Mission des Ousakiouek, et des Outagamiouek.



texte à venir

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En français moderne


De la Mission des Ousakiouek, et des Renards.

XI. Page 21

De la Mission des Ilimouek ou Alimouek.

texte à vvenir

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En français contemporain



De la Mission des Illinois.

XII. Page 23

De la Mission des Nadouessiouek.


texte à venir

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En français contemporains



De la Mission des Sioux.

XIII. Page 23

De la Mission des Kilistinons.



texte à venir

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En français contemporain



De la Mission des Kilistiuons.

XIV. Page 24

De la Mission des Outchibouek.



texte à venir

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En français contemporain



De la Mission des Outchiboueks.

XV. Page 24

De la Mission des Nipissiriniens, et du voyage du Pere Alloüez au lac Alimibegong.



texte à venir

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En français contemporain

De la Mission des Nipissiriniens, et du voyage du Père Allouez au lac Alimibegong.

XVI. Page 26

Retour du Pere Claude Allouez à Quebec, et son depart pour remonter aux Outaouak.
texte à venir

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En français contemporain


Retour du Père Claude Allouez à Québec, et son départ pour remonter aux Indiens Ottawa.

XVII. Page 27

De la Mission des Papinachois, et de celle du Lac Saint Iean.



texte à venir

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En français contemporain

De la Mission des Papinachois, et de celle du Lac St.-Jean.

texte à venir

XVIII. Page 28

Du restablissement des Missions des Iroquois.

texte à venir

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En français contemporain


Du rétablissement des Missions des Iroquois.

mercredi, juin 30, 2010

XIX. Page 29

Recit des merueilles arrivées en l'Eglise de sainte Anne du petit Cap, Coste de Beaupray, en la Nouvelle France.


Ce recit porte le nom de merueilles, et non de miracles, afin de ne contreuenir en rien aux ordres de la Sainte Eglise, qui defend de qualifier ces choses extraordinaires de ce nom de miracles, iusqu'à ce qu'elle en aye fait le jugement.

Comme Dieu a tousiours choisi quelques Eglises specialement entre les autres, où par l'intercession de la sainte Vierge, des Anges et des Saints, il ouure largement le sein de ses misericordes, et fait quantité de miracles, qu'il n'opere pas ordinairement ailleurs, il semble aussi qu'il a voulu choisir en nos jours l'Eglise de sainte Anne du petit Cap, pour en faire vn azile fauorable, et vn refuge asseuré aux Chrétiens de ce nouueau monde, et qu'il a mis entre les mains de cette sainte vn thresor de graces et de benedictions, qu'elle depart liberalement à ceux qui la reclament deuotement en ce lieu. C'est asseurement pour cette mesme fin qu'il a imprimé dans les cœurs vne deuotion singuliere et vne confiance extraordinaire en la protection de cette grande sainte; ce qui fait que les peuples y recourent dans tous leurs besoins, et qu'ils en reçoiuent des secours tres-signalés et tres-extraordinaires, comme nous le voyons dans les merueilles qui s'y sont operées depuis six ans. Ce n'est pas mon dessein de les raporter icy toutes, mais seulement quelques vnes des plus considerables, pour satisfaire à la pieté des personnes qui l'ont souhaité de moy. Ie le fais d'autant plus volontiers, qu'ayant esté tesmoin occulaire, ou tres bien informé de ces choses, ie les diray auec plus de certitude.



I.

En l'année 1662. Marie Esther Ramage, agée de 45. ans, femme d'Elie Godin, de la Paroisse de sainte Anne du petit Cap, estant demeurée depuis dix huit mois, toute courbée, en sorte qu'elle ne pouuoit aucunement se redresser, et qu'elle estoit obligée de se traisner comme elle pouuoit auec son baston, sans esperance de pouuoir iamais recouurer par les remedes humains sa santé; se souuint de ce que son mary Iuy auoit dit qu'en sa presence, Louis Guymond, de la mesme Paroisse, auoit esté soudainement gueri d'vne grande douleur de reins, en mettant par deuotion trois pierres aux fondements de l'Eglise de sainte Anne, que l'on commençoit de bastir. Alors elle reclama la Sainte, la priant de faire sur elle vn miracle comme elle auoit fait sur cet homme; à mesme temps, s'oubliant de son baston qui disparut, elle se trouua sur ses pieds toute droite, marchant auec autant de facilité qu'elle eut iamais fait; et toute estonnée d'vn changement si subit, elle commence à rendre graces à sainte Anne, du bienfait qu'elle venoit de receuoir, et du depuis elle est restée en parfaite santé. Ce miracle a beaucoup serui à confirmer dans la foy toute cette famille qui auoit long-temps vescu dans la religion pretenduë reformée.


II.

En la mesme année, le 26. de Iuillet, Feste de la glorieuse sainte Anne, Nicolas Droüin, agé de 14. ans, fils de Elie Godin, agé de cinquante ans, de Robert Droüin, de la Paroisse du Chasteau Riché, coste de Beaupray, estant affligé du mal caduc, qui le mettoit souuent en danger de perir ou par le feu, ou dans les eaux, tombant comme mort au lieu où il s'en trouuoit surpris, se voüa à sainte Anne, et commença une neufuaine en son honneur, suiuant le conseil que ie luy en donnay, et à ses parents, qui me le demandoient; et par ce moyen il recouura sa santé, et estant du depuis parfaitement gueri de son infirmité, il continuë tous les ans auec ses parents, de rendre ses actions de graces à sainte Anne, le iour de sa Feste en son Eglise du petit Cap.


III.

L'année 1664. Marguerite Dire, femme de Mathurin Roy, habitant de Quebec, s'estant rompu vne iambe, et les os, diuisez en quatre, n'ayans peu estre reunis, elle estoit demeurée estropiée depuis huit mois, sans pouuoir aucunement marcher et sans esperance de le pouvoir aucunement à l'aduenir, car tel estoit le sentiment des Chirurgiens. C'est ce qui l'obligea de recourir à Dieu, auec confiance, par l'intercession de sainte Anne. Elle commença pour cét effet vne neufuaine, se confessa generallement, et ayant fait vœu de visiter tous les ans vne Eglise ou Chapelle dediée en l'honneur de sainte Anne, elle se fit porter le iour de sa Feste en son Eglise du petit Cap, où assistant à la Messe, elle se sentit fortifiée au temps de l'Eleuation, et en suite quand il fallut aller à la sainte Communion, elle quitta ses potences, marchant vers l'Autel, et comme le peuple la vouloit soûtenir, elle dit: I'iray bien toute seule, la bonne Sainte m'a fortifiée et fait miracle sur moy; graces à Dieu; il Y a huit mois que ie n'en auois autant fait. Depuis ce temps-­là elle ne s'est plus seruie de potences, et a pu librement vaquer à son ménage, et elle continuë tous les ans de rendre son vœu à Sainte Anne.


IV.

