CHAPITRE IV.
De la Mission de S. François Xavier à Onneïout.
De la Mission de S. François Xavier à Onneïout.
Les Onneïout, dont les cœurs semblent tenir de la nature de la pierre, ou du rocher, d'où ils tirent leur nom, deviennent plus dociles à mesure qu'ils sont plus instruits de nos saints Mysteres. La divine Providence ne manque jamais de donner tost ou tard sa benediction aux travaux d'un Missionnaire vrayment Apostolique: aussi ne se rebute-t-il de rien; uny qu'il est estroitement à celuy à qui seul il appartient de convertir les ames, il espere toujours, il employe mille industries les unes apres les autres, pour venir à bout de son dessein, et quand mesme pas un de ces moyens ne reüssiroit, il ne désespere jamais; il en cherche toujours de nouveaux, il a recours à l'Oraison, et il attend sans empressement les momens de la grace. C'est ainsi que le Ciel mesnage insensiblement la conversion des Peuples Iroquois, suscitant de vrais imitateurs de l'Apostre des Indes, qui consacrent à ce glorieux employ, la vigueur de leur âge, leurs talens, leurs travaux et leur vie.
Le Pere Bruyas estant encore en cette Mission, m'en escrit en ces termes: Dieu m'a fait naistre l'occasion que je recherchois il y a long-temps, pour parler à fonds de nos saints Mysteres aux Anciens de ce bourg; toute la jeunesse estant ou à la chasse, ou en guerre, je leur proposay une pensée que j'avois de nous assembler tous les jours, pour leur expliquer nos veritez chrestiennes, et leur faire voir en mesme temps la vanité de leurs fables; ils agréerent fort cette proposition. Ces entretiens se firent par maniere de conferences, où je fus escouté avec grande attention; nous y eusmes toujours assez bonne compagnie. Plusieurs s'y trouvoient par curiosité, d'autres y venoient pour se desennuyer, ou enfin pour s'instruire, et pour se disposer à embrasser la Foy. Un sçavant du bourg, en matiere de leurs resveries, voulut avoir l'honneur d'ouvrir la premiere conference, m'ayant prié de l'escouter, avant que je parlasse, sur les connoissances qu'il avoit tirées de ses Ancestres, touchant la creation du monde; je luy accorday volontiers ce qu'il me demandoit pour ne les pas rebuter d'abord, et pour prendre de là occasion de leur faire estimer davantage la solidité des veritez que nous leur enseignons. A la fin de ces entretiens, qui leur agréerent beaucoup, je faisois toujours une priere au nom de toute la Compagnie, pour demander à Dieu la grace de le connoistre, de croire en luy, de le servir et de garder ses saints Commandemens, avec resolution d'assister tous les jours aux prieres, de renoncer aux superstitions diaboliques de la Nation, et d'embrasser le Christianisme: cette priere eut de tres-bons effets. L'avantage que j'ay tiré de ces instructions publiques et familieres, m'a esté sensible dans la facilité que j'ay trouvée plus grande qu'auparavant, à disposer quelques adultes moribons, au saint Baptesme. Entr'autres quelques vieillards m'ont donné beaucoup de consolation, et m'ont laissé apres leur mort de grandes esperances de leur salut. L'un estoit âgé de cent ans, et l'autre de six vingts, ils n'attendoient que cette grace pour changer une vie languissante et miserable, en une vie bien-heureuse et eternelle; j'en compte trente baptisez depuis mes dernieres du mois de May de l'an 1671. dont le plus grand nombre est d'enfans, qui ont augmenté celuy des predestinez dans le Ciel.
J'ay eu l'affliction de voir mourir un fameux Jongleur dans son infidelité. Mais sa presomption et son orgueil l'ont rendu indigne de la grace du saint Baptesme. Ce que j'admire tous les jours en ces sortes de gens, c'est qu'estans convaincus par leur propre experience, que toutes leurs jongleries ne sont que des impostures, ils ne laissent pas neantmoins de se laisser tromper eux-mesmes jusqu'au dernier soupir, et l'on n'a point encore ouy dire qu'aucun d'eux aye découvert les fourberies de son compagnon, non pas mesme dans l'yvrognerie, où ils decouvrent d'ordinaire leurs plus secrettes pensées.
