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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

lundi, novembre 03, 2008

DOCUMENT V


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La dialectique marxiste appliquée en Pologne communiste



Nous donnons ici quelques extraits du remarquable ouvrage de M. Claude Naurois «Dieu contre Dieu?», montrant les catholiques progressistes à l'œuvre en Pologne (1).




L'exemple de la Pologne rassurera «ces chrétiens et ces catholiques qui se demandent quelles sont les perspectives pour une idéologie religieuse sous un régime socialiste», ainsi que l'écrit M. Micewski. Car «de la réponse à cette question dépend très souvent leur attitude à l'égard du régime socialiste

Précisons une fois pour toutes que les catholiques progressistes polonais n'emploient JAMAIS le terme «communiste». On dirait qu'ils l'ignorent!

Ce qui suit est d'une importance capitale: «Puisque c'est en Pologne que s'est produite la première rencontre entre l'Église catholique et la révolution socialiste (continue M. Micewski), ce pays est un point de mire et un champ d'observations passionnées pour les masses croyantes de l'Occident. Le niveau élevé du modèle polonais de coexistence et de collaboration entre groupements professant des idéologies différentes sera à coup sûr un facteur décisif pour mobiliser les masses chrétiennes de l'Occident dans la lutte pour la réalisation du programme du Camp de la Paix... Nous sommes profondément convaincus que les principes et la pratique de la coexistence des croyants et des incroyants, tels que nous les voyons appliqués en Pologne, peuvent avoir une importance capitale et parfois décisive pour former l'attitude politique des masses chrétiennes de l'Occident...»

Après avoir fait miroiter devant les yeux éblouis de ses lecteurs l'avenir grandiose de «modèle parmi les nations» que l'Histoire décerne à la République Populaire Polonaise, il s'empresse d'en rappeler le prix.

«Les catholiques doivent réagir d'une façon concrète et idéologique à tous les problèmes nationaux et internationaux et faire un pas de plus pour transformer l'atmosphère idéo-politique dans les institutions catholiques

Ce qui veut dire tout bonnement qu'ils doivent «travailler à la soviétisation graduelle» (le mot est de Staline, Questions nationales, p. 102) de l'Église «en faisant entrer un contenu nouveau dans les formes anciennes» (Lénine, Maladie infantile, p. 67).

Qu'obtient l'Église en échange de cet avertissement?

M. Micewski ne cache pas sa pensée.

«En revanche, dit-il, le pouvoir populaire attachera une sérieuse importance à l'apport des croyants dans l'édification du régime socialiste

Voilà ce que lisaient les catholiques de Pologne dans la revue qui publiait en première page les articles de Jean Lacroix, de Béguin, de Bédarida et de Bartoli, précédés de «chapeaux» enthousiastes! Voilà le coup de vis que la naïveté de mes compatriotes a valu à l'Église asservie...

Mais il y a mieux. Les catholiques progressistes doivent sauver le prestige et «la présence» de l'Église dans l'Ordre nouveau. Car, ne nous faisons point d'illusions. «Le catholicisme, écrit J. Krasnowolski, a perdu son caractère universel et intégral. II a commencé à se réduire à la sphère des manifestations de la vie intérieure («przezycie», en allemand «Erlebnis»). II a cessé d'être une force capable de rendre les hommes dynamiques et productifs, prêts à assumer la responsabilité pour le cours des événements...»

Suit une longue citation nébuleuse d'E. Borne. Et J. Krasnowolski conclut triomphalement: «Les catholiques se sont limités presque exclusivement au rôle de détenteurs de la vérité et de parasites

Nous voici donc plongés dans une contrition amère, écrasés par le poids de nos péchés... Mais non, l'Ordre nouveau est magnanime! II ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il vive! À quelle condition? La réponse est simple:

«Puisque sous un régime socialiste il n'y a pas de place pour le catholicisme de l'époque capitaliste ou des temps féodaux, il faut éliminer du catholicisme tout ce qui était conformisme et adaptation et qui, à l'heure actuelle, est mort

