ARTICLE II.
De leur zele et de leur devotion.
De leur zele et de leur devotion.
Si ces fervents Chrestiens, remplis de l'esprit de la primitive Eglise, se portent volontiers aux œuvres de misericorde corporelle, ils ont infiniment beaucoup plus d'ardeur pour les spirituelles. Entre mille exemples j'en choisiray seulement quelques-uns des plus illustres. Un jeune homme venant de la campagne, s'estoit arresté quelque temps à parler à une fille de quatorze à quinze ans, qui travailloit dans son champ: une femme zelée et amie de la famille, qui la apperceut, en alla donner avis à la mere de la fille. Cette mere, qui meine une vie toute sainte, qui conserve cette fille avec plus de soin que la prunelle de ses yeux, et qui aimeroit mieux, quoy qu'elle soit son unique, la voir morte que hors de la grace de Dieu, fut si affligée de cette nouvelle, que pour prevenir le mal et luy faire apprehender cette liberte par un chastiment extraordinaire, elle prit de petites cordes, en fit une discipline semblable à celles qu'elle avoit veuës, et en frappa sa fille le lendemain matin à son lever. Cette pauvre fille, qui se sentoit innocente, en fut bien surprise. Et quoy, dit-elle, ma mere, qu'ay-je fait? quel sujet vous ay-je donné de me traiter de la sorte? Ah! miserable que je suis, repondit la mere, toute baignée de larmes, faudra-t-il donc que je sois la mere d'une damnée? que j'aye mis au monde et élevé une fille pour les demons, et pour estre leur compagne eternelle dans les cruelles flammes de l'enfer? Ah mon Dieu, ne permettez pas que ce malheur m'arrive! Et en disant ces paroles, elle se donna à elle-mesme la discipline si rudement, qu'elle en porta long-temps les marques sur ses épaules.
On auroit de la peine à se persuader l'impression que fait sur ces ames bien disposées la connoissance de nos saints Mysteres, et le zele qu'elles ont ensuite pour souhaiter aux autres le mesme bien, et pour le leur procurer par toutes les voyes possibles. Une Iroquoise Chrestienne des plus considerables d'Agnié par sa noblesse, qui n'a quitté son païs que pour faire icy profession du Christianisme avec plus de liberté, s'en est expliquée en ces termes, au Pere Chaumonot.
Mon Pere, je me trouve icy heureusement en possession du bien que je cherchois il y a si long-temps, et que je ne trouvois pas dans nostre païs; j'en ay bien de la joye, et j'en remercie Dieu et la sainte Vierge plus de cent fois le jour. J'ay icy la liberté d'aller prier Dieu quand je le veux: nous avons la Chapelle de la sainte Vierge toute proche de nos cabanes, je suis toujours la bien venue aux pieds de ses Autels. Je demeure parmy des personnes qui sont dans les mesmes sentimens que moy; vous me consolez, mon Pere, quand j'en ay besoin; enfin mon esprit est parfaitement content. Une seule chose m'afflige, la misere de mes parens d'Agnié, qui sont encore infidéles pour la pluspart, et qui sont en danger de mourir dans leur infidelité. Mon Pere, que cette pensée me fait de la peine! Je sçay bien qu'ils ont aussi bien que nous des Peres qui les instruisent, et qui les exhortent continuellement à embrasser la Foy; il y a aussi des Chrestiens parmy eux, et des personnes qui vivent selon Dieu, il est vray; mais le plus grand nombre est encore du costé de ceux qui suivent nos coustumes superstitieuses, qui vivent dans l'yvrognerie et dans la brutalité. Ces mauvais exemples seront toujours un grand obstacle à leur conversion. Mon Pere, il m'est venu une pensée de leur écrire par vostre main, et de leur décharger mon cœur, sur les apprehensions que j'ay de la perte eternelle de leurs ames. Les Peres qui sont sur le lieu leur feront volontiers lecture de cette lettre.
Le Pere voulut bien luy prester sa main et sa plume, et elle luy dicta toutes ses pensées avec simplicité, adressant divers avis à divers de ses parens, selon la connoissance qu'elle avoit de leurs mœurs et de leurs foiblesses: voicy un extrait des principaux articles que la lettre contenoit.
