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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

jeudi, juin 17, 2010

22-24

CHAPITRE VI.

De la Mission de saint Joseph à Goïogoüen.


La Lettre que j'ay receuë du 24. de Juin du Pere Raffeix, envoyé d'icy l'an passé, pour aller prendre le soin de cette Mission, en l'absence du Pere de Carrheil, nous en donne une connoissance assez particuliere: voicy ce qu'il escrit.

Goïogoüen est le plus beau païs que j'aye veu dans l'Amerique; sa situation est par le 42. degré et demy, l'aiguille d'aymant n'y decline gueres plus de dix degrez. C'est une terre située entre deux Lacs, qui n'a pas plus de quatre lieuës de large, ce sont presque des plaines continuelles, et le bois qui les borde en est fort beau.

Annié est une vallée bien étranglée, souvent bien pierreuse, et toujours couverte de brouillards; les montagnes qui la serrent me semblent de tres-mauvaise terre.

Onneïout et Onnontagué paroissent un païs fort raboteux et peu propre à la chasse, aussi bien que Sonnontoüan. ll se tuë tous les ans aux environs de Goïogoüen plus de mille Chrevreuils.

La pesche y est aussi abondante qu'à Onnontagué, tant pour le saulmon que pour l'anguille et autres poissons, j'ay veu à quatre lieuës d'icy sur le bord d'une riviere en fort peu d'espace, huit ou dix fontaines de sel fort belles, c'est là où l'on tend quantité de filets pour la chasse des tourtres, il s'en prend souvent des sept à huit cents en un coup de filet. Le Lac de Tiohero, l'un des deux qui joignent nostre bourg, a bien quatorze lieuës de long, sur une et deux de large, les Cygnes et les Outardes y sont en grand nombre tout l'Hyver, et le Printemps on n'y voit que des nuées continuelles de toute sorte de gibier.

La Riviere d'Ochoüéguen, qui sort de ce Lac, se divise en son commencement en divers canaux entourez de prairies, et d'espace en espace de bayes fort agreables et assez profondes, qui y entretiennent la chasse.

Je trouve les habitans de Goïogoüen plus traittables et moins fiers que les Onnontagué et les Onneïout; et si Dieu les avoit aussi bien humiliez que les Anniez, je croy qu'on y establiroit la Foy plus facilement qu'en pas une des Nations Iroquoises. On y compte plus de trois cents guerriers, et une multitude de petits enfans prodigieuse.

Pour le spirituel, et pour ce qui regarde la Mission, je ne sçay bonnement ce que je dois en dire. Dieu en ayant retiré autrefois le Pere Menard, lors qu'il commençoit à y travailler avec tant de fruit, et depuis pres d'un an le Pere de Carrheil, apres qu'il eut appris parfaitement la langue, et mis de belles dispositions dans les cœurs de ces barbares pour leur salut, je ne pense pas que l'heure de leur conversion soit encore venuë.

Pour oster à nos Catechumenes et nos Neophytes l'aversion que quelques esclaves de la Nation Neutre, et quelques Hurons renegats leur avoient donnée du Christianisme, j'ay introduit parmy eux le chant de l'Eglise, en accommodant diverses Prieres et quelques Hymnes en leur langue, sur les principaux mysteres de nostre foy.

Ce fut le premier jour de l'an que nous offrismes pour estrennes à nostre Seigneur ces Cantiques de loüanges que nous avons continuez depuis avec fruit, et beaucoup de satisfaction de nos Sauvages.

Je suis occupé la plus grande partie de la journée à visiter les malades, à les instruire, et à faire en sorte qu'ils ne meurent point sans Baptesme. Dieu n'a pas permis que j'aye reüssi au premier que je fus visiter à mon arrivée, et qui mourut peu de temps apres. Je l'allay voir plusieurs fois, et je commençois mesme à luy donner quelques instructions; mais sa mere ne le put souffrir. Un jour que je demeurais aupres du malade plus long-temps qu'elle ne vouloit, elle prit un baston pour me mettre dehors, et sa fille une grosse pierre qu'elle me jetta, sans toutefois me frapper. Je ne laissay pas d'espier toutes les occasions de faire mon coup, je parlay en diverses rencontres à cette miserable mere, la conjurant d'avoir pitié de son fils, je la trouvay toujours inflexible; ainsi ce pauvre jeune homme mourut sans Baptesme, au moins réel. Il semble que la malediction de Dieu soit sur cette cabane, dans laquelle le Pere de Carrheil avoit esté traitté encore plus indignement que moy, pour un semblable sujet.