«Doivent donc disparaître tous les conditionnements historiques périmés, toutes les traces d'une coexistence séculaire avec les époques révolues; il faut couper tous les liens qui nous rattachaient au monde capitaliste. Ces transformations sont souvent douloureuses, mais toujours fécondes

Ce qui nous donnera la force de les affronter, c'est la conviction profonde que «sous un régime capitaliste, le catholicisme ne peut vivre qu'en trahissant ses principes, tandis que, sous le régime socialiste, il ne peut exister qu'en demeurant fidèle à sa doctrine.» Voilà ce qui compte! Telle est la source de notre optimisme.

C'est à dessein que nous serrons ces textes de très près afin qu'on ne nous accuse pas de leur faire violence. La conclusion qui s'impose, et que M. Krasnowolski a le mérite de ne point camoufler: «C'est que l'Église catholique ne peut demeurer fidèle à elle-même que sous le régime communiste et que sous tout autre régime - n'oublions pas que pour les Soviets le partage est simple: ce qui n'est pas communiste est capitaliste -, elle trahit sa doctrine.»

Le communisme comme gardien de l'orthodoxie catholique: avouons que ce n'est pas banal! J'étais tenté de croire, tout d'abord, que M. Krasnowolski s'était trop avancé et qu'il s'agissait là d'une opinion «personnelle». Naïf que j'étais! Tous les articles de la même période, sans aucune exception, rendent exactement le même son, soit en sourdine, soit fortissimo. Sur les plumes sagement alignées, un Argus invisible veille. Point d'écart. Tout au plus, des variantes...

«
Il faut donc qu'il y ait une unité de principes entre la doctrine et l'attitude idéo-politique des catholiques. On ne saurait admettre de fissure entre un esprit conservateur dans les questions doctrinales et une attitude progressiste dans les questions sociales, économiques et politiques. Ou bien le catholique sera progressiste dans l'ensemble de ses idées, ou bien son idéologie sociale ne sera progressiste qu'en apparence et manquera d'esprit de suite...


Nous sommes convaincus que l'on ne saurait être vraiment progressiste dans l'ordre social si, en partant des positions doctrinales catholiques, on ne les adapte pas au progrès et au monde nouveau

..........................

«Tout d'abord, écrit M. Micewski, il faudra confronter les bases doctrinales de l'idéologie catholique avec la réalité concrète du monde présent et ne jamais les considérer en faisant abstraction de la vie. Une idéologie est par excellence dynamique. Elle se forme par la projection des vérités immuables de la doctrine catholique sur la réalité concrète du monde. Voilà pourquoi l'idéologie change, bien que les principes de la doctrine catholique soient immuables...»





Le lecteur est-il perplexe? N'arrive-t-il pas à saisir cette distinction «capitale» entre «des principes immuables» et «une idéologie» qui se transforme? La suite de ces pages lui donnera la clef de l'énigme. N'oublions pas la tactique communiste: jamais frontale, toujours de biais. On sauvegarde les apparences, on maintient une façade pour amortir le choc: viendra un jour où «les principes immuables», détachés de leur vivant contexte, exsangues et désincarnés, iront rejoindre sans bruit le dépôt des antiquailles. Les catholiques «progressistes» s'apercevront trop tard que la façade cache du vide.

La deuxième condition «indispensable à une attitude progressiste», c'est la façon dont on envisage «les enquêtes et l'évolution de la science moderne, surtout dans le domaine empirique et expérimental». Là encore s'impose un devoir d'adaptation...

«En ce moment, poursuit M. Micewski, le mouvement des catholiques progressistes est entré dans une nouvelle voie et s'applique à unifier l'idéologie catholique avec les convictions sociales des socialistes

Le mouvement des catholiques progressistes a le courage de lutter pour le bien de l'Église et pour l'avenir d'une idéologie catholique dans un État socialiste, mais en même temps il combattra toute politique réactionnaire dissimulée sous le manteau d'une phraséologie catholique

Vous dressez l'oreille? Vous flairez un piège?