La premiere personne à qui elle parle est sa sœur: Ma chere sœur, luy dit-elle, je me réjoüis de ce que vous avez embrassé la Foy. Si vous voïiez ce que font icy les bons Chrestiens, vous en seriez ravie; ô que vous auriez de plaisir de les entendre chanter les Cantiques spirituels dont ils honorent Dieu! Venez donc icy, ma chere sœur, et jouissons toutes deux ensemble d'un avantage si considerable.
Tsaoüenté, ma fille, (c'est une autre jeune femme à laquelle elle a laissé son nom), puisque nous n'avons toutes deux qu'un mesme nom, n'ayons, je te prie, qu'une mesme Religion; fais-toy instruire, fais-toy baptiser au plustost par les Peres, afin que nous ne soyons point separeés dans l'eternité! Aspirons toutes deux à la possession d'une unique felicité, que nostre Seigneur a promise aux bons Chrestiens dans le Ciel.
Puis s'adressant à son pere: Mon pere, mon cher pere, si vous sçaviez le desir que j'ay de vous voir au Ciel avec moy, et si vous estiez aussi assuré que moy du bonheur qu'on y possede, ô que vous auriez envie d'estre Chrestien! Escoutez bien les Peres qui vous instruisent, ils vous préchent des veritez que Jesus-Christ, le maistre de nos vies, leur a commandé de vous enseigner, et entr'autres qu'il prepare une vie eternelle à ceux qui garderont ses saints Commandements, et un enfer remply de feux eternels pour ceux qui ne les observent pas. Ah, mon cher pere, il n'y a que cette malheureuse habitude que vous avez de vous enyvrer, qui puisse vous fermer la porte du ciel. Prefererez-vous un plaisir honteux, et qui est toujours suivi de la perte de la raison, à la possession d'une felicité eternelle? Renoncez-donc avec courage à vos intemperances, faites-vous Chrestien. Si vous ne suivez mon conseil, sçachez que dans peu d'années, et peut-estre dans peu de jours je ne seray plus vostre fille, et que vous ne serez plus mon pere.
A un vieillard qui est son oncle, elle escrit ainsi: Mon cher oncle, j'ay bien de la joye de la nouvelle que j'ay apprise, que vous estes Chrestien. Ah procurez, je vous prie, le mesme bonheur à mon pere; j'attends cela de l'amour que vous avez pour luy et pour moy, ne me frustrez point de mon esperance.
Enfin, comme elle avoit coustume, estant dans son païs, de parler dans les Conseils, et d'y dire son sentiment sur les affaires publiques, parce qu'elle estoit du nombre des Otiandér, c'est à dire des Nobles et des considerables, elle conjure toute sa nation de retrancher ce qui les empesche d'écouter les Predicateurs de l'Evangile.
Habitans de Gannaoüaé, vous m'écoutiez autrefois dans les Conseils, mais je merite bien mieux à present d'estre escoutée, puisque je vous parle de vostre salut eternel, et de l'affaire la plus importante que vous ayez en ce monde. Escoutez ceux qui vous enseignent et les croïez; mais renoncez au plustost, avec moy, à ces miserables coustumes, que nos grands ennemis, les demons de l'enfer, ont inventées pour nous perdre avec eux; l'attache que vous y avez, aussi bien qu'à l'yvrognerie et à l'impureté, vous bouche les oreilles, et elle empesche que la doctrine salutaire qu'on vous enseigne, ne penétre jusques dans vos cœurs. Suivez mon conseil, autrement toutes les prieres que nous adressons pour vous tous les jours à la divine Majesté, vous seront inutiles. Ah! mes freres, que ne connoissez-vous les maux que souffrent en enfer ceux qui sont morts dans l'infidelité, ou dans leurs pechez, n'ayant pas observé ce qu'ils avoient promis au Baptesme! Que ne puis-je vous faire comprendre les contentemens dont vous jouirez dans le ciel, si vous me voulez croire! Ne pensez point que les Peres qui vous instruisent, veuillent vous tromper, ils vous portent la parole de celuy qui est la verité mesme, et la bonté souveraine; c'est maintenant que vous devez les écouter, il ne sera plus temps aprés la mort.