Elie Godin, agé de cinquante ans, de la Paroisse de Sainte Anne, estant malade d'vne hydropisie formée, à laquelle les remedes ne pouuoient apporter aucun soulagement, pensoit à se disposer à la mort, et me fit appeler, pour luy donner le saint Viatique; alors ie luy dis qu'il eust recours à la sainte Vierge et à sainte Anne, et aprés l'auoir disposé, ie m'en allay à l'Eglise, dire la sainte Messe à son intention, d'où reuenant pour le communier, il me dit d'vn visage serein: Monsieur, ie suis guery, permettez moy de me leuer; pendant que vous estiés à l'Eglise, comme ie disois mon Chapelet, ie me suis doucement endormy, et i'ay veu pendant mon sommeil, deux venerables Dames qui se sont approchées de moy, et dont l'vne tenoit en sa main vne boëte qu'elle a ouuerte, où i'ay veu dedans vn chemin fort long, et fort estroit, qui conduisoit au Ciel; à cette veüe ie me suis trouué tout rempli de consolation, et tout soulagé de mon mal. En effet apres la sainte Communion, il rend graces à Dieu, se leue, s'en va à l'Eglise, et auant que d'auoir acheué sa neufuaine il fut en estat de trauailler comme auant sa maladie.


V.

Jean Adam, aagé de 23. ans, de Brinon l'Archeuesque, petite ville au Diocese de Sens, le 24. de Mars 1665. se sentit tout en vn instant comme frappé de deux coups d'alênes dans les deux yeux, ne voyant plus que fort peu, et dans quelques iours deuint entierement aueugle, et demeura en cét estat iusques au mois de Iuin, où il fit vœu de dire neuf fois son Rosaire en l'honneur de sainte Anne, d'aller visiter son Eglise du petit Cap. Il fit encore vn pareil vœu à Nostre Dame de Lorette en Italie, aprés quoy il fut conduit à sainte Anne, où le Prestre disant apres la Messe l'Euangile de saint Anne sur luy, il vit par trois diuerses fois fort distinctement, mais d'vne veuë seulement passagere et momentanée, en sorte toutefois qu'il pût aisement discerner la couleur des ornements, qu'il n' auoit iamais veus, et se sentit poussé d'vne viue esperance que trois iours apres, qui estoit la fin de sa neufuaine, il recouureroit entierement la veuë, ce qu'il declara hautement et ce qui arriua comme il l'auoit dit; car le troisiéme iour, lorsqu'on disoit pour luy la Messe en l'Eglise du College des Reuerends Peres de la Compagnie de Iesus à Quebec, il sentit comme si on luy eust donné derechef deux coups d'alêne dans les deux yeux, qui ietterent quelques gouttes d'eau et ensuite il apperceut à l’Eleuation, la sainte Hostie, entre les mains du Prestre, et du depuis il a l'vsage de la veüe plus parfait qu'il ne l'auoit eu auant cét accident.


VI.


En l'année 1667. le 29. de Iuin, Jean Pradere, agé de 22. ans, de la ville et Archeueché de Thoulouse, soldat du Regiment de Carignan, estant frappé de deux infirmitez, dont l'vne estoit mortelle, et l'autre incurable, eut pendant vne nuit vn sentiment extraordinaire, et entendit vne voix qui luy dit que s'il plaisoit à Dieu luy donner la santé, ce seroit vn grand bien pour luy de se donner pour toute sa vie au seruice des malades de l'Hospital, où il estoit pour lors; il y consent volontiers, et demeure dans vne ferme esperance qu'il gueriroit nonobstant vne apostume qu'il auoit dans l'estomac, qui luy causoit vn hocquet qui ne presageoit qu'vne mort prompte et asseurée. En effet on luy donna l’Extreme-onction, iugeant qu'il alloit bien tost mourir. Dieu neantmoins le deliura de ce premier danger en peu de temps; mais pour le second, on luy declara qu'il n'y auoit aucuns remedes humains à faire, et qu'il falloit auoir recours à Dieu, qui seul le pouuoit guerir. Car il auoit perdu l'vsage et le sentiment d'vne iambe depuis six mois, en sorte qu'il ne sentoit ny les coups dont il la frappoit, ny les incisions qu'il y faisoit, en se pansant soy-mesme, non plus que si elle eust esté morte. Se voyant en cét estat sans rien diminuer de sa confiance, il prend resolution d'aller à sainte Anne du petit Cap, à six lieuës de Quebec, pour y faire vne neufuaine, et obtenir par l'intercession de cette glorieuse Sainte, la santé qu'il esperoit. Il commence donc sa neufuaine et ses prieres, souffre de grandes tentations et peines d'esprit, pendant les premiers iours, iusques au cinquiéme, qui estoit la feste des glorieux Apostres saint Pierre et saint Paul, auquel iour estant au pied de l'Autel de sainte Anne, il sentit en sa iambe de tres-grandes douleurs, et notamment tous les coups dont il l'auoit frappée pendant quelle estoit insensible, en suite il se laissa aller comme à vn doux sommeil, dont reuenant à soy, il se sentit plein d'une extreme consolation, et il apperceut sur sa iambe vne sueur dont elle estoit trempée, et de là s'exhaloit vne odeur si suaue qu'il n'auoit iamais rien senti de pareil. Aussitost aprés il voit sa iambe sans aucune humidité, et aussi parfaitement restablie que s'il n'y auoit iamais eu de mal. Il rend graces à Dieu, et à sainte Anne, de la faueur qu'il venoit de receuoir par son intercession, il quitte ses potences, et marche maintenant auec autant de facilité, qu'il ait iamais marché, non sans l'admiration de ceux qui connoissoient son incommodité et iugeoient qu'il estoit aussi difficile de le guerir que de resusciter vn mort; mais l'vn et l'autre est facile à Dieu, à qui rien n'est impossible.

Outre les merueilles que ie viens de rapporter, il y en a beaucoup d'autres, dont i'ay connoissance et que ie touche seulement en general, disant que grand nombre de personnes s'estant vouées à sainte Anne, ont esté secouruës miraculeusement, les vnes ayant euité la mort, le Canot s'estant reuerse sur eux, les autres ayans fait naufrage dans des Chalouppes, ceux-cy et ceux-là se voyans reduits dans vn extreme peril de la vie, d'autres ont gueri de diuerses maladies où les remedes humains estoient impuissants. Les femmes enceintes ont experimenté des secours extraordinaires dans des couches dangereuses, les enfans affligez de fascheuses descentes ont esté gueris. Plusieurs trouuent en ce lieu soulagement en leurs infirmitez, y reclamant sainte Anne avec deuotion et confiance. Ce qui me paroist neantmoins de plus considerable parmy toutes ces faueurs, ce sont les graces tres-puissantes que Dien a données par l'intercession de cette sainte à plusieurs pecheurs pour leur conversion à une vne meilleure vie. Ayant depuis cinq ou six ans fait les fonctions curiales en cette Eglise, i'en ay connu plusieurs à qui ce bonheur est arriué; mais ces faueurs se passans entre Dieu et l'ame au secret du cœur, elles ne se connoistront bien que dans l'eternité.

