Aux États-Unis, l'euthanasie est illégale dans tous les États. Elle est poursuivie sur le fondement de meurtre ou d'assassinat. Le suicide médicalement assisté est sanctionné de la même façon dans presque tous les Etats, mais, contrairement à l'euthanasie, il se trouve au centre du débat dans une société qui met l'accent sur l'autonomie de l'individu.
En Oregon, seul État qui a autorisé, à ce jour, la prescription d'une médication létale à un malade en phase terminale qui en fait la demande, la loi sur la mort dans la dignité, entrée en vigueur en novembre 1997, a suscité de nombreux mouvements d'opinion et des oppositions à tous les niveaux, si bien que de plus en plus de médecins hésitent à administrer de fortes doses d'antalgiques, de peur d'être poursuivis pour violation de la loi fédérale sur les narcotiques.
Le droit d'arrêter ou de refuser un traitement (y compris un traitement qui maintient le patient artificiellement en vie) est depuis longtemps reconnu par la jurisprudence. D'ailleurs, tous les États ont adopté des dispositions qui permettent au patient de faire connaître à l'avance les décisions médicales qu'il souhaite voir prises dans le cas où il deviendrait incapable.
I. LE CADRE JURIDIQUE
Les textes qui traitent des différentes formes d'euthanasie varient d'un État à l'autre, l'État fédéral n'intervenant dans ce domaine que par le biais des fonds fédéraux, dont il contrôle l'affectation.
1) Les lois pénales des États
Dans tous les Etats, l'euthanasie constitue un homicide. Ainsi, le médecin qui administre à son patient un produit mortel ou le lui fournit pour que celui-ci se l'administre lui-même peut être poursuivi pour meurtre ou assassinat, même s'il agit avec le consentement du malade et même si celui-ci se trouve dans un état proche de la mort.
Par ailleurs, l'aide au suicide constitue une infraction dans presque tous les États: trente-cinq États ont une loi qui incrimine expressément l'aide au suicide et neuf autres États la condamnent en application d'une jurisprudence constante, tandis que l'Oregon est le seul à l'avoir récemment légalisée.
2) La loi de l'Oregon sur la mort dans la dignité
Elle constitue l'exception au principe énoncé plus haut.
En novembre 1994, interrogés par référendum, 51 % contre 49 % des habitants de l'Oregon ont approuvé une loi autorisant le suicide médicalement assisté. Les opposants à cette loi ont alors déposé un recours en justice, qui a suspendu son entrée en vigueur jusqu'au début de l'année 1997, puis ont obtenu du Parlement de l'État qu'elle fût soumise à un second référendum. En novembre 1997, les électeurs ont choisi à une large majorité (60 % contre 40 % des voix) de ne pas repousser cette loi, qui est entrée en vigueur immédiatement.
Cette loi permet à «un adulte capable (...), dont le médecin traitant et un médecin consultant ont établi qu'il souffrait d'une maladie en phase terminale (qui entraînera la mort dans les six mois) et qui a volontairement exprimé son souhait de mourir, de formuler une requête pour obtenir une médication afin de finir sa vie d'une manière humaine et digne». Un troisième médecin spécialisé établit, si besoin est, que le patient ne souffre pas de dépression en rapport avec sa maladie. Le malade exprime son accord par une requête verbale, réitérée dans un délai de quinze jours, puis par une requête écrite. La rédaction de la prescription ne peut se faire qu'après l'écoulement d'un délai d'au moins quinze jours à compter de la première requête et de quarante-huit heures à compter de la requête écrite. Le texte prévoit que le médecin puisse bénéficier d'immunités et se prévaloir d'une clause de conscience.
3) Les lois fédérales sur les fonds fédéraux
Deux d'entre elles ont une influence directe sur la pratique de l'euthanasie et de l'aide au suicide:
- l'Assisted Suicide Funding Act, adopté par le Congrès en 1997, interdit que des fonds fédéraux servent au paiement de biens ou de services en relation avec le suicide assisté, l'euthanasie ou le meurtre par compassion;
- la loi sur l'autodétermination du patient, adoptée par le Congrès en novembre 1990, oblige les services médicaux recevant des fonds fédéraux à informer le patient, au moment de son admission, sur son droit à refuser un traitement et sur les lois relatives au testament de vie ou au mandat de santé en vigueur dans l'État, ainsi qu'à lui fournir des formulaires.