Détrompez-vous, chers lecteurs. Il s'agit de purifier l'idéologie «sujette à changements» et non pas la doctrine immuable de l'Église. Mais, du coup, LA LUTTE DOIT ÊTRE MENÉE AU SEIN MÊME DE L'ÉGLiSE: «Les catholiques progressistes ont le strict devoir d'intensifier la lutte idéologique à l'intérieur du camp catholique

Voilà du moins qui est clair! Le ferment dialectique est à l'œuvre. Catholiques progressistes contre non-progressistes. Inquisiteurs à l'affût d'idées contre-révolutionnaires. Pourquoi les attaquer directement? Cela vaut tellement mieux qu'eux-mêmes s'entre-dévorent!

Évidemment, toute réforme commence par la tête et ce sont les prêtres qui répondent de leurs ouailles. Il faut donc que «les transformations idéo-politiques du clergé s'expriment de plus en plus nettement dans l'atmosphère des différentes institutions catholiques et dans la formation des séminaristes

«Cela implique la question des cadres.» Bien sûr, « d'accord avec la structure immuable de l'Église catholique, seuls les ordinaires exercent la juridiction», cependant «l'État ne saurait s'en désintéresser du point de vue civique et politique». Nous verrons tout à l'heure jusqu'où l'Etat pousse cette sollicitude.

Il en résulte la nécessité urgente de s'instruire. Semaines sociales, cercles d'étude, conférences, discussions, tout doit être mis en œuvre pour amener une rapide maturation de la nouvelle idéologie en des esprits trop lents ou réfractaires. Cependant, là encore, une sévère discipline mettra au pas un peuple frondeur.

«
Tout d'abord, une section des journalistes catholiques, devenue indispensable à la suite du développement de la presse catholique.

La deuxième section s'occupera des problèmes du livre et de l'art catholique.


Une troisième section sera consacrée à l'enseignement de la religion, aussi bien pour tout ce qui concerne les conditions et les possibilités d'enseigner la religion en dehors des programmes scolaires, que pour contrôler le sens de cet enseignement, et l'accorder avec les postulats sociaux
» (donc, mainmise sur le catéchisme enseigné dans les églises...)

«Les deux sections suivantes seront consacrées aux postulats du travail scientifique et pédagogique dans les séminaires, qui est de la plus haute importance pour former les cadres du futur clergé.

Enfin, la dernière section s'occupera des problèmes de la pastorale en Pologne populaire

Il s'agit de «s'emparer de toute l'activité culturelle catholique», où qu'elle soit et quelle qu'elle soit.





Le leader des progressistes est Boleslaw Piasecki. Voici un exemple de sa dialectique.

Piasecki brosse un tableau sombre de la situation d'hier.

«Les penseurs catholiques étaient obsédés par la crainte que l'amour de la créature ne fasse oublier l'amour pour le Créateur». Du coup, «ils ne suggéraient aux gens que des fins temporelles très modestes et limitées. Ils avaient peur qu'une grande perspective temporelle ne leur voile les fins dernières. L'accroissement des capacités humaines les terrifiait

«Heureusement, poursuit M. Piasecki, tout cela n'a rien à voir avec la doctrine». Après avoir plongé ses lecteurs dans la plus amère confusion, il s'empresse de redresser leur moral en leur révélant l'essence du christianisme.

Le christianisme est optimiste. Dans l'ordre de la Rédemption, cet optimisme vient de la grâce. Dans l'ordre de la Création, il a comme source le travail. La grâce a été donnée au monde par le Dieu Rédempteur qui, ainsi, a ouvert à l'homme le chemin vers le bonheur éternel. Le travail a été amené sur cette terre par le Dieu Créateur, qui a placé l'homme entre la réalité donnée et la réalité possible et désirable. Or, tout le malheur du catholicisme défaitiste et rétrograde vient de l'oubli de «l'ordre de la Création» qui postule le travail et de la prépondérance exagérée qu'il a donné à «l'ordre de la Rédemption», tout orienté par la grâce vers l'au-delà...