Quelque temps apres cette affliction, qui me fut bien sensible, il plût à Dieu de me consoler par la conversion d'un jeune prisonnier de guerre, de vingt à vingt-deux ans; je n'ay jamais trouvé un Sauvage plus docile. On luy venoit de couper la moitié d'une main, et d'arracher les ongles; une foule de peuple l'entouroit de tous costez, c'estoit à qui le feroit chanter; on luy laissoit prendre haleine de temps en temps, et je me servois de cette occasion pour l'instruire: il sembloit parmy tout ce trouble qu'il n'eust de la presence d'esprit que pour concevoir les veritez Chrestiennes que je luy enseignois; enfin il me satisfit tellement que je le baptisay, ce qui luy donna tant de joye, qu'il me remercia publiquement en chantant, de la charité que je venois d'avoir pour luy.

J'en compte trente, tant enfans qu'adultes, à qui Dieu a fait la mesme grace depuis le départ du Pere de Carrheil; j'espere que cette troupe de petits innocens qui augmente de toutes parts l'Eglise triomphante, obligera enfin Dieu par les prieres qu'ils luy en font, à avancer le temps de la conversion de ces barbares, qui ne paroist pas encore si proche. Car de croire qu'une nation entiere se convertisse en mesme temps, et ne pretendre faire des Chrestiens qu'à centaines ou à milliers en ce païs, c'est s'abuser: le Canada n'est pas un païs de fleurs; pour en trouver et en cueillir quelqu'une, il faut marcher long-temps parmy les ronces et les espines. Les personnes de haute vertu, trouvent icy de quoy exercer leur zele; et les lasches comme moy sont ravis de se voir obligés par necessité à souffrir beaucoup, à n'avoir aucune consolation que de Dieu seul, et à travailler incessamment à se sanctifier. Je prie de tout mon cœur Vostre R. de me laisser dans cet heureux estat toute ma vie, et de se persuader que c'est la plus grande faveur qu'elle me puisse faire, etc.

J'ajousteray encore ce mot, pour vous dire des nouvelles de nos petites guerres, dit le Pere. Le jour de l'Ascension, vingt Tsonnontoüans et quarante des plus fiers de nostre jeunesse, partirent de ce bourg pour aller faire quelque coup dans les champs des Andastogués, à quatre journées d'icy. Les Tsonnontoüans qui faisoient bande à part, les autres ayant pris le devant par eau, furent attaquez par soixante enfans de 15. à 16. ans d'Andastogué, et mis en fuite, avec perte de deux des leurs, l'un tué sur la place, et l'autre emmené prisonnier. Ces jeunes victorieux ayant appris que la brigade des Goïogoüens estoit allée en canot, se mirent promptement sur des canots, et les poursuivirent avec tant de diligence, que les ayans joints, ils les ont battus, huit des nostres ont esté tuez dans leurs canots, quinze ou seize sont retournez tout percez de coups de fléches et de cousteau, ou demy assommez à coups de haches. Le champ de bataille est demeuré aux enfans d'Andastogué, avec perte, dit-on, de quinze ou seize de leurs gens. Dieu conserve les Andastoguez, qui ne font que trois cens hommes de guerre, et il favorise leurs armes pour humilier les Iroquois et nous conserver la paix et nos Missions.

Depuis cette lettre escrite, le Pere de Carrheil est retourné heureusement en sa Mission, comme je l'ay déja dit, et le Pere Raffeix est allé travailler avec le Pere Garnier dans les Missions de Tsonnontoüan, dont nous allons parler au Chapitre suivant.

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Version en français contemporain

CHAPITRE VI.

De la Mission de Saint-Joseph à Goïogoüen.