Cette ame zelée ne peut finir dans sa lettre; et nous avons remarqué qu'à mesure que nos Neophytes croissent dans l'esprit de la Foy, ils ont aussi plus de zele pour la conversion des autres. Un de nos anciens Dogiques, nommé Louis Taondechoren, disoit il n'y a pas longtemps, au mesme Pere, qu'il quitteroit volontiers, s'il le luy vouloit permettre, la demeure de Nostre-Dame de Foy, où il mene une vie douce et paisible, où il est aimé et respecté de tous ses gens, pour aller demeurer en un lieu éloigné, qu'il luy nommoit, fort incommode et où il auroit beaucoup à souffrir, parce qu'en quelques saisons de l'année, il y a grand abord d'Iroquois, et de Hurons étrangers; et que là il s'emploiroit nuit et jour à leur apprendre les veritez de nostre Religion, et qu'il mourroit volontiers dans cet exercice.
Ils sont tous bien informez de l'ardent desir que Nostre-Seigneur a de la conversion des ames, et c'est aussi pour luy plaire que plusieurs d'entr'eux font de grandes mortifications, et qu'ils adressent continuellement des prieres à Dieu pour le progrez de toutes ces nouvelles Eglises.
Le Pere fait une remarque surprenante dans ses memoires: que parmy ces nouveaux Chrestiens, qui n'estoient il y a quelques années que de pauvres Barbares, eslevez dans l'ignorance du vray Dieu, il en connoissoit plusieurs qui avoient un don extraordinaire d'oraison et d'union avec Dieu, jusqu'à ne perdre presque jamais sa presence. Et tout fraischement une bonne veuve qui estoit restée seule pour quelques mois, pendant que sa famille et tous ceux de sa cabane estoient allez à la chasse, luy disoit en riant: Mon Pere, mes gens ne sont-ils pas plaisans? ils me plaignent fort dans ma solitude, croyant que je m'ennuyeray beaucoup: vous sçavez, mon Pere, que je ne m'ennuye jamais moins que quand je suis seule. J'ay tant de choses à dire à Nostre-Seigneur, que je n'ay pas la moitié du temps que je souhaiterois pour luy parler. Je m'entretiens avec luy, comme si je le voyois de mes yeux, je le prie pour ceux qui n'ont pas le bien de le connoistre, je luy nomme tous ceux de ma famille les uns aprés les autres, et je luy demande pour eux, ce qui est le plus avantageux pour leur salut; je luy raconte mes peines et mes afflictions: il me semble aussi qu'il me repond et qu'il s'entretient avec moy, tant il a de bonté. Ah, que je suis esloignée de tomber dans l'ennuy, tandis que je suis ainsi en conversation avec mon Jesus! et que les journées me durent peu! cum simplicibus sermocinatio ejus! Au reste cette bonne femme nommée Jeanne Tsiaoüennia, est celle qui prit ce Printemps dernier, le soin de faire ensemencer les terres des pauvres, et de ceux qui n'estoient pas encore de retour de leur chasse.
Ce fut aussi la mesme, qui assistant de nuit une pauvre malade, apres qu'elle eut receu tous ses Sacremens, et la voyant entrer en l'agonie, alla par les cabanes convoquer toutes les associées de la sainte Famille, les assembla chez la malade, y fit avec elles des prieres convenables à l'estat où elle estoit, luy disant de temps en temps quelque bon mot à l'oreille, jusqu'à ce qu'elle eut expiré, et mesme passant en suite le reste de la nuit en priere pour le repos de son ame. J'ajouteray encore une chose assez considerable de cette devote et fervente Chrestienne. Le jour de Pasques, elle alla trouver le Pere, et luy dit: Mon Pere, je vous prie de trouver bon que je fasse aujourd'huy un festin aux principaux du bourg, en témoignage de la joye que nous avons de la glorieuse Resurrection de nostre Seigneur: vous sçavez nos coustumes; quand quelqu'un de nos alliez s'est échappé des mains des ennemis, apres les cris de joye, dont tout le bourg retentit à son arrivée, nous luy faisons festin de ce que nous avons de meilleur pour luy marquer la joye que nous avons de son heureuse delivrance. En ferions-nous moins pour nostre Seigneur Jesus-Christ, qui se presente aujourd'huy à nous dans la gloire de sa Resurrection, apres s'estre delivré par sa toute puissance, des