CHAPITRE 3
..........Autorité
.....................Travail
.............................Discipline
VIOLATION DE LA NATURE
L'homme étant, par sa nature, un être spirituel vivant passagèrement dans un corps matériel, tout organisme qui veut le conduire ou le gouverner doit donc être spiritualiste, sous quelque forme matérielle que ce soit. Un organisme social qui ne correspond pas à la nature même de ceux qui le composent et qui y sont soumis, est un organisme contre nature. Tout ce qui est contre nature est monstrueux, et la nature n'endure pas la monstruosité; elle la garde stérile ou la détruit.
Souvent, à travers les âges, le matérialisme a pris l'ascendant sur la société; chaque fois il s'est écroulé dans la confusion, le chaos, pour la plus grande misère des hommes et la destruction de ce qu'ils avaient bâti. Dans chacune des sept grandes civilisations que l'histoire a consignées, il y a eu comme dans la nôtre une crise culturelle aiguë qui a abouti à un gigantesque effondrement, celui-ci précurseur d'un retour au spiritualisme.
Rançon à payer
Quand un être humain viole une loi de la nature, il doit s'attendre à en payer la rançon, qui est généralement douloureuse. Il en est de même pour le corps social, qui ne peut échapper à l'inexorable loi. On a accoutumé de penser que les lois de la nature ne concernent que les choses matérielles et physiques, restreignant ainsi la vision de l'homme. Puisque l'homme est composé d'un corps et d'une âme spirituelle - celle-ci éminemment supérieure en qualité et en importance au corps périssable -, c'est violer la nature même de l'homme, individuellement et collectivement, que de renverser en lui l'équilibre des primautés, des importances et des supériorités. Si l'on a divisé les essences en naturel et surnaturel, toutes deux n'en sont pas moins, dans le domaine du créé, subordonnées au divin.
La terrible crise de culture par laquelle passe le monde moderne provient exactement de cette violation de la nature de l'homme. Les systèmes qui légifèrent pour lui, qui le conduisent, le gouvernent, façonnent l'organisation de sa vie, sont tous, exclusivement et sans aucune exception, des systèmes matérialistes. S'il reste encore dans quelques parties du monde, de petits États ou des pouvoirs régionaux d'esprit spiritualiste, des lois qui ont encore une teinte chrétienne, c'est par exception au grand courant général moderne; c'est comme des reliquats d'une époque où la foi - c'est-à-dire le spirituel - réglait la conduite des États et la vie des gens, plutôt que les considérations et les nécessités matérielles.
Le communisme plonge dans le matérialisme>
Avec le communisme, une moitié de l'humanité a été plongée dans le matérialisme intégral, total, qui ne considère l'être humain que comme une entité essentiellement matérielle. Cette monstruosité contre nature ne pourrait subsister, même si elle devait conquérir l'humanité tout entière. Face au communisme il y a, dans l'autre moitié de l'humanité, les socialismes de toutes nuances et les libéralismes de toutes descriptions. Au libéralisme dont s'inspirent presque tous les partis politiques connus, on donne communément les noms de capitalisme libéral, démocratie, libertarianisme. Ils sont tous de pure essence matérialiste et, par le jeu fatal de cause-et-conséquence, conduisent l'un à l'autre.
Feu le Pape Pie XI, qui fut l'un des grands penseurs de notre époque, dans sa célèbre lettre encyclique «Quadragesimo Anno», n'hésitait pas à écrire: «le socialisme a le libéralisme pour père et le communisme pour héritier». Karl Marx, le plus éminent docteur moderne du communisme, disait exactement la même chose quand il énumérait les inévitables résultats du capitalisme libéral: l'argent et le pouvoir se concentrent graduellement en un groupe toujours plus restreint, la foule se soulève contre les abus de ce groupe et réclame l'étatisation de leurs entreprises, puis comme l'étatisation ne fait qu'empirer une situation déjà précaire, une minorité agressive déloge les gouvernants par un coup de force et enchaîne le peuple entier. Si le libertarianisme dégénère infailliblement en une licence qui conduit au chaos, le communisme dégénère en esclavage qui finit par exploser et produire aussi un chaos.
Pour un poisson c'est le chaos que de vivre hors de l'eau, contrairement à sa nature; pour l'être humain, c'est aussi un chaos que de vivre contrairement à sa nature, principalement si c'est dans un exclusivisme matérialiste. Tous les systèmes que nous avons aujourd'hui, soit pro-communistes, soit anticommunistes, sont matérialistes, donc contraire à la nature de l'homme. Les réformer paraît impossible. Par ailleurs, s'il faut compter sur leur chute collective pour l'avènement d'un système spiritualiste, il n'est pas possible de décrire la profondeur et l'étendue du bouleversement mondial qu'un pareil changement nécessiterait. Seul le Maître de toutes choses connaît ces secrets.