De si heureux commencements nous font esperer que Dieu par l'intercession de sainte Anne, comblera en ce saint lieu de mille benedictions tout ce nouueau païs. Plaise à sa bonté que nos pechez n'en arrestent pas le cours.


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Extraict du Priuilege du Roy.



Par Grace et Privilege du Roy, il est permis à Sebastien Cramoisy, Imprimeur ordinaire du Roy, Directeur de l'Imprimerie Royale du Louure, et ancien Eschevin de Paris, d’imprimer, ou faire imprimer, vendre et debiter vn Livre intitulé: La Relation de ce qui s'est passé en la Mission des Peres de la Compagnie de Iesus au Païs de la Nouvelle-France, ès années 1666. et 1667. Et ce pendant le temps de vingt années; avec defenses à tous Libraires, Imprimeurs et autres d'imprimer ou faire imprimer le dit Liure, sous pretexte de déguisement ou changement, aux peines portées par le dit Priuilege. Donné à Paris, en Ianvier 1667.

Signé par le Roy en son Conseil.
MABOVL.

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Texte en français contemporain

Récit des merveilles arrivées en l'Église de sainte Anne du petit Cap, Côte de Beaupré, en la Nouvelle France.


Ce récit porte le nom de merveilles, et non de miracles, afin de ne contrevenir en rien aux ordres de la Sainte Église, qui défend de qualifier ces choses extraordinaires de ce nom de miracles, jusqu'à ce qu'elle en ait fait le jugement.

Comme Dieu a tousjours choisi quelques églises specialement entre les autres, où par l'intercession de la sainte Vierge, des anges et des saints, il ouvre largement le sein de ses miséricordes, et fait quantité de miracles, qu'il n'opère pas ordinairement ailleurs, il semble aussi qu'il a voulu choisir en nos jours l'église de sainte Anne du petit Cap, pour en faire un asile favorable, et un refuge assuré aux chrétiens de ce nouveau monde, et qu'il a mis entre les mains de cette sainte un trésor de grâces et de bénédictions, qu'elle départ libéralement à ceux qui la réclament dévotement en ce lieu. C'est assurément pour cette même fin qu'il a imprimé dans les cœurs une dévotion singulière et une confiance extraordinaire en la protection de cette grande sainte; ce qui fait que les peuples y recourent dans tous leurs besoins, et qu'ils en reçoivent des secours très signalés et très extraordinaires, comme nous le voyons dans les merveilles qui s'y sont opérées depuis six ans. Ce n'est pas mon dessein de les rapporter ici toutes, mais seulement quelques unes des plus considérables, pour satisfaire à la piété des personnes qui l'ont souhaité de moi. Je le fais d'autant plus volontiers, qu'ayant été témoin oculaire, ou très bien informé de ces choses, je les dirai avec plus de certitude.

I.


En l'année 1662. Marie Esther Ramage, âgée de 45 ans, femme d'Élie Godin, de la paroisse de sainte Anne du petit Cap, étant demeurée depuis dix huit mois, toute courbée, en sorte qu'elle ne pouvait aucunement se redresser, et qu'elle était obligée de se traîner comme elle pouvait avec son bâton, sans espérance de pouvoir jamais recouvrer par les remèdes humains sa santé; se souvint de ce que son mari Iui avait dit qu'en sa présence, Louis Guymond, de la même Paroisse, avait été soudainement guéri d'une grande douleur de reins, en mettant par dévotion trois pierres aux fondements de l'église de sainte Anne, que l'on commençait de bâtir. Alors elle réclama la Sainte, la priant de faire sur elle un miracle comme elle avait fait sur cet homme; en même temps, s'oubliant de son bâton qui disparut, elle se trouva sur ses pieds toute droite, marchant avec autant de facilité qu'elle eut jamais fait; et toute étonnée d'un changement si subit, elle commence à rendre grâces à sainte Anne, du bienfait qu'elle venait de recevoir, et depuis elle est restée en parfaite santé. Ce miracle a beaucoup servi à confirmer dans la foi toute cette famille qui avait longtemps vécu dans la religion prétendue réformée.


II.

En la même année, le 26 juillet, fête de la glorieuse sainte Anne, Nicolas Drouin, âgé de 14 ans, fils d’Élie Godin, âgé de cinquante ans, de Robert Drouin, de la paroisse du Château Riché, côte de Beaupré, étant affligé du mal caduc (menaçant de tomber), qui le mettait souvent en danger de périr ou par le feu, ou dans les eaux, tombant comme mort au lieu où il se trouvait surpris, se voua à sainte Anne, et commença une neuvaine en son honneur, suivant le conseil que je lui en avais donné, et à ses parents, qui me le demandaient; et par ce moyen il recouvra sa santé, et étant depuis parfaitement guéri de son infirmité, il continue tous les ans avec ses parents, de rendre ses actions de grâces à sainte Anne, le jour de sa fête en son église du petit Cap.

III.

L'année 1664 Marguerite Dire, femme de Mathurin Roy, habitant de Québec, s'étant rompu une jambe, et les os, divisés en quatre, n'ayant pu être réunis, elle était demeurée estropiée depuis huit mois, sans pouvoir aucunement marcher et sans espérance de le pouvoir aucunement à l'avenir, car tel eétait le sentiment des chirurgiens. C'est ce qui l'obligea de recourir à Dieu, avec confiance, par l'intercession de sainte Anne. Elle commença pour cét effet une neuvaine, se confessa générallement, et ayant fait vœu de visiter tous les ans une église ou chapelle dédiée en l'honneur de sainte Anne, elle se fit porter le jour de sa fête en son église du petit Cap, où assistant à la Messe, elle se sentit fortifiée au temps de l'élévation, et ensuite quand il fallut aller à la sainte communion, elle quitta ses potences, marchant vers l'autel, et comme le peuple la voulait soutenir, elle dit: J'irai bien toute seule, la bonne Sainte m'a fortifiée et fait miracle sur moi; grâces à Dieu; il Y a huit mois que je n'en avais autant fait. Depuis ce temps-là elle ne s'est plus servi de potences, et a pu librement vaquer à son ménage, et elle continue tous les ans de rendre son vœu à Sainte Anne.


IV.

Élie Godin, âgé de cinquante ans, de la paroisse de Sainte Anne, étant malade d'une hydropisie formée, à laquelle les remèdes ne pouvaient apporter aucun soulagement, pensait à se disposer à la mort, et me fit appeler, pour lui donner le saint viatique; alors je lui dis qu'il eut recours à la sainte Vierge et à sainte Anne, et après l'avoir disposé, je m'en allai à l'église, dire la sainte messe à son intention, d'où revenant pour le communier, il me dit d'un visage serein: Monsieur, je suis guéri, permettez-moi de me lever; pendant que vous étiez à l'église, comme je disais mon chapelet, je me suis doucement endormi, et j'ai vu pendant mon sommeil, deux vénérables dames qui se sont approchées de moi, et dont l'une tenait en sa main une boîte qu'elle a ouverte, où j'ai vu dedans un chemin fort long, et fort étroit, qui conduisait au ciel; à cette vüe je me suis trouvé tout rempli de consolation, et tout soulagé de mon mal. En effet après la sainte Communion, il rend grâces à Dieu, se lève, s'en va à l'église, et avant que d'avoir achevé sa neuvaine il fut en état de travailler comme avant sa maladie.


