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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

vendredi, janvier 16, 2009


CHAPITRE II

LE MARXISME, HÉRITIER PRINCIPAL DE L'ESPRIT «MODERNE» ET DES COURANTS RÉVOLUTIONNAIRES





«Au début était le Verbe »
Saint Jean.

«Au début était l'action»
Gœthe.



Nous avons montré combien la «civilisation moderne» dans ce qu'elle a de quotidien, de familier, nous place dans un climat implicitement marxiste, auquel il ne manque plus qu'une «prise de conscience», une insertion volontaire pour l'être explicitement.

Dans le présent chapitre, nous verrons que, de leur côté, la philosophie «moderne», l'esprit, la pensée, la culture «modernes» se sont constitués par une critique progressive des conceptions traditionnelles et chrétiennes, préparant ainsi l'avènement du marxisme.

Et nous pensons qu'il est impossible d'expliquer le tour d'esprit, la mentalité que nous avons décrits au premier chapitre (avec le marxisme comme «prise de conscience» de cette mentalité) si l'on ne retrace les grandes étapes du courant philosophique depuis Luther et Descartes.


L'esprit moderne de Luther et Descartes à Hegel et Marx

On ne parle plus aux intelligences, disions-nous.

Seuls le mouvement, le dynamisme comptent. Perte du sens de l'être, primat de l'action, fatalisme de l'histoire et, par là, corruption de l'intelligence et de ses véritables fonctions, nous allons voir chez Luther et Descartes la racine de ces manifestations quotidiennes de l'esprit «moderne».

Tous ces traits, certains passages d'un livre de M. Jacques Maritain (26) nous en montrent l'évidence chez le «Réformateur».

«Il y a un trait frappant dans la physionomie de Luther, écrit M. Jacques Maritain. Luther est un homme entièrement et systématiquement dominé par ses facultés affectives et appétitives; c'est un pur Volontaire caractérisé avant tout par LA PUISSANCE DANS L'ACTION.

«Tous les historiens insistent sur son âpre énergie, Carlyle l'appelle «un Odin chrétien, un vrai Thor».

«Ah! sans doute il ne s'agit guère ici de la volonté prise dans ce qu'elle a de plus proprement humain, et qui est d'autant plus vivace qu'elle s'enracine plus profondément dans la spiritualité de l'intelligence; il s'agit de la volonté prise en général, il s'agit de ce que les anciens appelaient en général l'Appétit, l'appétit concupiscible, et surtout l'appétit irascible.

«Ses paroles sont des demi-batailles» a-t-on dit de lui...»

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«Cette attitude d'âme devait tout naturellement s'accompagner d'un profond anti-intellectualisme, favorisé d'ailleurs par la formation occamiste et nominaliste que Luther avait reçue en philosophie (27).

«Ce n'est pas seulement à la philosophie, c'est essentiellement à la raison que le Réformateur déclare la guerre, LA RAISON NE VAUT QUE DANS UN ORDRE EXCLUSIVEMENT PRAGMATIQUE, POUR L'USAGE DE LA VIE TERRESTRE, Dieu ne nous l'a donnée que pour qu'elle gouverne ici-bas, c'est-à-dire qu'elle a le pouvoir de légiférer et d'ordonner sur tout ce qui regarde cette vie, comme le boire, le manger, les vêtements, de même aussi ce qui concerne la discipline extérieure et une vie honnête (28). Mais dans les choses spirituelles, elle est non seulement aveugle et ténèbres (29), elle est vraiment la «p ... du diable, elle ne peut que blasphémer et déshonorer tout ce que Dieu a dit ou fait» (30), elle est le plus féroce ennemi de Dieu (31). Les anabaptistes disent que la raison est un flambeau... La raison répandre la lumière? Oui, comme celle que répandrait une immondice mise dans une lanterne (32). Et dans le dernier sermon prêché à Wittenberg, vers la fin de sa vie: «La raison, c'est la plus grande p... du diable .. qu'on devrait fouler aux pieds et détruire, elle et sa sagesse. Jette-lui de l'ordure au visage pour la rendre laide. Elle est et doit être noyée dans le baptême... Elle mériterait, l'abominable, qu'on la reléguât dans le plus sale lieu de la maison, aux latrines» (33).

