LE COMMUNISME
Les vrais marxistes, les marxistes conscients sont assez rares, tandis que les communistes vulgaires pullulent. Or, ce à quoi s'attachent plutôt ces derniers, écrivions-nous (4), ce qui les meut, ce qui les «accroche», est, au fond, très différent (dans son accentuation) de ce qui est le ressort intime d'un marxiste authentique. D'où cet avantage de la distinction que nous proposons de faire entre le marxisme strict et le communisme vulgairement entendu: elle permet de distinguer et d'utiliser une faille dans le dispositif de l'ennemi.
Les communismes non marxistes
Nous nous sommes, en effet, amusés bien des fois, à ébranler des communistes ordinaires par la seule proposition du vrai marxisme. Ce qui est l'argument de ce dernier est trop différent de ce à quoi aspire l'autre pour qu'un choc, voire une rupture ne se produise, si l'on sait, comme il faut, expliquer le marxisme à maints communistes.
Car, en bref, le communiste ordinaire est communiste et agit en communiste dans la mesure où il croit encore, peu ou prou, à une vérité (au sens commun de ce terme) et, partant, à la vérité (ainsi entendue) de ce que professe, de ce que promet le «parti». Le communiste ordinaire comprend mal et risque d'accepter encore plus mal, la dialectique, s'il vient à comprendre ce qu'elle est. En cela, il reste assez proche de ces premiers socialistes, de ces premiers communistes, qualifiés d'utopiques par Karl Marx parce qu'ils se figuraient l'ordre social à promouvoir à la manière de Thomas More écrivant son «Utopie», type idéal, stable, définitif de perfection sociale.
Maints communistes pensent qu'une fois faite la révolution prolétarienne, les choses s'arrêteront en cet état, et qu'il leur sera, dès lors, possible de jouir en paix des gains acquis. Expliquez-leur à ce moment, l'idéal marxiste de la Révolution permanente, il y a de fortes chances pour que leur enthousiasme soit moins vif.
Le marxisme ne peut être l'ivresse que d'une intelligentzia, il est bien difficile, au contraire, de faire marcher des populations sans qu'elles aient un but clairement défini. La vieille chanson du kopeck d'augmentation par rouble (5), dont Lénine se moque, n'est pas sans charme pour celui qui travaille de ses mains. Les systèmes l'attirent peu, encore moins l'action pure! Il souhaiterait volontiers plus de sécurité, plus de paix, plus de bonheur pour lui et sa famille.
On comprend, dès lors, comme il est important de savoir distinguer ces deux points d'accentuation très différents. Si la propagande anti-communiste s'attachait à les voir un peu mieux, elle serait moins inefficace.
Les communismes avant et depuis Marx
Ne pas tenir compte du marxisme dans l'étude du communisme, ce serait méconnaître l'élément dynamique de celui-ci.
Il importe toutefois de savoir ce qu'est le communisme, vulgairement entendu, celui auquel croient les mécanos de Billancourt ou les mineurs du Pasde-Calais.
Or, dès qu'on aborde cette étude, on est frappé par la multiplicité des théories communistes élaborées au cours des siècles. On peut cependant noter deux courants communistes dans l'histoire.
- les communismes pré-marxistes,
- le communisme marxiste proprement dit, lequel peut être considéré sous deux aspects:
- la «critique» de la société libérale par Marx;
- ̊ les thèses communistes proprement dites du marxisme.
Qu'on ne s'attende pas à nous voir traiter longuement du communisme selon le plan que nous venons d'indiquer. D'une part, l'analyse des communismes pré-marxistes serait fort longue et ne présenterait souvent qu'un intérêt historique. Parfois même la fantaisie des théoriciens fut telle que notre travail perdrait, à les étudier, le caractère sérieux qu'il s'est toujours efforcé de maintenir. D'autre part, le communisme marxiste lui-même n'a vraiment tant d'importance aujourd'hui que parce qu'il est marxiste.
En tant que tel, le communisme n'exige pas les mêmes développements que le marxisme.