La lettre que j'ai reçue du 24 juin du Père Raffeix, envoyée d'ici l'an passé, pour aller prendre soin de cette Mission, en l'absence du Père de Carrheil, nous en donne une connaissance assez particulière. Voici ce qu'il écrit.

Goïogoüen est le plus beau pays que j'ai vu en Amérique. Sa situation est par le 42,5ième degré, l'aiguille de la boussole n'y décline guère plus de dix degrés. C'est une terre située entre deux lacs, qui n'a pas plus de quatre lieues (environ 16 kilomètres) de large, ce sont presque des plaines continuelles, et le bois qui les borde en est fort beau.

Agnié est une vallée bien étroite, souvent bien pierreuse, et toujours couverte de brouillards. Les montagnes qui la serrent me semblent de très mauvaise terre.

Onneïout (bourgade des Iroquois) et Onnontagué (bourgade principale des Onnontaehronons ou Onnontagués, nation de la montagne) paraissent un pays fort raboteux et peu propre à la chasse, aussi bien que Sonnontoüan. ll se tue tous les ans aux environs de Goïogoüen plus de mille chevreuils.

La pêche y est aussi abondante qu'à Onnontagué, tant pour le saumon que pour l'anguille et autres poissons. J'ai vu à quatre lieues (environ 16 km.) d'ici sur le bord d'une rivière en fort peu d'espace, huit ou dix fontaines de sel fort belles, c'est là où l'on tend quantité de filets pour la chasse des tourtres (tourterelles très abondante au début de la colonie qui ont été chassées jusqu‘à leur disparition), il s'en prend souvent de sept à huit cents en un coup de filet. Le Lac de Tiohero, l'un des deux qui joignent notre bourgade, a bien quatorze lieues (environ 56 km.) de long, sur une et deux de large (environ 1 et 2 km.). Les cygnes et les outardes y sont en grand nombre tout l'hiver, et le printemps on n'y voit que des nuées continuelles de toute sorte de gibier.

La Riviere Ochoüéguen, qui sort de ce lac, se divise en son commencement en divers canaux entourés de prairies, et d'espace en espace de baies fort agréables et assez profondes, qui y entretiennent la chasse.

Je trouve les habitants de Goïogoüen plus traitables et moins fiers que les Onnontagué et les Onneïout. et si Dieu les avait aussi bien humiliés que les Agniés (Iroquois), je croi qu'on y établirait la Foy plus facilement qu'en aucune des nations iroquoises. On y compte plus de trois cents guerriers, et une multitude de petits enfants prodigieuse.

Pour le spirituel, et pour ce qui regarde la Mission, je ne sais bonnement ce que je dois en dire. Dieu en ayant retiré autrefois le Père Ménard, lors qu'il commençait à y travailler avec tant de fruit, et depuis près d'un an le Père de Carrheil, après qu'il eut appris parfaitement la langue, et mis de belles dispositions dans les cœurs de ces barbares pour leur salut, je ne pense pas que l'heure de leur conversion soit encore venue.

Pour ôter à nos catéchumènes et nos néophytes l'aversion que quelques esclaves de la nation neutre, et quelques Hurons renégats leur avaient donnée du christianisme, j'ai introduit parmi eux le chant de l'Église, en accommodant diverses prières et quelques hymnes en leur langue, sur les principaux Mystères de notre Foy.

Ce fut le premier jour de l'an que nous offrîmes pour étrennes à Notre-Seigneur ces cantiques de louanges que nous avons continués depuis avec succès, et beaucoup de satisfaction de nos Sauvages.

Je suis occupé la plus grande partie de la journée à visiter les malades, à les instruire, et à faire en sorte qu'ils ne meurent point sans baptême. Dieu n'a pas permis que j'aie réussi au premier que je fus visiter à mon arrivée, et qui mourut peu de temps après. Je l'allai voir plusieurs fois, et je commençais même à lui donner quelques instructions, mais sa mère ne le put souffrir. Un jour que je demeurais auprès du malade plus longtemps qu'elle ne le voulait, elle prit un bâton pour me mettre dehors, et sa fille une grosse pierre qu'elle me jeta, sans toutefois me frapper. Je ne laissai pas d'épier toutes les occasions de faire mon coup. Je parlai en diverses rencontres à cette misérable mère, la conjurant d'avoir pitié de son fils. Je la trouvai toujours inflexible. Ainsi ce pauvre jeune homme mourut sans baptême, au moins réel. Il semble que la malédiction de Dieu soit sur cette cabane, dans laquelle le Père de Carrheil avait été traitté encore plus indignement que moi, pour un semblable sujet.

