LE PÈRE RIQUET À LA LOGE VOLNEY
C'est alors qu'entre en scène le R. P. Riquet de la Compagnie de Jésus.
Ancien déporté, il a subi les humiliations et les privations des camps de prisonniers en compagnie de Francs-maçons, victimes comme lui de leur patriotisme et des sévices de l'occupant. Il a contracté là-bas des amitiés respectables, bien sûr, mais qui, si elles ont à juste titre développé ses sentiments de charité, n'ont apparemment pas aiguisé en lui l'intelligence de la chose maçonnique aussi bien quant à l'histoire qu'aux réalités présentes et aux principes posés par les encycliques.
Le Père Riquet est un interlocuteur valable.
De l'autre côté, le Frère-Maçon Marius Lepage, alors Secrétaire Général de la Préfecture de la Mayenne, Maître en chaire de la Loge Volney à Laval (Grand Orient de France), Directeur de la revue Le Symbolisme fondée par Oswald Wirth dont il fut le disciple. Avec Marius Lepage, c'est la suite du même groupe agissant, celui des Wirth, des Cohen, des Cauwel, des Lantoine où il convient de ranger maintenant Riandey et Marsaudon. Mais il s'agit cette fois beaucoup moins d'un dialogue que d'une manifestation spectaculaire, d'un flash donnant le départ à une campagne orchestrée où le public doit voir un revirement de l'Église en rapport avec l'ouverture du Concile.
Le 10 Février 1961, Marius Lepage envoie donc une circulaire aux Francs-Maçons de Laval, aux Vénérables de Loges de la Correspondance, exposant que le Dr Mérigot du Grand Orient de France, membre du parti communiste, Conseiller Général du Cher et Maire de Vierzon fera une conférence à la Loge Volney sur l'athéisme. Il ajoute que pour exposer sur la même question le point de vue catholique, le P. Riquet y parlera le 18 Mars en tenue blanche fermée. D'après lui, quelques démarches personnelles, malgré les interdictions canoniques pesant sur la Franc-Maçonnerie, ont, à sa grande surprise, abouti rapidement; il a obtenu la permission de l'Évêque. La circulaire insiste sur l'importance d'une telle manifestation car c'est, dit-elle, la première fois depuis près de deux cents ans qu'un prêtre catholique est autorisé à pénétrer dans une loge et à prendre la parole devant un auditoire exclusivement composé de Francs-Maçons.
Il est impossible de suivre le Frère-Maçon Marius Lepage dans ses allégations sur la rapidité de ses démarches personnelles. La chose demandait en effet une préparation à laquelle Me Alec Mellor revendique sa part, importante à ce qu'en dit l'article de la Semaine Religieuse de Paris qu'on lira plus loin et qui en tout état de cause requérait aussi la permission des Supérieurs du P. Riquet.
Le Père fut donc introduit dans la Loge maillets battants, grand honneur! Le Figaro toujours friand de nouvelles religieuses susceptibles d'émerveiller le bourgeois - il confiera ses colonnes pendant le Concile à la plume intelligente de l'Abbé Laurentin, prophète de la collégialité en marche - se chargeait du compte-rendu. On le trouve à la une du Figaro Littéraire (25 mars 1961) sous le gros titre: LE P. RIQUET À LA LOGE VOLNEY". Exactitude garantie grâce à l'obligeance du Père et de Marius Lepage; annonce simultanée du livre de Me Alec Mellor, Avocat à la Cour de Paris: NOS FRÈRES SÉPARÉS LES FRANCS-MAÇONS. Cet ouvrage était édité par la Maison Marne autrefois parée du titre d'éditeurs pontificaux en même temps que, suprême coquetterie, fondée et dirigée par un franc-maçon: Ferdinand, Auguste, Amant Marne (1811-1893).
Pour un coup de grosse caisse, c'en était un.
Marius Lepage cinq mois après ne s'en tenait pas encore de contentement.
Lisez immédiatement ce livre en attendant que nous en reparlions. Et n'oubliez pas de remarquer l' "Imprimatur" dont il est revêtu. Je me suis frotté plusieurs fois les yeux avant de me faire une raison; j'avais bien lu: «Nihil-obstat»... «Imprimatur»... Diable!... Oh pardon, mes chers lecteurs, le mot m'a échappé. Il n'est plus de circonstances.
L'imprimatur était en effet de Mgr Hottot, de l'Archevêché de Paris, le Nihil obstat du Père Bonnichon de la Compagnie de Jésus, rédacteur aux Études, mentionné par A. Mellor dans son Introduction comme lui ayant apporté sa collaboration, doctrinale bien entendu, dans la rédaction de son ouvrage. Évidemment, le P. Bonnichon ne voulant pas se faire une injure, le Nihil obstat n'avait pas du traîner et Mgr Hottot, en toute assurance ne pouvait qu'y ajouter une garantie qui avait au moins le mérite de montrer au peuple fidèle que l'intentio œcumenica franchissait les barrières du clergé régulier pour· la défense de la Veuve et des opprimés.
C'est bien en effet l'impression qu'on retire à la lecture de ce plaidoyer (car c'en est un) où l'on voit la victime, la Franc-Maçonnerie, condamnée, non sans motif, hélas, mais moins à cause de sa nature profonde originairement chrétienne(!) qu'en raison de ses maladresses, de ses secrets sans grande importance et des excès des frères italiens excitant la bile de Léon XIII dans l'encyclique "Humanum Genus". L'auteur, à l'appui de ces thèses fantaisistes, présente des documents officiels - intéressants en vérité - mais toujours fidèles à la discrétion maçonnique et ne parle - ou si peu et en passant - ni des révolutions de 1789, 1830, 1848, ni du rôle du très illustre Frère-Maçon Palmerston dans la guerre à la Papauté, ni de la révolution de 1917 revendiquée cependant en partie par les Suprêmes Conseils comme étant leur œuvre, ni du Front Populaire en Espagne et en France, etc., etc.