«On pourra donc tout au plus ACCORDER À LA RAISON UN RÔLE TOUT PRATIQUE DANS LA VIE ET DANS LES TRANSACTIONS HUMAINES. Mais elle est incapable de connaître les vérités premières, toute science spéculative, toute métaphysique est un leurre: omnes scientiæ speculativæ non sunt veræ... scientiæ, sed errores, - et l'usage de la raison dans les matières de la foi, la prétention de constituer, grâce au raisonnement et en se servant de la philosophie, une science cohérente du dogme et du donné révélé, bref la théologie telle que l'entendaient les scolastiques est un abominable scandale...

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«Luther en somme apportait à l'humanité, deux cent trente ans avant Jean-Jacques, une délivrance, un immense soulagement. IL DÉLIVRAIT L'HOMME DE L'INTELLIGENCE, DE CETTE FATIGANTE ET OBSÉDANTE « CONTRAINTE DE PENSER TOUJOURS, ET DE PENSER LOGIQUEMENT...

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«La grande œuvre révolutionnaire sauvage, à partir du protestantisme en descendant jusqu'à nos jours, prépare ainsi comme «le plus béni des résultats», le non-sens pur et simple.

«ELLE NE PERMET DE REPOS À LA RAISON QUE DANS LA CONTRADICTION, elle met en nous une guerre universelle...»


Quoiqu'elle fût en germe chez les nominalistes et chez Luther, c'est DESCARTES, qui, le premier, a parlé expressément de cette philosophie qui aura pour fin, non pas d'abord le savoir, la connaissance de l'Être pour lui-même, mais la transformation de toutes choses au profit de l'homme (34). Et, en cela, mentalité moderne et marxisme sont le très fidèle écho de ce passage de la IVe partie du Discours de la «méthode»: «... au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres; et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices qui feraient qu'on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé ...»

Encore faut-il, pour saisir la portée de ce texte, se rappeler ce que Descartes avait, dans la première partie de son «Discours», déclaré au sujet de la théologie: «Je révérais notre théologie et prétendais autant qu'aucun autre à gagner le ciel; mais, ayant appris comme chose très assurée que le chemin n'en est pas moins ouvert aux plus ignorants qu'aux plus doctes, et que les vérités révélées qui y conduisent sont au-dessus de notre intelligence, je n'eusse osé les soumettre à la faiblesse de mes raisonnements, et je pensais que pour entreprendre de les examiner, et y réussir, il était besoin d'avoir quelque extraordinaire assistance du Ciel et d'être plus qu'homme.»

Même la philosophie spéculative serait donc trop difficile, trop incertaine et insuffisamment ajustée au niveau de la raison.


«Il annonce une nouvelle méthode, écrit M. l'abbé Blanc (35) et avec elle la création d'une nouvelle philosophie; ce que les penseurs ont trouvé jusqu'ici lui paraît faux ou non démontré rigoureusement. Il lui faut une autre certitude... Il regarde comme non avenus tous les témoignages, toutes les autorités: il doute même (36) des vérités scientifiques réputées les plus sûres. Mais il s'aperçoit bien vite qu'il y a une vérité fondamentale qui résiste à toutes les prises du scepticisme; c'est le fait de notre propre pensée et, par là même, notre propre existence: je pense, donc je suis...»

C'est cette vérité qui amènera toutes les autres. On n'admettra pour vrai que ce qui est «évident». «Malheureusement», ajoute M. l'abbé Blanc, «Descartes ne précise pas cette évidence, il n'en met pas en relief e caractère objectif, il paraît la confondre aveca une certitude subjective, AVEC CE QUI PARAIT «TEL À CHACUN.»

Sans entrer plus avant dans la description du système cartésien on voit déjà le péril. Même si Descartes admet l'existence réelle, objective des choses extérieures à nous et à notre pensée, il fait reposer ses conclusions sur la connaissance subjective, celle du «moi» qui pense. «Je pense, DONC je suis», cette célèbre proposition est même interprétée par plusieurs philosophes dans le sens suivant qui aggrave le danger du cartésianisme: c'est PARCE QUE je pense que j'existe.

Tout, en fin de compte, pourrait n'être qu'illusions dans nos connaissances (doute cartésien), la seule réalité qu'il faudrait admettre, parce qu'évidente, serait notre pensée. Les successeurs de Descartes, on le verra, n'hésiteront pas à aller jusqu'au bout de cette théorie.

Dès lors la voie est ouverte à deux erreurs, apparemment contraires, mais dont les conséquences se retrouveront dans le marxisme. Sous le nom de «pensée» Descartes englobait toutes les opérations de la connaissance (sensible et intellectuelle) (37).