V.

Jean Adam, âgé de 23 ans, de Brinon l'Archevesque, petite ville au diocèse de Sens, le 24 mars 1665 se sentit tout en un instant comme frappé de deux coups d'alênes dans les deux yeux, ne voyant plus que fort peu, et dans quelques jours devint entièrement aveugle, et demeura en cet état jusqu’au mois de juin, où il fit vœu de dire neuf fois son rosaire en l'honneur de sainte Anne, d'aller visiter son église du petit Cap. Il fit encore un pareil vœu à Nostre Dame de Lorette en Italie, après quoi il fut conduit à sainte Anne, où le prêtre disant après la messe l'Évangile de saint Anne sur lui, il vit par trois diverses fois fort distinctement, mais d'une vue seulement passagère et momentanée, en sorte toutefois qu'il pût aisément discerner la couleur des ornements, qu'il n' avait jamais vus, et se sentit poussé d'une vive espérance que trois jours après, qui était la fin de sa neuvaine, il recouvrerait entièrement la vue, ce qu'il déclara hautement et ce qui arriva comme il l'avait dit; car le troisième jour, lorsqu'on disait pour lui la messe en l'église du Collège des Révérends Pères de la Compagnie de Jésus à Québec, il sentit comme si on lui eut donné derechef deux coups d'alêne dans les deux yeux, qui jetèrent quelques gouttes d'eau et ensuite il aperçut à l’élévation, la sainte hostie, entre les mains du prêtre, et depuis il a l'usage de la vue plus parfait qu'il ne l'avait eu avant cet accident.


VI.

En l'année 1667 le 29 juin, Jean Pradère, âgé de 22 ans, de la ville et Archevêché de Toulouse, soldat du Régiment de Carignan, étant frappé de deux infirmités, dont l'une était mortelle, et l'autre incurable, eut pendant une nuit un sentiment extraordinaire, et entendit une voix qui lui dit que s'il plaisait à Dieu lui donner la santé, ce serait un grand bien pour lui de se donner pour toute sa vie au service des malades de l'hôpital, où il était pour lors; il y consent volontiers, et demeure dans une ferme espérance qu'il guérirait nonobstant une apostume qu'il avait dans l'estomac, qui lui causait un hoquet qui ne présageait qu'une mort prompte et assurée. En effet on lui donna l’extrême-onction, jugeant qu'il allait bientôt mourir. Dieu néanmoins le délivra de ce premier danger en peu de temps; mais pour le second, on lui déclara qu'il n'y avait aucun remède humain à faire, et qu'il fallait avoir recours à Dieu, qui seul le pouvait guérir. Car il avait perdu l'usage et le sentiment d'une jambe depuis six mois, en sorte qu'il ne sentait ni les coups dont il la frappait, ni les incisions qu'il y faisait, en se pansant soi-même, non plus que si elle eut été morte. Se voyant en cet état sans rien diminuer de sa confiance, il prend résolution d'aller à sainte Anne du petit Cap, à six lieux de Québec, pour y faire une neuvaine, et obtenir par l'intercession de cette glorieuse sainte, la santé qu'il espérait. Il commence donc sa neuvaine et ses prières, souffre de grandes tentations et peines d'esprit, pendant les premiers iours, jusqu’au cinquième, qui était la fête des glorieux Apôtres saint Pierre et saint Paul, auquel jour étant au pied de l'autel de sainte Anne, il sentit en sa jambe de très grandes douleurs, et notamment tous les coups dont il l'avait frappée pendant qu’elle était insensible, ensuite il se laissa aller comme à un doux sommeil, dont revenant à soi, il se sentit plein d'une extrême consolation, et il aperçut sur sa jambe vne sueur dont elle était trempée, et de là s'exhalait une odeur si suave qu'il n'avait jamais rien senti de pareil. Aussitôt après il voit sa jambe sans aucune humidité, et aussi parfaitement rétablie que s'il n'y avait jamais eu de mal. Il rend grâces à Dieu, et à sainte Anne, de la faveur qu'il venait de recevoir par son intercession, il quitte ses potences, et marche maintenant avec autant de facilité, qu'il ait jamais marché, non sans l'admiration de ceux qui connaissaient son incommodité et jugeaient qu'il était aussi difficile de le guérir que de ressusciter un mort; mais l'un et l'autre est facile à Dieu, à qui rien n'est impossible.

Outre les merveilles que je viens de raporter, il y en a beaucoup d'autres, dont j'ai connaissance et que je touche seulement en général, disant que grand nombre de personnes s'étant vouées à sainte Anne, ont été secourues miraculeusement, les unes ayant évité la mort, le canot s'étant renversé sur eux, les autres ayans fait naufrage dans des chaloupes, ceux-ci et ceux-là se voyant réduits dans un extrême péril de la vie, d'autres ont guéri de diverses maladies où les remèdes humains étaient impuissants. Les femmes enceintes ont expérimenté des secours extraordinaires dans des couches dangereuses, les enfants affligés de fâcheuses descentes (hernies)ont été guéris. Plusieurs trouvent en ce lieu soulagement en leurs infirmités, y réclamant sainte Anne avec dévotion et confiance. Ce qui me parait néanmoins de plus considérable parmi toutes ces faveurs, ce sont les grâces très puissantes que Dien a données par l'intercession de cette sainte à plusieurs pécheurs pour leur conversion à une une meilleure vie. Ayant depuis cinq ou six ans fait les fonctions curiales en cette église, j'en ai connu plusieurs à qui ce bonheur est arrivé; mais ces faveurs se passant entre Dieu et l'âme au secret du cœur, elles ne se connaîtront bien que dans l'éternité.

De si heureux commencements nous font espérer que Dieu par l'intercession de sainte Anne, comblera en ce saint lieu de mille bénédictions tout ce nouveau pays. Plaise à sa bonté que nos péchés n'en arrêtent pas le cours.


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Extrait du Privilège du Roi.

Par Grâce et Privilège du Roi, il est permis à Sébastien Cramoisy, Imprimeur ordinaire du Roi, Directeur de l'Imprimerie Royale du Louvre, et ancien Échevin de Paris, d’imprimer, ou faire imprimer, vendre et débiter un Livre intitulé: La Relation de ce qui s'est passé en la Mission des Pères de la Compagnie de Jésus au Pays de la Nouvelle-France, les années 1666 et 1667. Et ce pendant le temps de vingt années; avec défense à tous Libraires, Imprimeurs et autres d'imprimer ou faire imprimer le dit Livre, sous prétexte de déguisement ou changement, aux peines portées par le dit Privilège. Donné à Paris, en janvier 1667.