Ce fameux Jongleur, dont je viens de parler, estoit dans une veneration extraordinaire chez tous les Iroquois, et comme son credit et son exemple avoient empesché le progrez de la Foy pendant sa vie, il semble que son ombre soit encore funeste au Christianisme, et qu'elle soit sortie du fond de l'abysme pour continuer à persecuter cette Eglise naissante. En effet, il n'a pas trouvé moins de soumission dans l'esprit de ces Peuples qu'il en avoit toujours rencontré de son vivant. Un ancien a tenu depuis peu le Conseil, où il a declaré que ce Jongleur luy a apparu en songe, et que le regardant d'un œil terrible, il luy a commandé de rapporter aux anciens qu'ils estoient perdus sans resource, et qu'infailliblement les Gandastogués viendraient le Printemps prochain assieger le bourg, et mettre à feu et à sang tout ce qui leur feroit resistance: que neantmoins, si on vouloit éviter ces malheurs, il falloit enlever son corps du lieu où il estoit enterré, et le porter sur le chemin qui mene à Gandastogué, et qu'alors il n'y auroit plus rien à craindre, parce qu'ayant dompté cet ennemy commun de la Nation pendant sa vie, il le poursuivoit encore apres sa mort, et que son corps estant transporté au lieu qu'il avoit marqué, ne manqueroit pas de jetter l'effroy dans le cœur de tous ceux qui oseroient approcher du bourg. Tout le monde remercia ce vieillard du bon avis qu'il leur donnoit, et quoy que la terre fust couverte de neige, on ne laissa pas d'executer ponctuellement l'ordre reçeu, et de transporter ce cadavre sur le chemin de Gandastogué, où ils luy ont dressé le plus beau mauzolée qui se voye parmy ces barbares. Apres tout, comme ce fourbe s'est trouvé menteur pendant sa vie, il n'a pas esté plus veritable apres sa mort, deux femmes ont eu depuis peu la teste cassée par les mesmes Gandastogués, à cinquante pas de la palissade du bourg.
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Version en français contemporain
CHAPITRE IV.
De la Mission de Saint-François-Xavier à Onneïout.
Les Onneïout, dont les cœurs semblent tenir de la nature de la pierre, ou du rocher, d'où ils tirent leur nom, deviennent plus dociles à mesure qu'ils sont plus instruits de nos saints Mystères. La Divine Providence ne manque jamais de donner tôt ou tard Sa bénédiction aux travaux d'un missionnaire vraiment apostolique. Aussi ne se rebute-t-il de rien, uni qu'il est étroitement à Celui à Qui seul il appartient de convertir les âmes. Il espère toujours. Il emploie mille moyens ingénieux les uns après les autres pour atteindre son but. Et quand même aucun de ces moyens ne réussirait, il ne désespère jamais. Il en cherche toujours de nouveaux. Il a recours à l'Oraison, et il attend patiemment les moments de grâce. C'est ainsi que le Ciel ménage insensiblement la conversion des Iroquois, suscitant de vrais imitateurs de l'Apôtre des Indes: Saint François Xavier, qui consacrent à ce glorieux emploi, la vigueur de leur âge, leurs talents, leurs travaux et leur vie.