Les uns ramèneront donc la pensée à la sensation; ce sera le sensualisme philosophique et le matérialisme.

Les autres, au contraire, ramèneront la connaissance sensible à la pensée; ils en viendront à nier le monde extérieur qui ne serait que le produit de la Pensée, ou de l'Idée.

Ce sera l'idéalisme philosophique (38) dont Marx partira pour élaborer sa dialectique. On voit donc l'importance de Descartes dans la naissance des deux courants: idéaliste et matérialiste, dont le Marxisme constituera la synthèse, comme nous le verrons au chapitre suivant.

Mais Descartes n'aperçut peut-être pas ce qu'on pouvait tirer de son système.

Hume (39) sera plus franc: «Contentez votre passion pour la science... mais que votre science soit humaine, et telle qu'elle puisse AVOIR UN RAPPORT DIRECT À L'ACTION ET À LA SOCIÉTÉ. Je défends la pensée abstruse et les recherches profondes... (Elles sont punies) par la mélancolie pensive qu'elles entraînent, par l'incertitude sans fin dans laquelle elle vous plonge, et par l'accueil glacial que vos prétendues découvertes rencontreront quand vous les ferez connaître...» (40).

À son tour «l'effort de Kant (41), écrit Charles de Koninck, pour délivrer l'intelligence spéculative des entraves de la métaphysique, en la confinant à l'ordre logique... a été le pas le plus décisif vers cette philosophie de la Révolution, qui aujourd'hui menace ouvertement le monde entier.» (42).

Si pour le père du «cogito ergo sum», en effet, un principe de scission était déjà posé entre le réel et une pensée se suffisant à elle-même, avec Kant cette dernière devient explicitement une création de l'esprit humain selon le développement autonome de ses lois propres. On comprend qu'il n'existe plus, dès lors, de vérité qui s'impose. Chaque homme, désormais, sera le maître de sa pensée, comme sa conscience deviendra la seule source de sa propre loi, de sa morale.

Double liberté: liberté de pensée, liberté de conscience (43), principes et source de tout le libéralisme moderne.

À chacun sa vérité. Chacun doit être libre d'agir à son gré.

Mais Kant au moins supposait, hors d'atteinte de l'esprit créateur de sa propre pensée, une réalité inconnaissable. Elle sera supprimée à son tour. «Chez Fichte (44) il ne reste plus que le «moi» auteur de la pensée... Et il ne faudrait pas croire qu'il n'y ait là, écrit M. Jean Daujat (45), que rêveries de philosophes sans conséquences pour la vie des peuples. Ce Fichte est le Fichte du «Discours à la nation allemande» qui soulèvera l'Allemagne contre Napoléon, et ceci se rattache étroitement à sa philosophie puisqu'il y fait appel au «dynamisme» germanique contre le fétichisme latin et occidental de la réalité stable: s'il n'y a plus de réalité stable « qui soit et dure, il n'y a plus que le dynamisme de l'esprit agissant - et c'en est fait des formes stables du droit et de la morale - il ne restera qu'une action sans règle morale, épousant le dynamisme de la vie, se conformant à tous les besoins vitaux de la puissance germanique. Il y a, là, la source de tout ce qui a fait le fond du germanisme depuis plus d'un siècle...»


Une étape cependant restait encore à franchir. Elle le sera par HEGEL, le maître de Marx.

Le «moi» de Fichte, en effet, est encore une réalité... Hegel (46) la supprime pour ne plus admettre que l'Idée pure dont l'évolution engendre à la fois toutes les consciences individuelles et toute l'histoire du monde (47). Dans l'hégélianisme il n'y a plus aucune réalité, l'Idée est tout: c'est l'idéalisme (48) absolu. Et comme en fidèle écho au célèbre titre de l'œuvre de Descartes: «La méthode, écrit Hegel, est la force absolue, unique, suprême, infinie, à laquelle aucun objet ne saurait résister; c'est la tendance de la raison à se retrouver, à se reconnaître elle-même en toute chose.» Toutes choses seront désormais à l'image de notre pensée, devenue le principe qui pose toutes choses.



Hegel: Identité de l'être et du néant.