mains de ses ennemis? il me semble, mon Pere, que ce serait en nous une ingratitude insupportable que de manquer à ce devoir. Le Pere luy ayant accordé ce qu'elle desiroit, plusieurs firent le mesme à son imitation, de sorte que toutes les Festes se passerent en devotion, en prieres, et en ces resjouissances innocentes. Or ces festins consistent d'ordinaire en deux ou trois boisseaux de blé d'Inde, quelquefois mélé avec des pois, et assaisonné ou de quelque poisson, ou de chair boucanée, c'est à dire seichée au feu et à la fumée; car de boisson il n'en faut point parler. Les prieres s'y font au commencement et à la fin, sans y manquer: apres la benediction, que donne le Pere, quand il s'y trouve, ou bien le chef de la famille, on chante, avant que de manger, quelques Cantiques Spirituels, et pendant ces jours de réjouissance, tous ces Cantiques furent sur le sujet de la Resurrection de Nostre-Seigneur. Les enfans firent aussi leur petit festin à part, il y avoit un grand plaisir à les entendre chanter à deux chœurs, le triomphe de la Resurrection du Fils de Dieu, les garçons d'un costé, et les filles de l'autre; il se trouve parmy eux de tres-belles voix. Ils gardent exactement la mesure, ils ne manquent point à faire tous en mesme temps les poses, et pas un ne devance les autres d'une seule syllabe.
Le beau de la ceremonie du jour de Pasques, fut qu'à l'issuë de la grand Messe un ancien Capitaine Chrestien, agé de plus de quatre-vingt-dix ans, fut si consolé d'avoir veu une ouverture de la Feste de Pasques si ravissante, tant de devotion et un nombre extraordinaire de communions, dans un meslange agreable de Hurons et de François, qu'il s'escria du milieu de la place, devant l'Eglise, d'une voix puissante, qui se faisoit entendre dans le fond des Forests voisines:
Koüatondharonnion, Koüatondharonnion, resjoÿssons-nous-nous, resjoÿssons-nous-nous hommes, femmes et enfans, grands et petits, jeunes et vieux, réjoüissons-nous, Jesus est resuscité, Jesus est resuscité, il est resuscité pour nous; il a surmonté la mort, nous ne la devons plus craindre, il nous fera part de sa vie, et de sa vie glorieuse. Ne redoutons plus nos ennemis, Jesus dans la gloire nous tient sous sa protection. Iroquois, apres avoir rassasié ta cruauté des chairs de nostre Nation, apres t'en estre saoulé, tu t'estois reservé, comme pour ton dessert, ce petit reste que nous sommes. Ce n'est plus pour toy, Jesus est trop puissant pour te le laisser arracher de ses mains, et la sainte Vierge sa Mere, qui a bien daigné prendre dans cette Chapelle sa demeure parmy nous, le prie avec trop d'instance de nous proteger; il ne nous abandonnera jamais, et il ne permettra jamais que nous soyons en proye à ta cruauté. Courage, petit reste de la Nation Huronne, vostre tige n'est pas encore seiche, elle repoussera, Jesus resuscité la fera revivre et refleurir; ouy, Jesus la retablira, et la rendra plus nombreuse que jamais, pourveu que nous luy soyons toujours fideles, et à la sainte Vierge, et que nous soyons fermes dans la resolution que nous avons prise de ne donner jamais aucune entrée au peché dans cette bourgade, sur tout aux vices qui sont capables de détruire la charité et l'union qui est entre nous, à l'impureté et à l'yvrognerie. Ce bon vieillard parloit du cœur, et son discours fit beaucoup d'impression dans l'esprit de ceux qui l'écouterent. Mais il n'y a rien en cela de bien extraordinaire: la Foy de ce bon Peuple est si grande, aussi bien que le desir qu'ils ont de se sauver, que vous ne leur parlez jamais de Dieu, de nos saints Mysteres, et de tout ce qui touche le salut eternel, qu'ils n'en soient sensiblement touchez. On ne croiroit pas combien ils verserent de larmes pendant la semaine Sainte, au sujet de la Passion que le Pere Chaumonot leur prescha le Vendredy Saint, ils ne se contenterent pas de tesmoigner par leurs yeux le sentiment qu'ils en avoient, ils voulurent encore méler leur sang avec leurs larmes par de rudes disciplines.