4) Les lois des Etats sur les instructions avancées
Tous les États ont légiféré pour permettre au patient de laisser des instructions quant aux décisions médicales qui devraient être prises (y compris l'arrêt de tout ce qui le maintient en vie artificiellement) s'il devenait incapable. Il peut s'agir d'instructions écrites, comme le testament de fin de vie, ou de la désignation d'un mandataire de santé.
Les cinquante États, ainsi que le district de Columbia, prévoient une forme ou une autre d'instruction anticipée: quarante-six États et le district de Columbia autorisent les deux; l'Alaska n'autorise que le testament de vie; le Massachusetts, le Michigan et l'État de New York seulement le mandat de santé.
La faible utilisation de ces possibilités par les malades, malgré l'incitation que constitue la loi fédérale sur l'autodétermination du patient, a conduit environ la moitié des États à adopter des dispositions permettant de désigner d'office un mandataire de santé. Lorsque le patient ne l'a pas fait lui-même et qu'il n'a pas émis un refus exprès préalable, il est donc possible, en suivant des règles analogues à celles des successions ab intestat, de désigner un proche du malade comme mandataire de santé.
II. LA PRATIQUE ET LE DEBAT
1) L'euthanasie active
Elle est unanimement condamnée, mais elle n'occupe pas une place essentielle dans les discussions. En effet, conséquence de la crainte des Américains devant de possibles dérives de l'euthanasie et de la priorité donnée à l'autonomie du patient dans les décisions d'ordre médical, le débat s'est centré sur l'aide au suicide.
2) L'aide au suicide
Une large majorité de parlementaires fédéraux et locaux est opposée au suicide médicalement assisté, tout comme l'administration Clinton.
Quant à l'Association médicale américaine, elle considère que l'aide au suicide est en totale contradiction avec la mission thérapeutique du médecin et qu'elle nuit gravement à la relation entre le médecin et le malade.
Paradoxalement pourtant, les sondages indiquent que les Américains sont majoritairement favorables au suicide médicalement assisté. Les jurés sont également peu enclins à condamner une personne qui en aide une autre à se suicider. Ainsi, le Docteur Y. Kevorkian, connu comme le docteur suicide aux Etats-Unis, et qui revendique avoir aidé à ce jour cent-vingt personnes à se suicider n'avait jamais été condamné jusqu'au mois de novembre 1998, alors même que tous les éléments de l'infraction étaient établis.
Le 26 juin 1997, la Cour suprême américaine, dans les deux affaires Washington c. Harold Glucksberg et Vacco, attorney general of New York, c. Quill a jugé:
- qu'il n'y avait pas de droit constitutionnel à l'aide au suicide par un médecin;
- que les lois des États interdisant l'aide au suicide n'étaient pas inconstitutionnelles (en vertu du quatorzième amendement, selon lequel: «Aucun Etat (...) ne pourra priver une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière»);
- que les États pouvaient choisir de légaliser ou non l'aide au suicide.
La majorité des juges siégeant à la Cour suprême a laissé entendre que des recours ultérieurs de malades incurables pourraient faire évoluer cette jurisprudence.
Les opposants au suicide médicalement assisté ont poursuivi leur combat, et le sénateur républicain Don Nickles a présenté au Congrès, cet automne, un texte qui permettrait à la Federal Drug Enforcement Administration d'enquêter sur l'intention d'un médecin qui prescrit une forte dose de stupéfiants et d'interdire la prescription de certaines substances par les médecins coupables d'avoir prescrit des stupéfiants pour aider au suicide. Un vote pourrait avoir lieu début 1999.