On a pu penser que la réception du P. Riquet ne tire son importance que de la publicité qui lui a été faite. Ce n'est pas notre avis. Il y a presque toujours dans la poursuite d'une politique déterminée un ou plusieurs événements nouveaux, fortuits ou concertés, qui, même passés inaperçus, en constituent l'élément de base, le point d'appui. Dans les perspectives maçonniques la réception de Laval est de ceux-là. La publicité du fait en lui-même ne lui eut rien ajouté si, le livre d'A. Mellor, jetant un voile sur l'œuvre et les buts de la Maçonnerie, n'était comme le motif probant, la raison suffisante de l'événement. Les deux forment un tout qu'une publicité bruyante, tapageuse va jeter dans le public pour tenter de retourner l'opinion d'un seul coup. La publicité intervient donc au moment où la conjoncture politique rend souhaitable au régime qui oriente la presse et possible aux intéressés, l'opération d'asphyxie du grand public.
L'exploitation de l'événement va se poursuivre à un rythme rapide. C'est d'abord le Figaro, depuis longtemps inféodé à la politique synarchique des Schlumberger, des Coudenhove-Kalergi, qui ouvre ses colonnes au P. Riquet. On trouvera dans la DOCUMENTATION CATHOLIQUE DU 4 MARS 1962, plusieurs de ses articles où il développe sans broncher l'énorme farce d'une Maçonnerie spéculative, héritière des bâtisseurs de Cathédrales, du christianisme, de cette Maçonnerie naissante peuplée de catholiques comme s'il n'en était pas de même aujourd'hui, comme si les interdictions pontificales n'avaient pas précisément pour but de combattre cet abus! Tandis qu'Alec Mellor, exaltant probablement à dessein le Jacobinisme des Loges écossaises composées de partisans des Stuart, demeure plus discret sur leur étrange mystique, le P. Riquet, vantant avec émotion ces Maçons qui croient en Dieu, laisse dans l'ombre le fait que les successives condamnations pontificales portent sur l'essence même de l'institution maçonnique, sa constitution, ses actes. On le voit alors prêchant sa bonne nouvelle chez les religieuses de l'Assomption, au Rotary de Mantes, à Perpignan dans une réunion de charité présidée par l'évêque. Parallèlement, A. Mellor énumère ses succès à Témoignage Chrétien, à La Vie Spirituelle des Dominicains, à La Nation Française. Il relate, avec complaisance, la conférence d'un Père capucin sur Teilhard de Chardin dans deux Loges maçonniques d'Amsterdam avec la haute approbation de l'évêque de Harlem. Des publications catholiques emboîtent le pas, montrant que la Maçonnerie n'est pas ce qu'un vain peuple catholique pense. En Octobre 1963, Ecclesia qui semble vouloir se faire une spécialité du genre, publie sous la signature de Serge Hutin, écrivain maçonnique, un autre plaidoyer rempli d'inexactitudes, d'accusations fausses contre les anti-maçons, Mgr Jouin et ses disciples en particulier et qui ne craint pas d'y ajouter l'injure en les traitant de calomniateurs. A. Mellor avait lui-même qualifié d'oligo-phrènes (*), et de frères à la manière de Caïn, (sans doute par opposition symétrique avec nos frères séparés les Francs-Maçons), ces intégristes - toujours l'étiquette facile - jugés sans doute indignes de la charité XXème siècle dont on les accuserait de manquer si seulement ils exprimaient le désir de se mettre sous les portes cochères à l'abri de l'averse.
En 1963, parut encore à la Maison Marne, le second ouvrage d'A. Mellor LA FRANC-MAÇONNERIE À L'HEURE DU CHOIX". Cette fois, le NIHIL OBSTAT était du P. Riquet, mais l'Imprimatur toujours de Mgr Hottot. Gros ouvrage de cinq cents pages. Un coup d'œil sur la table des matières permet de voir qu'il s'agit surtout de l'histoire et de l'Ordonnance intérieure de la Maçonnerie: obédiences, rituels, travaux, problèmes contemporains. C'est un cours à l'usage des catholiques. Cours tendancieux, bien sûr, car on ne touche guère à l'œuvre de la secte: son opposition tantôt ouverte, tantôt cachée à l'Église romaine, le danger de son naturalisme, l'agressivité de son laïcisme militant, les conspirations que lui ont reprochées les Papes et l'histoire, ses visées de dominations religieuses et politique du monde. La nature de l'initiation, du symbolisme et du secret y paraît tellement amoindrie, surtout dans les maçonneries anglo-saxonnes, que seules quelques difficultés facilement surmontables les sépareraient de l'Église!
Si Me A. Mellor était Pape la question serait-elle si vite résolue au gré des désirs de ses amis? Qu'en pensent les Frères?
Notes:
(*) L'insulte étant un art que les Francs-Maçons exercent avec brio, voici ce que cela veut dire:
OLIGO du grec oligos, peu nombreux.
PHRÈNE (du grec, phrenesis, trouble, agitation. Délir furieux.
oligo-phrènes fous furieux peu nombreux.
Ce che Mellor se promenait avec son livre d'insultes sous le bras, au lieu de sa baguette de pain... Quand les arguments viennent à manquer, les acéphalopodes sortent le livre des insultes.