Instrument entre les mains de celui-ci - et pas le seul instrument, nous l'avons vu - il nous suffira d'indiquer ses grandes lignes pour faire ressortir le profit que peut en tirer une pensée radicalement révolutionnaire. Il n'est pas question de nier l'influence des thèses économiques de Marx sur les divers socialismes contemporains, ni même celle, plus diffuse, des communismes pré-marxistes.
Toute une gamme de théories, qui se donnent comme socialistes, remorque les divers types de communismes. Certaines se réfèrent explicitement à Karl Marx, alors qu'elles rêvent d'une société heureuse une fois pour toutes, grâce à la socialisation des biens et à la «civilisation industrielle».
D'autres, comme le «socialisme démocratique», se réclament plutôt de certaines écoles anglo-saxonnes (et maçonniques!)... alors que, dans la pratique, la conception dialectique et les méthodes d'action marxistes y tiennent une grande place.
D'autres encore en viennent à refuser ouvertement la lutte des classes et les conceptions de Marx, tout en prônant une demi-collectivisation, une progressive co-gestion des entreprises, etc. C'est le cas de l'actuelle «social-démocratie» allemande (6).
Enfin il est toujours resté un noyau de partisans du «socialisme français», écartelés entre leurs fidélités aux mille nuances - proudhoniennes, blanquistes, jaurésiennes - et le désir de suivre jusqu'au bout le «mouvement» du marxisme-léninisme.
Nous ne décrirons pas tant de systèmes en relations plus ou moins directes, plus ou moins affirmées, avec les thèses de Marx.
Ce qui nous intéresse pour l'instant, c'est de voir le marxisme utilisant le communisme comme une force de subversion particulièrement efficace.
Peu importe au marxisme authentique la teneur des communismes ou des socialismes, pourvu qu'il trouve en eux des possibilités de révolution, des luttes en germe, une «dialectique» sous-jacente dont il lui suffirait de «faire prendre conscience».
C'est par le communisme que le marxisme a commencé à se répandre dans le monde. C'est par lui encore qu'il s'infiltre dans la vie de plusieurs nations, spécialement des plus civilisées, de celles dans lesquelles une tradition peu ou prou chrétienne a maintenu une certaine stabilité, un certain ordre, une certaine hiérarchie des valeurs et des fonctions sociales.
Marx a vu dans le communisme le ferment le plus intense de désagrégation des sociétés, le terrain le plus propice pour susciter des «contradictions internes» et créer un climat de Révolution.
Aux grandes lignes du communisme, sommairement décrites pour en percevoir les possibilités d'utilisation dialectique, se limitera donc la présente étude (7).
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Notes:
(4) Cf. supra, Introduction au présent ouvrage.
(5) Soit 10 % environ. Symbole de la revendication pour un niveau de vie plus élevé.
(6) Cf. un article de La France Catholique du 20 novembre 1959: «La social-démocratie allemande abandonne le marxisme». Le parti social-démocrate d'Allemagne fédérale (le S.P.D.) vient en effet d'abandonner son ancien programme marxiste de 1925. Au récent Congrès de Bad-Godesberg, il reconnaît notamment la légitimité de la propriété privée, de la religion et d'un «ordre social équitable». Cependant l'Osservatore Romano des 7-8 janvier 1960, tout en constatant l'évolution des socialismes en Allemagne, en Angleterre ou au Japon, soulignait le caractère contingent, «électoral» de cette évolution. Et même si la «conversion» de ces socialismes est réelle, leur «conception de l'homme», en tant que socialiste (même non-marxiste), reste condamnée par l'Encyclique Quadragesimo Anno. Cette Encyclique n'a rien perdu de sa valeur. Même «tempéré», le socialisme est inconciliable avec le catholicisme.
(7) Il en sera de même pour le Bolchevisme. Les documents IV et V du présent ouvrage rappelleront schématiquement les luttes du communisme aux prises avec les hommes, les institutions, les peuples, le catholicisme. Ici nous essaierons de voir, à travers ces luttes, sordides ou cruelles, la continuité de la pensée marxiste cherchant toujours à obtenir, malgré les divergences tactiques, «la plus grande action révolutionnaire».