La place du créditiste n'est pas là
Que des hommes de partis entrent dans les parlements et que la majorité d'entre eux y soient des nouilles, des boutons à vote du côté du parti, c'est admissible - c'est tout ce qu'on attend d'un parti. Il y a là continuité plutôt que déchéance. Surtout, déception pour personne.
Mais que des gens d'idéal aillent dans cette «galère» se faire «happer» et «engluer», incapables d'y réaliser la centième partie de l'objectif au nom duquel ils réclamaient un mandat, c'est là une descente. Et ce sont ces déchus de mouvements d'idéaux qui découragent le peuple, bien plus que les momies des partis politiques traditionnels.
Ce ne sont pas des députés, ni des aspirants-députés, ni des organisateurs d'élections, mais des apôtres qu'il faut à un mouvement de salut.
De 1935 à 1958, la députation créditiste au Parlement d'Ottawa a varié en nombre. Commencée avec 17 députés, elle est descendue à certaines élections à 10 ou 12; elle atteignit son maximum de 19 en 1957 pour tomber à zéro en 1958. Disons que le moyenne a été de 15 au cours de ces vingt-trois années.
Si, au lieu de 15 hommes assis là pendant ces 23 ans, il y avait eu 15 apôtres du Crédit Social parcourant le Canada anglais pendant vingt-trois ans, non pas pour mousser leur candidature, mais pour porter le message authentique du Crédit Social, est-ce que la cause ne serait pas plus avancée aujourd'hui?
Puis, est-ce que les esprits n'auraient pas été plus ouverts au Crédit Social présenté comme doctrine de libération et de formation d'hommes, au lieu d'être associé à un parti cherchant à prendre la place des libéraux ou des conservateurs? Est-ce que les portes libérales et conservatrices n'auraient pas été plus accueillantes devant un porteur de vérité que devant un concurrent politique?
Les brouillons qui, dans la province de Québec, se groupent autour de Réal Caouette, ou derrière lui, essaient justement de faire ce qu'un adversaire de la cause créditiste aurait de plus efficace à suggérer pour l'entraver.
Réal Caouette et ses Judas ne sortent de leur embourgeoisement que pour essayer de saboter une œuvre qu'ils n'ont point fondée. Trop lâches pour partir de zéro, ils voudraient bousculer les bâtisseurs et installer leurs passions dans l'édifice. Ils voudraient détourner au service de leur gloriole un mouvement dont ils n'ont eu cure d'endosser les responsabilités. Ils sont prêts à le ternir, s'ils le pouvaient, en s'en faisant un escabeau pour leurs ambitions politiques. Ils en sont encore à la méthode vieillie et stérile des partis politiques, qui en matière de réforme n'a jamais apporté que déceptions au peuple. Les avatars électoraux les plus spectaculaires ne leur ouvrent pas les yeux; ou plutôt ils ferment délibérément les yeux pour ne consulter que leurs appétits: traits parasitaires de racketeers et de politiciens.
Vers Demain, 1er août 1958