Signé par le Roi en son Conseil.

MABOUL.



mardi, juin 29, 2010

ANNÉE 1668.

RELATION DE CE QVI S'EST PASSÉ DE PLVS REMARQVABLE AUX MISSIONS DES PERES DE LA COMPAGNIE DE IESUS EN LA NOVVELLE FRANCE, ÈS ANNÉES 1667. ET 1668.

Enuoyée au R.P. ESTIENNE DECHAMPS Prouincial de la Prouince de France (*)


(*) D'après l'édition de Sébastien Mabre-Cramoisy, publiée à Paris en 1669.

Relation-1668. A



Mon Reverend Pere,

Cette Relation fera voir les fruits de la Paix, dont les cinq Nations Iroquoises furent obligées de nous rechercher l'année derniere, aprés y avoir esté contraintes par les troupes que sa Majesté nous avoit envoyées, qui ayant à leur teste Monsieur de Tracy, avoient esté porter la terreur et la desolation dans ce qu'il y avoit de plus fier et de plus superbe parmy nos ennemis. Nos Missions qui deslors y furent heureusement commencées par son authorité pour l'affermissement de la Paix, et pour le salut des ames, s'y sont multipliées avec tant de bonheur, que nous y avons cinq Missions dans toutes les Nations Iroquoiscs, où par la grace de Dieu, nous trouvons par tout des Chrestiens Hurons et Algonquins, pris autrefois en guerre, qui nous reclament et qui reconnoissent la voix de ceux qui les ont baptisez. Le Roy, continuant ses bontez sur la Nouvelle France, y entretient toûjours des troupes pour maintenir cette Paix, et la pluspart de ceux qui devoient estre reformez, de soldats se sont faits habitans sur le Païs, en sorte que les forces y sont demeurées quasi entieres, qui en peuplant la colonie, y donneront de nouveaux soldats tous faits pour le Païs, sans aucune depense, ny pour la solde, ny pour leur entretien. Nous remercions V. R. du secours des Missionnaires qu'elle nous a envoyez. Nous vous en demandons encore de surcroit, les peuples de ces contrées estans tellement dissipez de tous cotez à quatre et cinq cents lieuës d'icy, que nous sommes contraints de nous dissiper aussi nous-mesmes, pour aller porter par tout la lumiere de l'Evangile. Nous demandons pour cét effet le secours des prieres des gens de bien, qui liront cette Relation et celles de V. R.

Vostre tres-humble et tres-obeyssant seruiteur en N. S.

François Le Mercier.

I. Page 2

Des avantages qu'on retire de la Paix faite auec les Iroquois.

texte à venir

ART. I. Page 4

Voyage de trois Peres Iesuites chez les Iroquois Inferieurs.

texte à venir

ART. II. Page 6

Premier baptesme conferé à vne femme Iroquoise.


texte à venir

ART. III. Page 7

Rude épreuue d'vue autre femme Iroquoise après son Baptesme.

texte à venir

ART. IV. Page 9

De la reception des Peres dans les autres Bourgades Iroquoises, et d'vn celebre Conseil qui y fut tenu aprés leur arriuée.

texte à venit

ART. V. Page 11

De l'establissement du Christianisme dans le païs des Iroquois d'Agnié.

texte à venir

ART VI. Page 12

De l'yurognerie des Iroquois d'Agnié, et de ses malheureux effects.

texte à venir

III. Page 13

De la Mission de S. François Xauier chez les Iroquois d'Onneïout.

texte à venir

IV. Page16

De la Mission ùe S. Iean Baptiste aux Iroquois d'Onnontaé.

texte à venir

ART. I. Page 17

Presents faits par Garacontié, ambassadeur des Iroquois d'Onnontaé, et response qu'on y fait.


texte à venir

ART. II. Page 19

Heureuse rencontre pour le Baptesme d'vn Iroquois.

texte à suivre

V. Page 20

De la Mission de S. Ioseph chez les Iroquois d'Oïgoüen, et de celle d'vne Colonie d'Oïgoüen, nouuellement establie sur les Costes du Nord du lac Ontario.

texte à suivre

VI. Page 21

De la Mission du Saint Esprit aux Outaoüak.

texte à suivre

VII. Page 22

De la Mission de Tadoussac.

texte à venir

VIII. Page 24

Arriuée de Mgr. l'Euesque de Petrée à Tadoussac pour y faire sa visite.

texte à venir

IX. Page 25

De l'Eglise des Hurons à Quebec.

texte à venir

ART. I. Page 25

Conuersion remarquable d'vne ieune femme venuë des Iroquois à Quebec exprés pour s'y faire baptiser.

texte à suivre

ART. II. Page 26

Mort precieuse et admirable d'vne fille sauuage aagée de I4 ans.

texte à suivre

Page 30. Lettre de Mgr. l'Euesque de Petrée

à Monsieur Poitevin, curé de S. Iosse à Paris

texte à suivre

X. page 32

De la Mission de S. Michel dans la cinquiesme Nation des Iroquois à Sonnontouan.

texte à suivre

Page 32. Lettre circulairre de la mort de la Reuerende

Mere Catherine de S. Augustin

texte à suivre

lundi, juin 28, 2010

ANNÉE 1669. CHAPITRE 1, page 1 à 7

1. De la Mission des Martyrs dans le pays des Anniez ou Iroquois Inferieurs.

RELATION DE CE QVI S'EST PASSÉ DE PLVS REMARQVABLE AUX MISSIONS DES PERES DE LA COMPAGNIE DE lESUS EN LA NOUVELLE fRANCE, ÈS ANNÉES 1668. ET 1669.

Enuoyée au R.P., ESTIENNE DECHAMPS Prouincial de la Prouince de France (*)

(*) D'après l'édition de Sébastien Mabre-Cramoisy, publiée à Paris en 1670.

Relation-1669. A



CHAPITRE PREMIER.

De la Mission des Martyrs dans les païs des Anniez, ou Iroquois Inferieurs.

Le Peuple d'Agnié a esté autrefois une des plus florissantes Nations Iroquoises, et a touiours passé iusques à cette heure pour une des plus vaillantes et des plus fieres. Cet esprit guerrier qui l'occupoit aux armes, l'éloignoit si fort de la Foy, que l'on croyoit que les Agniez seroient les derniers à se soümettre à l'Evangile. Mais s'est servi des armes de la France pour donner commencement à leur conversion; leur courage s'est ramoli aprés leur defaite, et c'est maintenant de tous les peuples Iroquois, celuy qui donne de plus grandes esperances de sa conversion à la Foy Chreslienne.

Le Pere lean Pierron, aprés avoir fait un voyage à Quebec, arriva heureusement à Tinniontoguen, qui est le principal Bourg de cette nation, le 7. iour d'Octobre de l'année 1668. et prit entierement le soin de cette nouvelle Eglise, que le Pere Fremin luy laissa, aprés l'avoir cultivée avec des fatigues incroyables: le vivre y est si pauvre qu'on n'y mange presque point de chair ny de poisson; mais Dieu fait par sa grace que les Missionnaires vivent tres­contens dans ce depoüillement de toutes choses. Il n'y a rien de plus pauvre que nos Agniez, dit le Pere dans une de ses Lettres; mais avec cela ie les ayme plus que moy mesme, voyant les dispositions qu'ils ont au Christianisme.