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Version en français contemporain
ARTICLE II.
De leur zèle et de leur dévotion.
Version en français contemporain
ARTICLE II.
De leur zèle et de leur dévotion.
Si ces fervents chrétiens, remplis de l'esprit de la primitive Église (L'Église en tant que communauté des chrétiens, instituée par Jésus-Christ), se portent volontiers aux œuvres de miséricorde corporelle, ils ont infiniment beaucoup plus d'ardeur pour les spirituelles. Entre mille exemples j'en choisirai seulement quelques-uns des plus illustres. Un jeune homme venant de la campagne, s'était arrêté quelque temps à parler à une fille de quatorze à quinze ans, qui travaillait dans son champ. Une femme zélée et amie de la famille, qui l’aperçut, en informa la mère de la fille. Cette mère, qui mène une vie toute sainte, qui garde cette fille avec plus de soin que la prunelle de ses yeux, et qui aimerait mieux, quoiqu'elle soit son unique, la voir morte que hors de la grâce de Dieu, fut si affligée de cette nouvelle, que pour prévenir le mal et lui faire saisir cette liberté (familiarité) par un châtiment extraordinaire, elle prit de petites cordes, en fit un fouet semblable à ceux qu'elle avait vus, et en frappa sa fille le lendemain matin à son lever. Cette pauvre fille, qui se sentait innocente, en fut bien surprise.
- Et quoy, dit-elle, ma mère, qu'ai-je fait? quel raison vous ai-je donnée de me traiter de la sorte?
-Ah! Misérable que je suis, répondit la mère, toute baignée de larmes, faudra-t-il donc que je sois la mère d'une damnée, que j'aie mis au monde et élevé une fille pour les démons, et pour être leur compagne éternelle dans les cruelles flammes de l'enfer? Ah mon Dieu, ne permettez pas que ce malheur m'arrive!
Et en disant ces paroles, elle se donna à elle-même le fouet si rudement, qu'elle en porta longtemps les marques sur ses épaules.
On aurait de la peine à se persuader l'impression que fait sur ces âmes bien disposées la connaissance de nos saints Mystères, et le zèle qu'elles ont ensuite pour souhaiter aux autres le même bien, et pour le leur procurer par toutes les voies possibles. Une Iroquoise chrétienne des plus dignes d'Agnié par sa noblesse, qui n'a quitté son pays que pour faire ici profession du christianisme avec plus de liberté, s'en est expliquée en ces termes, au Père Chaumonot.
«Mon Père, je me trouve ici heureusement en possession du bien que je cherchais il y a si longtemps, et que je ne trouvais pas dans notre pays. J'en ai bien de la joie, et j'en remercie Dieu et la Sainte Vierge plus de cent fois par jour. J'ai ici la liberté d'aller prier Dieu quand je le veux. Nous avons la chapelle de la Sainte Vierge toute proche de nos cabanes. Je suis toujours la bienvenue aux pieds de ses Autels. Je demeure parmi des personnes qui ont les mêmes connaissances que moi. Vous me consolez, mon Père, quand j'en ai besoin. Enfin mon esprit est parfaitement content. Une seule chose m'afflige, la misère de mes parents d'Agnié, qui sont encore infidèles pour la plupart, et qui sont en danger de mourir dans leur infidélité. Mon Père, que cette pensée me fait de la peine! Je sais bien qu'ils ont aussi bien que nous des Pères qui les instruisent, et qui les exhortent continuellement à embrasser la Foi. Il y a aussi des chrétiens parmi eux, et des personnes qui vivent selon Dieu, il est vray. Mais le plus grand nombre est encore du côté de ceux qui suivent nos coutumes superstitieuses, qui vivent dans l'ivrognerie et dans la brutalité. Ces mauvais exemples seront toujours un grand obstacle à leur conversion. Mon Père, il m'est venu une pensée de leur écrire par votre main, et de leur décharger mon cœur sur les appréhensions que j'ai de la perte éternelle de leurs âmes. Les Pères qui sont sur le lieu leur feront volontiers lecture de cette lettre.»
Le Père voulut bien lui prêter sa main et sa plume, et elle lui dicta toutes ses pensées avec simplicité, adressant divers avis à divers de ses parents, selon la connaissance qu'elle avait de leurs mœurs et de leurs faiblesses. Voici un extrait des principaux articles que la lettre contenait.