Par ailleurs, le 4 novembre 1998, les électeurs du Michigan ont rejeté par 71 % des voix contre 29 % une proposition tendant à légaliser le suicide médicalement assisté, comme cela s'était passé dans l'État de Washington en 1991 et en Californie en 1992. Une loi interdisant l'aide au suicide est entrée en application le 1er septembre 1998 dans l'État du Michigan.
En Oregon, le seul des États à avoir légalisé le suicide médicalement assisté, d'après un rapport publié en août 1998, dix personnes ont obtenu une dose mortelle de médicaments en application de la loi, et huit d'entre elles l'ont utilisée. Les deux autres personnes sont mortes avant d'avoir pu s'en servir.
3) L'euthanasie indirecte
Bien que certains États interdisent expressément d'administrer à des patients des doses potentiellement mortelles de sédatifs en vue d'atténuer la douleur, l'euthanasie indirecte était largement pratiquée jusqu'à la fin de l'année 1997.
L'adoption de la loi sur le suicide médicalement assisté en Oregon a provoqué de nombreuses réactions et de nombreuses oppositions. Dès novembre 1997, la Federal Drug Enforcement Administration a menacé les médecins prescripteurs de sanctions pour violation de la loi fédérale sur les narcotiques, obligeant ainsi le ministre fédéral de la Justice, Mme Janet Reno, à déclarer en juin 1998 que les médecins qui agissaient en conformité avec la loi en vigueur dans leur État ne pouvaient être poursuivis. Les menaces de la Federal Drug Enforcement Administration ont cependant conduit de nombreux médecins à s'abstenir d'utiliser des antalgiques puissants comme la morphine. Ainsi, un sondage réalisé en 1998 à New York montre que 71 % des médecins reconnaissent ne pas prescrire d'antalgiques dans le traitement du cancer dès lors qu'ils nécessitent un formulaire particulier.
A contrario, en Oregon, la loi sur la mort dans la dignité a permis le développement des soins palliatifs et l'utilisation plus systématique de la morphine. L'Oregon est venu se ranger en quelques années dans les trois premiers États du pays utilisateurs de morphine à des fins médicales.
4) L'euthanasie passive
a) Les malades capables de donner un consentement juridique valable
Le droit pour une personne capable de refuser un traitement médical et le droit à l'intégrité corporelle sont des droits constitutionnels établis depuis 1891 avec la jurisprudence Union Pacific Railroad co. c. Botsford.
b) Les malades incapables de donner leur consentement, mais qui ont laissé des instructions avancées
Tous les États ayant légalisé, sous une forme ou sous une autre, les instructions anticipées, ces malades se trouvent dans la même situation que ceux qui peuvent donner un consentement juridique valable.
c) Les malades incapables de donner leur consentement et qui n'ont pas laissé d'instructions avancées
L'arrêt du traitement est admis dans la mesure où la volonté du patient peut être établie sans aucune ambiguïté.
Ainsi, dans l'arrêt Re Quinlan, la Cour suprême du New Jersey a, en 1976, autorisé l'arrêt de la ventilation artificielle d'une jeune femme dans un état végétatif persistant, en reconnaissant que le droit à la protection de la vie privée, garanti par la constitution du New Jersey et par celle des États-Unis, englobait le droit de refuser un traitement médical, même s'il en résultait la mort. Elle a également autorisé son tuteur à exprimer ce droit en ses lieu et place.
Dans l'arrêt Cruzan c. Missouri Department of Health, la Cour suprême des États-Unis a, en 1990, considéré que Nancy Cruzan, jeune femme dans un état végétatif persistant, avait un droit constitutionnel au retrait de la nutrition et de l'hydratation artificielles, mais qu'il fallait préalablement apporter la preuve claire et convaincante de sa volonté. En effet, la protection de la vie privée, garantie par le quatorzième amendement, assure à chacun le droit de refuser une intervention médicale. Comme, par ailleurs, la nutrition et l'hydratation artificielles constituent des moyens thérapeutiques, le patient peut les refuser, au même titre que n'importe quel traitement médical, dans la mesure où sa volonté peut être établie sans ambiguïté.
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