Mais, fait encore observer M. Jean Daujat (49), «si l'idée demeure elle-même, elle ne peut évoluer et constituer toute l'histoire. L'histoire va sortir de ce que chez Hegel on appelle la «dialectique»... L'idée n'est pas ce qu'elle est, parce qu'elle devient, elle change sans cesse, elle n'existe que pour se contredire, se nier elle-même à chaque instant, de sorte que oui appelle non, se confond avec non dans le changement. Il n'y a rien qui soit et dure, il n'y a que la contradiction perpétuelle. Par la dialectique l'idéalisme absolu est ainsi un évolutionnisme absolu... (50). L'histoire est une révolution perpétuelle, l'idée est en œuvre perpétuelle d'action révolutionnaire pour faire l'histoire en niant, en contredisant, en changeant ce qui est. Tout ce qui se présenterait comme une réalité est à nier et à détruire pour que se fasse l'histoire dans la contradiction et la révolution perpétuelles. Il n'y a aucune vérité stable qui serait vraie aujourd'hui, hier et demain: affirmer et nier n'ont plus de sens, affirmer et nier s'appellent et se confondent, seule demeure l'action qui fait l'histoire.»

L'être et le néant sont même chose.

Autrement dit: ce qui est, ce qui n'est pas ne s'opposent plus essentiellement, mais sont appelés à s'unir.

Tel est le grand principe de toute la philosophie de Hegel. Il est clair que la notion d'ÊTRE s'y trouve comme anéantie.

«Cet homme, a écrit le Père Gratry, était savant et logicien, et il se prenait au sérieux. Il se croyait le fondateur définitif de la philosophie... Et ce n'est pas là qu'un simple délire. C'est un des faits les plus considérables, les plus redoutables, les plus décisifs de l'histoire de l'esprit humain. Tout le système a pour but d'établir l'identité absolue de tout, notamment celle de l'être et du néant, qui est l'identité fondamentale, principe de tout: ce qui renferme l'identité du pour et du contre, du vrai et du faux, du bien et du mal. D'où résultent: en métaphysique, l'athéisme; en morale, l'abolition de la conscience et de la distinction du bien et du mal...

«Ainsi, cela est bien certain, poursuivit, en son temps, le Père Gratry, il y a en Europe, depuis vingt-cinq ans, une école de l'absurde proprement dit (51), ce qui, depuis l'ère nouvelle, ne s'était jamais vu dans le monde.»

On comprend, dès lors, ce que peuvent être dans le système de Hegel, la philosophie de la nature et la philosophie de l'esprit. La nature n'est que le système des idées objectivées. L'esprit n'est que l'idée se repliant sur elle-même.


L'état prussien: «moment» ultime du système hégélien

En ce qui concerne le droit, il naît du respect de la liberté d'autrui comme de la sienne propre. Mais l'Etat étant l'institution chargée de réaliser le droit dans toutes les sphères, l'État représente donc, théoriquement, la liberté absolue et le droit absolu, devant lesquels doivent, pratiquement, céder les libertés et les droits individuels.

Pour Hegel, donc, l'État, avec son organisation militaire et administrative, est l'idée qui fait l'histoire, une conception créatrice d'histoire (52). Et, par là-même, Hegel est un des pères, sinon le père par excellence, des systèmes étatistes contemporains, le père de ces totalitarismes qui sont une des marques les plus significatives, et le fléau de la civilisation moderne (53).

Telles furent, rappelées sommairement, les grandes étapes de la philosophie, de Descartes à Hegel (54).

Mais le marxisme est non seulement le couronnement logique de tout ce courant de pensée, mais la synthèse, le confluent de beaucoup d'autres, qui, sans le vouloir sans doute, ont fait et continuent à faire son jeu le nietszchéisme et sa volonté de puissance, le bergsonisme et son mouvement pur; et tout le courant pragmatiste de l'évolutionnisme moderniste (55).


Le marxisme, héritier du libéralisme

Nous avons entendu, bien des fois, discours semblables à celui-ci.

Comment peut-on croire une idéologie fondée sur l'identité des contradictoires, autant dire sur l'absurde rigoureusement défini? Comment peut-on faire sienne une idéologie qui enlève leur sens à l'affirmation et à la négation, toute valeur à la notion d'être? Comment peut-on professer une idéologie de la contradiction méthodique, du mouvement pur, de l'évolution radicale (56). En bref, comment le marxisme peut-il avoir une chance sérieuse de diffusion?

Nous avons toujours répondu en faisant observer que pareilles questions renversaient les données du problème.

Est-il sage, en effet, de mettre en doute la possibilité de ce qui, en fait, existe déjà?

L'effarant aujourd'hui n'est pas dans l'existence d'une philosophie explicite de la contradiction, appelée marxisme.

L'effarant est, qu'implicitement au moins, le tour d'esprit, la façon de penser d'un très grand nombre réalise ce que le marxisme se contente d'expliciter et de systématiser.