La première personne à qui elle parle est sa sœur: «Ma chère sœur, lui dit-elle, je me réjouis de ce que vous ayez embrassé la Foy. Si vous voyiez ce que font ici les bons chrétiens, vous en seriez ravie. Ô que vous auriez du plaisir de les entendre chanter les cantiques spirituels dont ils honorent Dieu! Venez donc ici, ma chère sœur, et jouissons toutes deux ensemble d'un avantage si grand.
Tsaoüenté, ma fille, (c'est une autre jeune femme à laquelle elle a laissé son nom), puisque nous n'avons toutes deux qu'un même nom, n'ayons, je te prie, qu'une même religion. Fais-toi instruire. Fais-toi baptiser au plutôt par les Pères, afin que nous ne soyons pas séparées dans l'éternité! Aspirons toutes deux à la possession d'une unique félicité, que Notre-Seigneur a promise aux bons chrétiens dans le Ciel.»
Puis s'adressant à son père: «Mon père, mon cher père, si vous saviez le désir que j'ai de vous voir au Ciel avec moi, et si vous étiez aussi assuré que moi du bonheur qu'on y possède, ô que vous auriez envie d'être chrétien! Écoutez bien les Pères qui vous instruisent. Ils vous prêchent des vérités que Jésus-Christ, le Maître de nos vies, leur a commandé de vous enseigner, et entre autres qu'Il prépare une vie éternelle à ceux qui garderont Ses saints Commandements, et un enfer rempli de feux éternels pour ceux qui ne les observent pas. Ah! Mon cher père, il n'y a que cette malheureuse habitude que vous avez de vous enivrer, qui puisse vous fermer la porte du ciel. Préfèrerez-vous un plaisir honteux, et qui est toujours suivi de la perte de la raison, à la possession d'une félicité éternelle? Renoncez donc avec courage à vos intempérances, faites-vous chrétien. Si vous ne suivez pas mon conseil, sachez que dans peu d'années, et peut-être dans peu de jours je ne serai plus votre fille, et que vous ne serez plus mon pere.»
À un vieillard qui est son oncle, elle écrit ainsi: «Mon cher oncle, j'ai bien de la joie de la nouvelle que j'ai apprise, que vous êtes chrétien. Ah! Procurez, je vous prie, le même bonheur à mon père. J'attends cela de l'amour que vous avez pour Lui et pour moi, ne me frustrez pas de mon espérance.»
Enfin, comme elle avait coutume, étant dans son pays, de parler dans les conseils, et d'y donner son avis sur les affaires publiques, parce qu'elle était du nombre des Otiander, c'est à dire des nobles et des importants, elle conjure toute sa nation de retrancher ce qui les empêche d'écouter les prédicateurs de l'Évangile.
«Habitants de Gannaouaé, vous m'écoutiez autrefois dans les conseils, mais je mérite bien mieux à présent d'être écoutée, puisque je vous parle de votre salut éternel, et de l'affaire la plus importante que vous ayez en ce monde. Écoutez ceux qui vous enseignent et croyez-les. Mais renoncez au plutôt, avec moi, à ces misérables coutumes, que nos grands ennemis, les démons de l'enfer, ont inventées pour nous perdre avec eux. L'attache que vous y avez, aussi bien qu'à l'ivrognerie et à l'impureté, vous bouche les oreilles, et elle empêche que la doctrine salutaire qu'on vous enseigne ne pénètre jusques dans vos cœurs. Suivez mon conseil, autrement toutes les prières que nous adressons pour vous tous les jours à la divine Majesté, vous seront inutiles. Ah! mes frères, que ne connaissez-vous les maux que souffrent en enfer ceux qui sont morts dans l'infidélité, ou dans leurs péchés, n'ayant pas observé ce qu'ils avaient promis au baptême! Que ne puis-je vous faire comprendre les satisfactions dont vous jouirez dans le Ciel, si vous voulez me croire! Ne pensez pas que les Pères qui vous instruisent, veuillent vous tromper. Ils vous portent la Parole de Celui Qui est la vérité même, et la bonté souveraine. C'est maintenant que vous devez les écouter, il ne sera plus temps après la mort.»