Quelque temps après cette affliction, qui me fit bien mal, il plût à Dieu de me consoler par la conversion d'un jeune prisonnier de guerre, de vingt à vingt-deux ans. Je n'ai jamais trouvé un Sauvage plus docile. On venait de lui couper la moitié d'une main, et d'arracher les ongles. Une foule l'entourait de tous côtés, c'était à qui le ferait chanter. On lui laissait prendre haleine de temps en temps, et je me servais de cette occasion pour l'instruire. Il semblait parmi tout ce trouble qu'il n'eut de la présence d'esprit que pour concevoir les verités chrétiennes que je lui enseignais. Enfin il me satisfit tellement que je le baptisai, ce qui lui donna tant de joie qu'il me remercia publiquement en chantant, de la charité que je venais d'avoir pour lui.

J'en compte trente, tant enfants qu'adultes, à qui Dieu a fait la même grâce depuis le départ du Père de Carrheil. J'espere que cette troupe de petits innocents qui augmente de toutes parts l'Église triomphante, engagera enfin Dieu par les prières qu'ils Lui font, à avancer le temps de la conversion de ces barbares, qui ne parait pas encore si proche. Car de croire qu'une nation entière se convertisse en même temps, et ne prétendre faire des chrétiens par centaines ou milliers en ce pays, c'est s'abuser. Le Canada n'est pas un pays de fleurs. Pour en trouver et en cueillir quelqu'une, il faut marcher longtemps parmi les ronces et les épines. Les personnes de haute vertu trouvent ici de quoi exercer leur zèle. Et les lâches comme moi sont ravis de se voir obligés par nécessité à souffrir beaucoup, à n'avoir aucune consolation que de Dieu seul, et à travailler incessamment à se sanctifier. Je prie de tout mon cœur Votre Révérend de me laisser dans cet heureux état toute ma vie, et de se persuader que c'est la plus grande faveur qu'elle me puisse faire, etc.

J'ajousterai encore ce mot, pour vous dire des nouvelles de nos petites guerres, dit le Père. Le jour de l'Ascension, vingt Tsonnontoüans (Iroquois) et quarante des plus fiers de notre jeunesse, partirent de cette bourgade pour aller faire quelque coup dans les champs des Andastogués (Hurons, Andastogueronon ou Andastes étaient de la famille huronne), à quatre journées d'ici. Les Tsonnontoüans (Iroquois) qui faisaient bande à part, les autres ayant pris le devant par eau, furent attaqués par soixante enfants de 15 à 16 ans d'Andastogué (Hurons), et mis en fuite avec perte de deux des leurs. L'un tué sur place, et l'autre emmené prisonnier. Ces jeunes victorieux ayant appris que la brigade des Goïogoüens était allée en canot, se mirent promptement sur des canots, et les poursuivirent avec tant de diligence, que les ayant joints, ils les ont battus. Huit des notres ont été tués dans leurs canots, quinze ou seize sont retournés tout percés de coups de flèches et de couteau, ou demi assommés à coups de haches. Le champ de bataille est demeuré aux enfants d'Andastogué, avec perte, dit-on, de quinze ou seize de leurs gens. Dieu conserve les Andastogués, qui ne font que trois cents hommes de guerre, et il favorise leurs armes pour humilier les Iroquois et nous conserver la paix et nos Missions.

Depuis cette lettre écrite, le Père de Carrheil est retourné heureusement en sa Mission, comme je l'ai déja dit, et le Pere Raffeix est allé travailler avec le Père Garnier dans les Missions de Tsonnontoüan, dont nous allons parler au chapitre suivant.





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