Ie sçais, continuë ce Pere, assez la langue Iioquoise pour expliquer tout ce que ie veux dans les matieres de la reIigion, et pour entendre les Confessions des nouveaux Chrestiens, et sans l'occupation que me donnent les Tableaux que ie peins moy mesme, ie serois plus versé dans la langue que ie ne suis; mais ie trouve le fruit de ces peintures si grand que ie iuge qu'une partie de mon temps est bien employée à cet exercice; car ie fais par ces Tableaux, premierement que nos Sauvages y voyent sensiblement ce que ie leur enseigne, ce qui les touche plus fortement.

De plus i'ay cet advantage, qu'ils se servent de Predicateurs à eux mesmes, et que ceux qui ne viendroient pas prier par devotion, y viennent du moins par curiosité, et se laissent ainsi insensiblement prendre par cet attrait. Enfin i'ay trouvé moy mesme le secret de m'instruire, car en les entendant raconter nos Mysteres, j'apprens beaucoup de la langue, par le moyen de ces Images.

Entre les portraits que j'ay faits, il y en a un de la bonne et de la mauvaise mort. Ce qui m'a oblige a le faire, a esté que je voyois que les vieillards et les femmes âgées se fermoient avec les doigts les oreilles, du moment que je voulois parler de Dieu, et me disoient: Ie n'entens pas. I'ay donc mis dans un costé de mon Tableau un Chretien qui meurt saintement, ayant les mains jointes, en sorte qu'il tient la Croix et son Chapelet, puis son ame est élevée dans le Ciel, par un Ange, et les Esprits Bienheureux paroissent qui l'attendent. De l'autre costé j'ay mis dans un lieu plus bas une femme cassée de veillesse qui y meurt, et qui ne voulant pas écouter un Pere Missionnaire, qui luy montre le Paradis, tient auec les doigts ses deux oreilles fermées; mais un Demon sort de l'Enfer qui luy prend les bras et les mains, et met luy mesme ses doigts dans les oreilles de cette femme mourante. L'ame de cette femme est enlevée par trois Demons, et un Ange qui sort d'une nuée, l'espée à la main les precipite dans les abymes.

Cette figure m'a donné une belle matiere de parler de l'immortalité de nos ames, et des biens et des maux de l'autre vie, et l'on n'a pas plus tost conceû l'explication de mon Tableau, qu'il ne s'est plus trouvé personne qui ayt osé dire: Ie n'entens pas; que si cette Image a eu cet effet, j'espere que celle de l'Enfer que ie travaille, en aura encore un plus grand à l'avenir.

L'invention de ces Tableaux n'est pas tout à fait nouvelle, elle avoit deia esté mise saintement en usage par un celebre Missionnaire de nostre France, et il n'est personne qui aye leu la vie de Monsieur le Noblez, qui n'avouë que ç'a esté un des plus beaux secrets dont il se soit servi pour instruire les peuples sur nos saints Mysteres.

Le Pere Pierron a peu imiter ce grand homme, et introduire dans le fond de nos forests une pratique qui a esté de si grand usage parmy une nation déjà civilisée. L'on a sceû que cette sainte methode avoit esté infiniment utile; mais elle serviroit de bien peu, si ce Pere ne joignoit à ces saintes industries les grands travaux qu'il luy faut necessairement souffrir, pour faire continuellement chaque semaine la visite de sept grands Bourgs, dans l'espace de sept lieuës et demy de longueur, afin d'empescher qu'aucun enfant ny aucun adulte malade ne meure sans recevoir le Baptesme. Et si quelquefois quelqu'un échappe à sa diligence, c'est la plus sensible affliction qu'il souffre, et ce qui luy fait demander qu'on luy envoye incessamment du secours. On luy a accordé ce qu'il desiroit; le Pere Boniface a esté choisi aussitost aprés son arrivée de France à Quebec, pour aller cette année seconder son zele.

L'on ne sçauroit dire si la guerre que qui les Iroquois ont avec les neuf nations des Loups repandues depuis Manhate, jusques aux environs de Quebec, est plus advantageuse à la foy Chrestienne, que la paix. La guerre les humilie par la perte de leurs gens, mais aussi les empeschant de s'arrester dans un lieu, elle met des obstacles à la conversion des guerriers qui se separent en plusieurs bandes pour aller en party contre l'ennemy. Les Agniez et les Loups se font la guerre jusques auprés de la nouvelle Orange et s'estans pris se brûlent et se mangent les uns les autres. Mais les Loups ont cet avantage, qu'estans grand nombre d'hommes et gens errants, ils ne peuvent estre facilement destruits par les Iroquois, et les Iroquois le peuvent estre plus facilement par les Loups.

On ne laisse pas toûjours de gagner quelques ames à Iesus-ChristT dans ce tumulte des armes. Deux vieillards ne sembloient attendre pour mourir, que le Baptesme qu'ils receurent avec toute la consolation possible; mais un troisiéme, qui se voyoit mourir avec une parfaite presence d'esprit, afin de justifier son endurcissement, prenoit pour pretexte qu'il oublioit toutes les instructions que le Pere luy faisoit, du moment qu'il estoit hors de sa Cabanne; enfin estant pressé de se convertir, il dit qu'il avoit trop commis de crimes pendant sa vje, pour se convertir à l'heure de la mort. En effet, comme la Providence Divine ne permet jamais qu'un homme pour Sauvage qu'il soit, meure sans le Baptesme, s'il a tasché de tout son possible de garder la loy naturelle, aussi Dieu permet-il souvent une juste punition, que ceux qui ont mal vescu soient privez du Baptesme.

Vn autre Vieillard âgé de plus de cent ans, homme d'excellent jugement, et qui avoit esté la premiere teste du pays, a esté aussi baptisé, s'estant disposé à cette grace par sa constance à venir prier Dieu en presence de tout le monde, malgré les railleries continuelles de quelques-uns de sa nation encore infidelles.

Vne des choses qui empesche le plus la conversion de ces barbares, est ce qu'on appelle parmy eux la jonglerie ou l'art de guerir les malades par des superstitions criminelles; neantmoins le Pere par son adresse a rendu cet art si ridicule, que personue n'ose souffler aucun malade en sa presence, les Iongleurs feignans qu'ils ont déja fait leur operation, quand il entre dans la Cabane. Ce qui luy donne du credit pour cela, est qu'il procure aux malades beaucoup mieux que ces pretendus Medecins, la santé du corps avec celle de l'ame.