Cette âme zélée n’en finissait plus dans sa lettre. Et nous avons remarqué qu'à mesure que nos néophytes croissent dans l'esprit de la Foy, ils ont aussi plus de zèle pour la conversion des autres. Un de nos anciens dogiques (catéchistes), nommé Louis Taondechoren, disait il n'y a pas longtemps, au même Père, qu'il quitterait volontiers, s'il voulait le lui permettre, la demeure de Notre-Dame de Foy, où il mène une vie douce et paisible, où il est aimé et respecté de tous ses gens, pour aller demeurer en un lieu éloigné, qu'il lui nommait, fort incommode et où il aurait beaucoup à souffrir, parce qu'en quelques saisons de l'année, il y a grand nombre d'Iroquois et de Hurons étrangers, et que là il s'emploierait nuit et jour à leur apprendre les vérités de notre religion, et qu'il mourrait volontiers dans cet exercice.
Ils sont tous bien informés de l'ardent désir que Notre-Seigneur a de la conversion des âmes, et c'est aussi pour Lui plaire que plusieurs d'entre eux font de grandes mortifications, et qu'ils adressent continuellement des prières à Dieu pour le progrès de toutes ces nouvelles Églises (Églises en tant que communauté).
Le Père fait une remarque surprenante dans ses mémoires, que parmi ces nouveaux chrétiens, qui n'étaient il y a quelques années que de pauvres barbares élevés dans l'ignorance du vrai Dieu, il en connaissait plusieurs qui avaient un don extraordinaire d'oraison et d'union avec Dieu, jusqu'à ne perdre presque jamais sa présence. Et tout fraîchement une bonne veuve qui était restée seule pour quelques mois, pendant que sa famille et tous ceux de sa cabane étaient allés à la chasse, lui disait en riant: «Mon Père, mes gens ne sont-ils pas plaisants? Ils me plaignent fort dans ma solitude, croyant que je m'ennuierais beaucoup. Vous savez, mon Père, que je ne m'ennuie jamais moins que quand je suis seule. J'ai tant de choses à dire à Notre-Seigneur, que je n'ai pas la moitié du temps que je souhaiterais pour Lui parler. Je m'entretiens avec Lui comme si je le voyais de mes yeux. Je Le prie pour ceux qui n'ont pas le bien de Le connaître. Je Lui nomme tous ceux de ma famille les uns après les autres, et je Lui demande pour eux, ce qui est le plus avantageux pour leur salut. Je Lui raconte mes peines et mes afflictions. Il me semble aussi qu'Il me répond et qu'il s'entretient avec moi, tant Il a de bonté. Ah! Que je suis éloignée de tomber dans l'ennui, tandis que je suis ainsi en conversation avec mon Jésus et que les journées me durent peu: Cum simplicibus sermocinatio Ejus!» Au reste cette bonne femme nommée Jeanne Tsiaoüennia, est celle qui prit ce printemps dernier le soin de faire ensemencer les terres des pauvres, et de ceux qui n'étaient pas encore de retour de leur chasse.
Ce fut aussi la même, qui assistant de nuit une pauvre malade, après qu'elle eut reçu tous ses Sacrements, et la voyant entrer en agonie, alla par les cabanes convoquer toutes les associées de la sainte Famille, les assembla chez la malade, y fit avec elles des prières convenables à l'état où elle était, lui disant de temps en temps quelque bon mot à l'oreille, jusqu'à ce qu'elle eut expiré, et même passant ensuite le reste de la nuit en prière pour le repos de son âme. J'ajouterai encore une chose assez grande de cette dévote et fervente chrétienne. Le jour de Paques, elle alla trouver le Père, et lui dit: «Mon Père, je vous prie de trouver bon que je fasse aujourd'hui un festin aux principaux de la bourgade, en témoignage de la joie que nous avons de la glorieuse Résurrection de Notre-Seigneur. Vous savez nos coutumes. Quand quelqu'un de nos alliés s'est échappé des mains des ennemis, après les cris de joie dont toute la bourgade retentit à son arrivée, nous lui faisons festin de ce que nous avons de meilleur pour lui marquer la joie que nous avons de son heureuse délivrance. En ferions-nous moins pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, Qui Se présente aujourd'hui à nous dans la gloire de Sa Résurrection, après S'être