Jusqu'à ce jour, le dogme de la création avait été aliéné par «un système social» qui tenait à «déprécier» la dignité du travail en le présentant comme un châtiment pour le péché originel.

Par bonheur, l'avènement du socialisme permettra de purifier le dogme de ces tristes adhérences. Dorénavant, le chrétien saura que «le travail comme tel glorifie Dieu Créateur, non seulement intentionnellement, mais «ontologiquement».

M. Piasecki attache une très grande importance à cette distinction capitale et la développe soigneusement.

Jusqu'à ce jour, les chrétiens pensaient que pour louer Dieu il fallait vouloir le louer.

«Quelle illusion! s'écrie M. Piasecki, on voit bien que ces pauvres gens étaient tributaires d'une doctrine tronquée sur le dogme de la Création. Car, poursuit-il, l'universalisme catholique nous oblige à admettre qu'on peut louer Dieu non seulement intentionnellement, mais aussi ontologiquement, par les œuvres seules, et indépendamment du fait que l'on croit en lui ou que l'on nie son existence».

Puisque, «selon la doctrine catholique», la fin permanente de l'homme «consiste dans l'effort qu'il déploie à enrichir le monde par des œuvres, la gloire ontologique que l'on rend à Dieu ne se mesure pas selon l'intention qui découle de la foi en son existence, mais d'après la valeur et la grandeur de l'effort ainsi que d'après l'effet de cet effort, c'est-à-dire selon l'œuvre».

Il en résulte, selon toute évidence, qu'un «oudarnik» communiste, bien qu'athée, glorifie Dieu ontologiquement bien mieux et bien plus qu'une pauvre carmélite qui ne travaille pas «à perfectionner et à transformer la face de la terre». Car il y a encore, hélas! «dans le monde présent de grands conflits sociaux», certains chrétiens assez naïfs pour imaginer que Dieu les a choisis pour le louer exclusivement par la contemplation mystique!

Du moment que l'on peut louer Dieu sans croire en lui «en travaillant au perfectionnement ontologique du monde créé», la distinction entre «croyants» et «incroyants» perd toute importance. Mieux encore: elle risque de faire croire «que l'esprit chrétien n'est pas un esprit d'amour et d'universalisme, mais de fanatisme et d'exclusivisme».

Par conséquent, un athée productif est bien plus proche de Dieu qu'un François d'Assise qui n'a jamais rien produit, la pauvre chapelle qu'il a reconstruite de ses mains ne pouvant certes pas rivaliser avec des usines, des laboratoires et des gratte-ciel.

Cette fin commune «dans la glorification on tologique de Dieu» dévoile les attaches qui relient «la philosophie marxiste et la philosophie catholique, toutes les deux réalistes et universelles». Donc, loin de s'opposer à leurs idéologies respectives, «la collaboration entre catholiques et marxistes résulte logiquement des principes mêmes de leurs doctrines».

D'ailleurs, «toute réalisation de la vérité doit passer avant la question: qui en est l'auteur ou à qui elle appartient». En travaillant coude à coude avec un marxiste, le catholique ne doit considérer que les fruits de ce travail, non point ses motifs. Car «le rôle d'une idéologie ne saurait être estimé en dehors de la fonction sociale de ceux qui la professent». En voyant l'apport des croyants à la construction de la nouvelle cité, un marxiste athée «n'emploiera jamais l'appareil administratif pour brimer leur foi», car il risquerait ainsi de «diminuer leur rendement».

«Tous ceux qui aiment l'Église se rendent bien compte que l'autorité sociale de la religion, de la hiérarchie, du clergé, doit se fonder non seulement sur l'élément sacral, mais aussi sur leur fonction productrice, vérifiable dans l'histoire





Mais il faudrait citer bien d'autres pages encore de cet ouvrage. Ces extraits permettent de juger de son importance.

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Notes:

(1) Éditions Saint-Paul. Fribourg. Paris.

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