Vn autre soin des Missionnaires regarde les Captifs à qui l'on apprend à mourir en veritables Chrestiens, au milieu des flammes, aprés leur avoir donné le Baptesme, et quelquefois il est arrivé que les Iroquois ont eux-mesmes servi d'interpretes pour leur apprendre nos mysteres. On peut faire voir par plusieurs exemples que Dieu opere dans l'ame de ces infidelles, en les frappant de sa crainte. En voicy un assez remarquable. Vn Capitaine de guerre de la nation des Agniez, devant partir le lendemain pour aller contre les Loups leurs ennemis, alla demander au Pere dans la Chapelle que les Sauvages ont eux-mesmes dressée, ce qu'il feroit, et ce qu'il diroit pour aller au Ciel, s'il arrivoit qu'il fust pris en guerre et qu'il deust estre bruslé; cette demande toucha le cœur du Pere, et l'obligea de luy enseigner la maniere de faire un acte de contrition, lequel ce Sauvage repassa durant une heure dans son esprit pour le bien apprendre, et puis le luy repeta souvent, qui est une marque que ces Barbares commencent à apprehender une autre vie, et l'on doit raisonnablement croire que cette crainte qui est le commencement de la veritable sagesse, leur sera salutaire.

Comme la crainte de la mort se fait sentir à ceux qui ne sont pas encore baptisez, le mespris de la vie est admirable en ceux qui ont receu le Batesme. Ceux qui croyent en Dieu, dit une femme Iroquoise, qui avoit couché deux nuits toute seule à la campagne en danger d'estre enlevée par quelqu'un de la nation des Loups, ne doivent point craindre la mort, puisqu'elle leur sert de passage pour aller au Ciel.

Quoy qu'il y en ait parmy les Agniez qui n'ont pas la Foy; neanmoins plusieurs d'entre eux ont une veritable soif et une veritable faim de la Iustice, et il se trouve que Dieu fait apprendre à quelques-uns d'eux leurs prieres d'une façon qui semble tenir du miracle. Il y a des femmes Sauvages si ferventes dans la priere, qu'elles y passent les nuits toutes entieres et si devotes envers la sainte Vierge, qu'elles disent chaque iour plusieurs fois leur Chapelet.

La premiere chose qu'elles font, lors qu'elles vont travailler dans leurs champs, est d'inviter celles qui sont de leur compagnie, d'offrir à la Mere de Dieu la mesme priere, à laquelle elles joignent toutes ensemble quantité d'Oraisons jaculatoires qu'elles adressent à Dieu. N'est-ce pas là montrer qu'on est capable du Christianisme?

La vraye pieté ,commence à se former de telle maniere dans les esprits des Agniez, que le Pere qui en a la conduite, écrit qu'il a celebré la derniere Feste de Pasques avec beaucoup de solemnité. Qu'il a donné à ses nouveaux Chrestiens la sainte Communion. Que la ceremonie du Vendredy Saint s'y est faite comme en France, et que tous y ont adoré nostre Seigneur en Croix.

Le Catechisme se fait deux fois le iour; une fois pour les hommes, et l'autre pour les femmes. Et la ferveur y est si grande, que les personnes mariées n'ont point de honte de s'y faire interroger publiquement. Il s'est trouve une femme assez capable pour apprendre la forme du Baptesme, .et tout ce qui est necessaire pour l'administration de ce premier Sacrement de l'Eglise, qui est la porte de tous les autres, quoy qu'on ne luy en aye pas encore permis l'usage et l'exercice.

Cette femme devoit estre enveloppée dans un massacre que firent les Loups de plusieurs Agniez, presque à cent pas de la palissade d'un de leurs Bourgs, où les ennemis s'estoient mis en embuscade; mais il arriva que cette femme devant aller avec les autres travailler à son champ, elle les envoya devant elle, avec asseurance de les suiure incontinent aprés; là dessus elle s'endort tout à coup et au mesme moment l'on entend le cry des personnes que l'on massacroit. Ah! dit cette bonne Chrestienne, je reconnois bien que Dieu vouloit me conserver, et je ne cesse point de le remercier de cette grace.

Voicy une chose qui n'est pas moins remarquable. L'une de ces femmes blessées par les Loups, leurs ennemys, raconte qu'elle fut attaquée par l'un d'eux, qui luy donna trois coups de hache sur la teste, pendant qu'elle se defendoit courageusement contre luy; mais qu'un autre coup qui luy fut donné a costé de l'œil droit, la ietta par terre et l'épuisa de sang et de forces. Alors, ainsi qu'elle l'a rapporté au Pere, elle fit cette priere. Iesvs, vous estes le maistre de ma vie, ayez pitié de moy: car si je meurs en l'estat où je suis, sans estre baptisée, je seray eternellement bruslée dans des feux qui ne s'esteignent iamais. A peine auoit-elle acheué ces paroles, qu'elle sentit une force qui se coula par tout son corps. Elle se releua sur le champ; et comme elle alloit se saisir de la hache de son ennemi qui la pouuoit aisement tuer, il prit à l'heure mesme la fuite. Cela obligea cette femme à demander le Baptesme, et à dire, ie veux croire et honorer le reste de mes iours, Iesvs mon liberateur.

Certes voila de tres-beaux commencemens, et bien qu'en la nouuelle Eglise des Agniez, il n'y ayt pas grand nombre d'adultes, parce qu'on ne les baptise qu'avec beaucoup de precaution, elle ne laisse pas d'avoir des ames heroïques parmi des femmes Catechumenes, qui font beaucoup d'impression sur l'esprit de leurs marys et qui remportent tous les jours d'illustres victoires contre ceux qui les veulent engager dans le crime. Comme l'on pressoit une de ces nouvelles Chrestiennes de quitter la priere jusques à la menacer, elle fut assez genereuse pour respondre en cette occasion à son mary: Ie suis maistresse de moy mesme, je fais ce qu'il me plaist, et toy fais ce que tu voudras. D'autres se moquent des injures, et disent hautement: N'importe, qu'on nous tuë, car cette vie est peu de chose, et nous esperons que Dieu nous fera misericorde.

La constance de quelques nouveaux Chrestiens n'est pas moins à estimer dans un de leurs Bourgs, nommé Gandaoüaguen, sous la conduite d'un fervent Catechiste, et bien que la raillerie soit infiniment sensible à ces peuples, ils ne laissent pas de la supporter de genereusement pour l'amour de Iesvs-Christ. Nous baissons la teste à ces injures, disent-ils au Pere, et quand nous sommes assemblez, nous prions Dieu qu'il ouvre les yeux à ces moqueurs pour voir ce que nous voyons. En un mot l'experience fait voir tous les jours plus que jamais, que les Sauvages sont capables de tout, aussi bien que les François, dans les choses qui regardent la pieté et le service de Dieu. Ils sçavent tout ce qui est de plus difficile dans le Mystere de la sainte Trinité, ils distinguent les deux natures en lesvs-Christ, ils connoissent ce que l'Eglise enseigne de l'immortalité de nos ames, du jugement, du peché mortel, du peché veniel et du peché originel, et comme on s'applique particulierement à leur enseigner les prieres ordinaires et les Commandements de Dieu et de l'Eglise, qu'ils chantent tous les Dimanches en vers Iroquois, c'est aussi ce qu'ils n'ignorent pas non plus que le reste, dont la connoissance est absolument necessaire, lorsque on les reçoit au Baptesme.