délivré par Sa toute puissance, des mains de Ses ennemis? Il me semble, mon Père, que ce serait en nous une ingratitude insupportable que de manquer à ce devoir.» Le Père lui ayant accordé ce qu'elle désirait, plusieurs firent de même en l’imitant, de sorte que toutes les Fêtes se passèrent en dévotion, en prières, et en ces réjouissances innocentes. Or ces festins consistent d'ordinaire en deux ou trois boisseaux de blé d'Inde (maïs), quelquefois mêlé avec des pois, et assaisonné ou de poisson, ou de chair boucanée, c'est à dire séchée au feu et à la fumée. Car de boisson alcoolisée il n'en faut pas parler. Les prières s'y font au commencement et à la fin, sans y manquer, après la bénédiction que donne le Père, quand il s'y trouve, ou bien le chef de la famille. On chante, avant que de manger, quelques cantiques spirituels. Et pendant ces jours de réjouissance, tous ces cantiques furent sur le sujet de la Résurrection de Notre-Seigneur. Les enfants firent aussi leur petit festin à part. Il y avait un grand plaisir à les entendre chanter à deux chœurs, le triomphe de la Résurrection du Fils de Dieu, les garçons d'un côté, et les filles de l'autre. Il se trouve parmi eux de très belles voix. Ils gardent exactement la mesure, ils ne manquent pas à faire tous en même temps les poses, et pas un ne devance les autres d'une seule syllabe.
Le beau de la cérémonie du jour de Paques, fut qu'à l'issue de la grand-messe un ancien meneur chrétien, âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, fut si consolé d'avoir vu une ouverture de la Fête de Paques si ravissante, tant de dévotion et un nombre extraordinaire de communions, dans un mélange agréable de Hurons et de Français, qu'il s'écria du milieu de la place, devant l'église, d'une voix puissante, qui se faisait entendre dans le fond des forêts voisines:
«Koüatondharonnion, Koüatondharonnion, réjouissons-nous, réjouissons-nous hommes, femmes et enfants, grands et petits, jeunes et vieux, réjouissons-nous, Jésus est ressuscité, Jesus est ressuscité, il est ressuscité pour nous. Il a surmonté la mort, nous ne devons plus la craindre. Il nous fera part de sa vie, et de sa vie glorieuse. Ne redoutons plus nos ennemis. Jésus dans la gloire nous tient sous Sa protection. Iroquois, après avoir rassasié ta cruauté des chairs de notre nation, après t'en être saoulé, tu t'étais réservé, comme pour ton dessert, ce petit reste que nous sommes. Ce n'est plus pour toi. Jésus est trop puissant pour te le laisser arracher de Ses mains, et la Sainte Vierge Sa Mère, qui a bien daigné prendre dans cette chapelle sa demeure parmi nous, Le prie avec trop d'instance de nous protéger. Il ne nous abandonnera jamais, et il ne permettra jamais que nous soyons en proie à ta cruauté. Courage, petit reste de la nation huronne, votre tige n'est pas encore sèche. Elle repoussera. Jésus ressuscité la fera revivre et refleurir. Oui, Jésus la rétablira et la rendra plus nombreuse que jamais, pourvu que nous Lui soyons toujours fidèles, et à la Sainte Vierge, et que nous soyons fermes dans la résolution que nous avons prise de ne donner jamais aucune entrée au péché dans cette bourgade, surtout aux vices qui sont capables de détruire la charité et l'union qui est entre nous, à l'impureté et à l'ivrognerie.» Ce bon vieillard parlait du cœur, et son discours fit beaucoup d'impression dans l'esprit de ceux qui l'écout;erent. Mais il n'y a rien en cela de bien extraordinaire. La Foy de ce bon peuple est si grande, aussi bien que le désir qu'ils ont de se sauver, que vous ne leur parlez jamais de Dieu, de nos saints Mystères, et de tout ce qui touche le salut éternel, qu'ils n'en soient sensiblement touchés. On ne croirait pas combien ils versèrent de larmes pendant la semaine Sainte, au sujet de la Passion que le Père Chaumonot leur prêcha le Vendredi Saint. Ils ne se contentèrent pas de témoigner par leurs yeux le sentiment qu'ils en avaient. Ils voulurent encore mêler leur sang avec leurs larmes par de rudes disciplines.