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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

jeudi, octobre 30, 2008

L'HISTOIRE OCTOBRE 2000 PAGES 36-37


L'AUTEUR:

Directeur de recherche au CNRS, Stéphane Courtois est directeur de la revue Communisme. Il a notamment participé au Livre noir du communisme (Laffont, 1997, rééd. Pocket, 1999).




Cent millions de morts? Le bilan d’une tragédie
Stéphane Courtois, Directeur de recherche au CNRS
Comment expliquer que les régimes marxistes-léninistes aient produit les plus importantes hécatombes du siècle ? Les réponses de Stéphane Courtois, qui, en 1997, avait supervisé la publication du Livre noir du communisme.
Ce livre événement, au-delà des débats et dès polémiques, a profondément modifié notre vision du système communiste.


1. QU’EST-CE QUE LE COMMUNISME?

Le communisme, compris comme société égalitaire et harmonieuse, a d'abord existé en tant que philosophie sociale et politique très ancienne, remontant même à Platon, et a ouvert le champ à d'innombrables utopies qui considéraient souvent l'abolition de la propriété privée des moyens de production, mais aussi des biens personnels, comme la clé du bonheur et de la fraternité.

Le mot est apparu à la fin du xviiie siècle sous la plume de Restif de La Bretonne, mais c'est à partir des années 1840 qu'il devient d'usage courant. On le trouve sous la plume d'Étienne Cabet et de Pierre Leroux. Il se réfère notamment au « babouvisme », c'est-à-dire à la conjuration des Égaux fomentée par Gracchus Babeuf, en 1795. Véritable acte de naissance du communisme moderne qui articule le projet d'une société idéale, égalitaire, assurant le «bonheur pour tous» et un mouvement révolutionnaire enraciné dans le social et le politique.

Mais le mot prendra tout son sens avec Marx et Engels, auteurs du Manifeste du parti communiste, datant de 1848. «Communisme» et «communiste» deviennent alors synonymes de «marxisme» et «marxiste».

Le mot «socialisme», lui, est un peu antérieur dans l'usage ; il se répand au début des années 1830. Cependant, tout au long du dix-huitième siècle, la confusion est constante entre «socialisme» et «communisme», le premier étant souvent considéré comme une étape permettant d'accéder au second. En effet, les partis socialistes d'Europe, appelés aussi social-démocrates, et organisés à partir de 1889 dans la IIe Inter-nationale, se réclamaient pour la plupart du marxisme.

Ainsi, en France, l'unification du mouvement socialiste, réalisée en 1905, s'est faite sur la base théorique du marxisme, Jules Guesde, soutenu par les Allemands, ayant pu l'imposer à Jaurès. Officiellement donc, le mouvement socialiste d'avant 1914 est marxiste, révolutionnaire, et aspire à la société sans classes, c'est-à-dire au communisme. Jaurès, du reste, emploie le mot « communisme », «collectivisme», « socialisme » indifféremment.

Mais, dans les faits, les grands partis marxistes de l'Internationale étaient devenus réformistes, rejetant aux calendes grecques l'idée de la révolution prolétarienne. Les actions de l'Internationale pour empêcher la guerre de 1914 se révèlent vaines, et les partis socialistes allemand et français participeront à l'effort de guerre national: la crise de l'internationalisme était ouverte. Cependant deux partis socialistes avaient refusé toute compromission avec le patriotisme bourgeois: le Parti socialiste italien et le Parti social-démocrate bolchevique de Lénine. C'est lui, Lénine, après la révolution d'Octobre, qui va véritablement établir la ligne de partage entre le communisme et le socialisme démocratique.

Pourtant, dès les années 1890, Émile Durkheim, un des fondateurs de la sociologie et ami de Jaurès, avait clairement identifié dans le communisme et le socialisme deux philosophies politiques radicalement distinctes, l'une reposant sur l'attribution égalitaire des richesses, l'autre sur une amélioration constante des processus de production amenant un accroissement continu des richesses et une élévation générale du niveau de vie (1).

Mais c'est Lénine qui, avec le cynisme d'un politicien professionnel et le messianisme d'un prophète, va créer le communisme comme mouvement politique spécifique. Rompant définitivement avec le socialisme démocratique, il appela à une guerre civile générale et au déclenchement d'une révolution prolétarienne mondiale. Cette rupture politique fut marquée, en mars 1918, au Vlll' congrès du parti bolchevique, par une rupture sémantique: après d'âpres discussions, Lénine imposa le changement de nom de son parti qui de «social-démocrate» devint «communiste». Immédiatement fut associée à ce nom une doctrine radicale, bien résumée dans un petit catéchisme révolutionnaire rédigé par Boukharine et Preobrajenski, l’ABC du communisme.

Sur la base de cette doctrine et de la politique des bolcheviks au pouvoir en Russie fut créée en 1919 une organisation mondiale, l'Internationale «communiste» ou Komintern. Regroupant tous les révolutionnaires qui souhaitaient rompre avec le socialisme traditionnel et démocratique, elle leur imposa une discipline très stricte, quasi militaire, et opéra une sévère sélection de ses cadres. Tous les partis affiliés devinrent des sections nationales de cette Internationale « communiste ». Dès ce moment, le communisme, jusque-là philosophie sociale, repose sur une doctrine, une organisation internationale et une stratégie mondiale très fortement unifiées à Moscou.

Il devient ce qu'Annie Kriegel a nommé un «système communiste mondial», qui, au gré des conjonctures favorables, se structura en trois cercles concentriques (2):

1) celui des partis-États formé des pays où les communistes avaient pris le pouvoir (URSS en 1917, démocraties populaires en 1945-1948, Chine en 1949, etc.);

2) celui des partis, composé de l'ensemble des partis communistes organisés dans le Komintern puis, après 1943, dans un système de relations bilatérales avec l'URSS et de conférences internationales (plus de 80 partis dans le monde);

3) enfin le sous-système des alliances du mouvement communiste avec d'autres forces anticapitalistes et anti-impérialistes (le mouvement syndical à travers l'Internationale syndicale rouge dans les années 1920-1930 puis la Fédération syndicale mondiale après 1945 ; le Mouvement de la paix, encore très actif en Europe dans les années 1980 pour empêcher l'installation des fusées Pershing américaines alors que les Soviétiques avaient installé depuis des années leurs SS20 le mouvement de décolonisation et de libération nationale dans les pays du tiers-monde).

C'est la formidable unité de ce mouvement qui justifie l'usage du terme générique de «communisme» pour désigner et définir des réalités au premier abord aussi différentes que l'expérience bolchevique menée en Russie sous Lénine (1917-1923) puis sous Staline (1928-1953), la révolution maoïste en Chine, la prise du pouvoir par les communistes dans les prétendues démocraties populaires, le communisme asiatique - de la Corée du Nord de Kim Il-sung au Vietnam de Ho Chi Minh en passant par l'enfer de Pol Pot -, ou encore les coups d'État transformés en régime communisé de Castro à Cuba, de Mengistu en Éthiopie ou de Dos Santos en Angola.

Notes:
* cf. lexique, p. 43.

1. Émile Durkheim, Le Socialisme, PUF, 1992.

2. Annie Kriegel, Le Système communiste mondial, Paris, PUF, 1984.

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