Les prévisions de Barruel
Dans ses «Mémoires pour servir à l'histoire du Jacobinisme», Barruel avait, dès la naissance même du libéralisme longtemps avant les affirmations de Marx, Pie IX, Hamilton, Pie XI et tant d'autres penseurs, indiqué l'aboutissement fatal de ce système nouveau. Il n'y a peut-être pas d'auteur qui ait mieux analysé les origines, l'organisation, les buts des pères du libéralisme inauguré par la Révolution française puis répandu ensuite dans le reste du monde. Dès 1796 (édition de Londres), puis avec plus de précision en 1803 (édition de Hambourg), Barruel écrivait dans ses mémoires au sujet du libéralisme alors appelé jacobinisme: «À quelque Gouvernement, à quelque Religion, à quelque rang de la société que vous apparteniez, si le Jacobinisme l'emporte, si les projets et les serments de la secte s'accomplissent, c'en est fait de votre Religion et de votre Sacerdoce, de votre Gouvernement et de vos lois, de vos propriétés et de vos Magistrats. Vos richesses, vos champs, vos maisons, jusqu'à vos chaumières, tout cesse d'être à vous. Vous avez cru la Révolution terminée en France; et la Révolution en France n'est qu'un premier essai des Jacobins. Dans les voeux d'une secte terrible et formidable, vous n'en êtes qu'à la première partie des plans qu'elle a formée pour cette Révolution générale, qui doit abattre tous les Trônes, renverser tous les Autels, anéantir toute propriété, effacer toute loi, et finir par dissoudre toute société. Le présage est funeste, et je n'ai malheureusement que trop de démonstrations à produire pour le justifier».
N'est-ce pas là exactement tout ce qu'on a vu se produire durant notre génération? N'est-ce pas là tout ce qu'on a à déplorer dans les pays communistes, ce dont sont ouvertement menacés tous les autres pays dans lesquels le Iiberfarianisme tolère si complaisamment la corrosion communiste souterraine, tout en glissant ouvertement dans le socialisme? Pour annoncer près de deux siècles à l'avance exactement ce qui devait se produire dans la société des hommes, Barruel n'était ni prophète ni devin. C'était tout simplement un penseur profond et pénétrant qui, connaissant la nature réelle de l'être humain, pouvait sans risque de se tromper, annoncer avec assurance où l'application de tel ou tel sophisme devait nécessairement conduire.
Peuples enchaînés au cri de la liberté
C'est au cri de la liberté que tant de peuples ont été chargés de leurs chaînes, c'est en chantant l'hymne à l'émancipation que tant de millions d'hommes ont été poussés dans l'esclavage. Finie dans sa nature, la créature ne peut jouir que d'une liberté limitée; seul dans Son infinité le Créateur jouit d'une liberté absolue, sans limite, parce que Sa volonté est la Loi suprême et éternelle. Quand la créature a voulu faire un absolu de sa propre volonté, voulant s'émanciper de celle du Créateur; quand la créature a voulu franchir les limites de sa propre liberté en voulant la libérer de la Loi suprême, ce fut toujours instantanément et automatiquement le commencement de sa déchéance. Si ce fut le cas pour des êtres aussi parfaits que la créature pouvait l'être, tels Lucifer, Adam et Eve, combien plus ce l'est encore pour les créatures entachées de la déchéance qui leur a été léguée!
Toute créature qui est esprit, qui peut dire ego, en tant qu'elle jouit de la liberté, à cette soif de voir sa liberté s'étendre aux dimensions de sa durée, de son immortalité; cette propension, qui apparaît comme un «instinct» spirituel, devient l'orgueil de la vie, la cause de tous les maux que l'homme se cause à lui-même, quand elle n'est pas contrôlée.
Ou il n'y a aucun être au dessus de l'homme, aucun Créateur dont la volonté fait loi, et alors l'homme doit jouir d'une liberté que rien ne limite, ses droits naturels sont suprêmes et absolus; ou il y a au-dessus de l'homme un Créateur éternel et infini, Qui fait loi, Qui a Ses droits, à Qui la créature doit se soumettre.
Suivant la réponse que l'organisme social apporte à l'une ou l'autre de ces alternatives, la notion et l'application de la liberté varient conformément.
Systèmes sans-Dieu pour hommes sans-âmes
L'affirmation des «droits de l'homme» indépendamment et en faisant abstraction des «droits de Dieu» constitue une négation de l'existence de Dieu, en même temps qu'une déification de la volonté, de la raison de l'homme; cette négation de l'Esprit infini conduit à la négation de l'Esprit fini, de l'âme humaine. Et l'aboutissement inéluctable de pareille affirmation est celui d'un système sans-Dieu pour hommes sans-âme, comme le communisme. C'est ainsi que tous les penseurs sérieux ont pu dire que le libéralisme contient le germe du communisme. Et l'on verra plus loin que cette conclusion est aussi vraie sur le plan national, financier, économique et social qu'elle peut l'être sur le plan spirituel.
Toute la question, issue de la nature même de l'homme, gravite autour de la liberté de l'homme, comment elle est conçue, quelles sont ses limites si elle en a, quel usage doit en être fait, qui peut la restreindre et jusqu'à quel point si il est permis de le faire. C'est une question d'une importance capitale autant que d'une délicatesse extrême, qui a passionné toutes les écoles et tous les portiques, qui aujourd'hui semble submergée par la même confusion que celle où se débat un monde en agonie.