Il n'est pas iusques aux petits enfans qui ne paroissent capables des plus belles impressions de la foy. Vn exemple entre les autres le va faire voir. Vne femme Iroquoise avoit eu un soin particulier de l'instruction de l'un de ses enfans, âgé d'environ trois ans; comme elle tomba malade, il luy demanda au plus fort de son mal, ce qu'elle avoit à se plaindre de la sorte. Ie suis malade, mon fils, luy répond sa mere. Alors ce petit enfant, s'adressant à nostre Seigneur, luy dit: Seigneur qui êtes le maître de nos vies, ayez pitié de ma mere, et luy rendez la santé. Cet enfant est le mesme à qui on a donné une image où sont representez nos mysteres, il les sçait parfaitement, et monstre l'esprit qu'il a capable de tout. L'Ambassade des principaux guerriers d'Agnié qui sont venus le printemps vers Mr. de Courcelle nostre Gouverneur, pour luy demander avec des presents quelques-uns de nos Peres, afin d'assister celuy qui a soin de leur Eglise, est une marque qu'ayans de l'inclination pour la Foy, on a sujet de concevoir de grandes esperances de leur conversion. De plus la paix qu'ils sont d'eux-mesmes venus les premiers affermir par de nouveaux presents, contribuera beaucoup à l'avancement de la Religion, dans la juste crainte que leur donnent les armes du Roy, sous la conduite de Monsieur de Courcelle, dont ils redoutent le courage, et qui, à mesme temps qu'il agit avec eux de la maniere la plus propre à les tenir dans le devoir, leur inspire par ses paroles le respect qu'ils doivent à la Foy Chrestienne et aux Predicateurs de l'Evangile.

Ces Barbares ont maintenant une si haute idée de la valeur des François, qu'ils pensent qu'il n'y a que la protection du Roy qui les puisse deffendre de leurs ennemis, c'est pourquoy ils sont venus demander du secours à Monsieur nostre Gouverneur contre la nation des Loups, comme pour la defense d'un pays qui est déja au Roy par la force des armes, et qu'ils né tiennent que parce que il luy plaist de le laisser. C'est ainsi que les Ambassadeurs d'Agnié se sont expliquez dans leur harangue.

Toutes ces choses, iointes au courage qui est naturel à la nation des Agniez, confirment plus que jamais qu'on y peut faire une florissante Eglise. Les victoires de la pudeur y sont fort illustres; j'ay admiré la vertu d'une jeune femme nouvellement convertie et sollicitée au mal, avec asseurance que le Pere Missionnaire ne le sçauroit pas. Elle répondit: S'il ne le sçait pas, Dieu le sçaura à qui rien n'est caché, et qui seul est à craindre plus que tous les hommes du monde. Cette response arresta l'insolence de celuy qui la sollicitoit au mal. C'est la mesme qui a depuis imité saint Thomas prenant comme luy un tison ardent à la main pour defendre sa pudeur. C'est se tromper, que de croire que les Sauvages soient incapables de la force Chrestienne. Comme l'on exhortoit un vieillard Chrestien, âgé de quatre-vingt dix ans, à souffrir en ce monde, dans la veuë qu'on ne souffre plus en Paradis, il répliqua: Ie n'ay pas besoin que l'on m'encourage, le Paradis avec ses biens m'encourage assez. Cet homme, qui avoit gouverné tout le pays, fut baptisé le jour de la Feste de tous les Saints, dont il porte le nom. Lès Agniez ont d'eux-mesmes pris garde qu'une seule chose estoit capable de destruire ces beaux commencements de la pieté Chrestienne, et qu'il y avoit chez eux un Demon estranger plus à craindre que ceux qu'ils adoroient dans leurs songes. Ce Demon est la boisson enyvrante, qui leur venoit de la nouvelle Orange. Ils ont cherché dans un Conseil public les moyens d'arrester ces desordres qui ruinoient entierement la Foy, et les corps de leur jeunesse, et ayant appris du Pere Pierron, que le moyen le plus efficace estoit de presenter eux mesmes une requeste pour cela au Gouverneur general de Manhate, les plus considerables d'entre eux ont esté luy en presenter une qu'on leur avoit dressée. Voicy la response que fit le Gouverneur de Manhate, et à la requête des Agniez, et à la lettre du Pere qu'il y avoit jointe; ce sont les propres termes tirés mot à mot de l'original.



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PERE,

Par vostre derniere, j'apprens vostre complainte, laquelle est
secondée par celle des Capitaines Iroquois, des Sacheins, des Indiens, comme il appert plus ouvertement par leur requeste enclose dans la vostre, qui est touchant la grande quantité de liqueurs que quelques-uns d'Albanie prennent la liberté de vendre aux Indiens; en ce faisant, que de grands desordres se sont
commis par eux, et est à craindre dauantage, si l'on n'y preuient. Pour response, vous sçaurez que j'ay pris tout le soin possible, et y continueray sous de tres seueres amendes, à restreindre et empescher de fournir aux Indiens aucun excez. Et je suis fort aise d'entendre que telles vertueuses cogitations procedent des Infideles, à la honte de plusieurs Chrestiens. Mais cela doit estre attribué à vos pieuses instructions, vous qui estant bien versé
en une estroite discipline, leur auez montré le chemin de mortification, tant par vos preceptes que pratique.

Vostre tres-humble affectionné seruiteur

Francis Lovelace.

Du Fort Iaques, 18. de Novembre 1668.



Nous allons finir ce Chapitre par le nombre de ceux qui ont este baptisez à Agnié, ou par le Pere Fremin, ou par le Pere Pierron pendant ces deux années 1668. et 1669. L'on compte de baptisez iusques à cent cinquante et un, dont plus de la moitié estoient enfans ou vieillards, qui sont morts bientost aprés leur Baplesme. Cette moisson doit passer pour assez abondante dans une terre inculte, et nous devons beaucoup esperer aprés de si beaux commencemens.

On doit aprés Dieu la naissance de cette Eglise florissante à la mort et au sang du Reverend P. Iogues. Il l'a versé au mesme lieu que commence à naistre ce nouveau Christianisme, et il semble que nous pouvons de nos jours verifier en sa personne ces belles paroles de Tertulien, que le sang des Martyrs est la semence des Chrestiens. Et si la mort des Martyrs est, comme dit excellemment un Pere de l'Eglise, la science de l'éternité, scientia œtemitatis, nous pouvons asseurer que la mort du Pere Iogues a merité à ces Infideles, qui l'ont autrefois massacré, que Dieu leur donnât, par le moyen de ses successeurs, la science de l'Evangile, qui est la veritable science de l'éternité bien-heureuse, qu'il leur avoit annoncée trois diverses fois, qu'il alla dans leur pays, sans craindre la cruauté de ces Barbares.

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