Le Père Bruyas étant encore en cette Mission, m'en écrit en ces termes: «Dieu m'a donné l'occasion que je recherchais il y a longtemps, pour parler à fonds de nos saints Mystères aux anciens de cette bourgade. Toute la jeunesse étant ou à la chasse, ou en guerre, je leur proposai une idée que j'avais de nous assembler tous les jours, pour leur expliquer nos vérités chrétiennes, et leur faire voir en même temps la vanité de leurs fables. Ils approuvèrent d'amblé cette proposition. Ces entretiens se firent par des conférences, où je fus écouté avec grande attention. Nous y eûmes toujours assez de bonnes rencontres. Plusieurs s'y trouvaient par curiosité, d'autres y venaient pour se désennuyer, ou enfin pour s'instruire, et pour se disposer à embrasser la Foy. Un savant de la bourgade, en matière de leurs absurdités, voulut avoir l'honneur d'ouvrir la première conférence, m'ayant prié de l'écouter, avant que je parlasse, sur les connaissances qu'il avait tirées de ses ancêtres, touchant la création du monde. Je lui accordai volontiers ce qu'il me demandait pour ne les pas rebuter d'abord, et pour prendre de là occasion de leur faire estimer davantage la solidité des vérités que nous leur enseignons. À la fin de ces entretiens, qu’ils accueillirent très favorablement. Je faisais toujours une prière au nom de toute l’assistance, pour demander à Dieu la grâce de Le connaître, de croire en Lui, de le servir et de garder ses saints Commandements, avec résolution d'assister tous les jours aux prières, de renoncer aux superstitions diaboliques de la nation, et d'embrasser le christianisme. Cette prière eut de très bons effets. L'avantage que j'ai tiré de ces instructions publiques et familières, m'a été sensible dans la facilité que j'ai trouvée plus grande qu'auparavant, à disposer quelques adultes moribonds, au saint baptême. Entre autres quelques vieillards m'ont donné beaucoup de consolation, et m'ont laissé après leur mort de grandes espérances de leur salut. L'un était âgé de cent ans, et l'autre de soixante. Ils n'attendaient que cette grâce pour changer une vie languissante et misérable, en une vie bien heureuse et éternelle. J'en compte trente baptisés depuis mes dernières du mois de may 1671, dont le plus grand nombre est d'enfants, qui ont augmenté celui des prédestinés dans le Ciel.
J'ai eu la souffrance de voir mourir un fameux sorcier dans son infidélité. Mais sa témérité et son orgueil l'ont rendu indigne de la grâce du saint baptême. Ce que j'admire tous les jours en ces sortes de gens, c'est qu'étant convaincus par leur propre expérience, que toutes leurs sorcelleries ne sont que des impostures, ils continuent à se laisser tromper eux-mêmes jusqu'au dernier soupir, et l'on n'a point encore entendu dire qu'aucun d'eux aie découvert les fourberies de son compagnon, non pas même dans l'ivrognerie, où ils découvrent d'ordinaire leurs plus secrètes pensées.
Ce fameux sorcier, dont je viens de parler, était extrêmement vénéré par tous les Iroquois, et comme sa crédibilité et son exemple avaient empêché le progrès de la Foy pendant sa vie, il semble que son ombre soit encore funeste au christianisme, et qu'elle soit sortie du fond de l'abysse pour continuer à persécuter cette Église naissante. En effet, il n'a pas trouvé moins de soumission dans l'esprit de ces peuples qu'il en avait toujours rencontré de son vivant. Un ancien a tenu depuis peu le Conseil, où il a déclaré que ce sorcier lui a apparu en songe, et que le regardant d'un œil terrible, il lui a commandé de rapporter aux anciens qu'ils étaient perdus sans ressource, et qu'infailliblement les Gandastogués ou Andastogués (nation huronne de la Virginie) viendraient le printemps prochain assiéger la bourgade, et mettre à feu et à sang tout ce qui leur ferait résistance, que néanmoins, si on voulait éviter ces malheurs, il fallait enlever son corps du lieu où il était enterré, et le porter sur le chemin qui mène à Gandastogué, et qu'alors il n'y aurait plus rien à craindre, parce qu'ayant dompté cet ennemi commun de la nation pendant sa vie, il le poursuivait encore après sa mort, et que son corps étant transporté au lieu qu'il avait marqué, ne manquerait pas de jeter l'effroy dans le cœur de tous ceux qui oseraient approcher de la bourgade. Tout le monde remercia ce vieillard du bon avis qu'il leur donnait, et quoique la terre fut couverte de neige, on ne cessa pas d'exécuter ponctuellement l'ordre reçu, et de transporter ce cadavre sur le chemin de Gandastogué, où ils lui ont dressé le plus beau mausolée qui se voie parmi ces barbares. Après tout, comme ce fourbe s'est trouvé menteur pendant sa vie, il n'a pas été plus honnête après sa mort. Deux femmes ont eu depuis peu la tête cassée par les mêmes Gandastogués, à cinquante pas de la palissade de la bourgade.»