Est-il surprenant dès lors que l'idéologie tende à l'emporter quand il est clair que chacun professe déjà, plus ou moins consciemment, ce qui constitue l'essentiel de l'idéologie en question?

II reste, dirait un bon marxiste, à passer de l'inconscience à la conscience explicitement dialectique.

La formule hégélienne, marxiste, de l'identité de l'être et du néant nous choque et nous révolte. Nous acceptons mal qu'on soutienne, aussi explicitement, l'équivalence du oui et du non, de la vérité et de l'erreur, du bien et du mal. Mais, lisions-nous récemment dans les «Cahiers Pédagogiques» (57), ne voit-on pas s'édifier un nouvel empyrée moral (ou amoral) dont les vertus cardinales sont l'automation, le record, l'efficacité et l'argent. Le bon et le mauvais, le beau et le laid, le faste et le néfaste se réfugient au magasin des vieilles lunes et, au droit pur, se substitue le droit du plus fort».

Dire que «l'être et le néant sont une même chose», scandalise. Mais que signifie, neuf fois sur dix, cette autre formule, universellement agréée cependant: «toutes les opinions sont bonnes»? Quand, en bons libéraux, nous répondons à M. Durand, qui dit «blanc»: «vous avez raison»; et à M. Dupont qui dit «noir»: «vous êtes dans le vrai» (58), le bon sens le plus élémentaire voudrait que nous nous rendions compte qu'en procédant ainsi nous soutenons, nous aussi, l'identité des contradictoires, mais sans nous en douter, ce qui n'ajoute rien à la valeur de l'opération (59).

Et combien se disent ainsi (et se croient!) anti-marxistes au nom d'un libéralisme qui est le fondement du marxisme. Ce dernier ne procède-t-il pas des mêmes principes en les développant beaucoup mieux? Lui, au moins, ne bronche pas devant les conséquences. Du libéral ou du marxiste quel est le plus cohérent?

Si le libéralisme est aussi raisonnable qu'il est répandu; si, comme il le prétend, la vérité est éminemment subjective, fluctuant au gré de chacun, on perd le droit de s'étonner de ce qu'Albert Camus, par exemple, dit du marxisme, dans «l'Homme Révolté» (60): «Rien n'étant vrai ni faux, bon ou mauvais, la règle sera de se montrer le plus efficace, c'est-à-dire le plus fort. Le monde, alors, ne sera plus partagé en justes et en injustes, mais en maîtres et en esclaves.»

Toute l'âme du marxisme, nous l'allons voir, tient dans ce propos, fort libéral dans son principe; à saveur nietzschéenne (61), par surcroît.

Pré-marxiste, également, cette citation du bergsonien Jean Weber: «En face des morales d'idées, nous esquissons la morale ou plutôt l'amoralisme du fait... Nous appelons «bien» ce qui a triomphé. Le succès pourvu qu'il soit implacable et farouche, pourvu que le vaincu soit bien vaincu, détruit, aboli sans espoir, le succès justifie tout... Le devoir n'est nulle part et il est partout, car toutes les actions se valent en absolu (62). Le pécheur qui se repent mérite les tourments de son âme contrite, car il n'était pas assez fort pour transgresser la loi. II était indigne de pécher (63).»

Soit encore ce passage (64) tout empreint d'un anti-intellectualisme très bergsonien: «Notre existence, en ce qu'elle a de mouvant et de vivant en elle, est traversée... d'antonymies (65) non-antonymiques, de contradictions non-contradictoires, d'oppositions non-oppositionnelles... Si elles se présentent à nous à l'état naissant, elles ne deviennent de vraies antonymies qu'à partir du moment où la pensée discursive s'en empare et les façonne à sa manière, en méconnaissance de leur vraie nature. Le dynamisme primitif les résorbe, tout en devenant structure à leur contact».

Et de Bergson lui-même: «Il n'y a pas de choses, il n'y a que des actions (66).»

Soit encore cette «maxime» d'Étienne Rey (67): «L'intelligence se satisfait tout autant du faux que du vrai (68). Sa loi n'est pas la vérité, mais la logique, et celle-ci se met volontiers au service de l'erreur.»


Synthèse de la subversion...

Essence même de «l'esprit moderne». Esprit du père de la Révolution, Jean-Jacques Rousseau:

«L'état de réflexion est un état contre nature, peut-on lire dans le «Discours sur l'Inégalité». Et l'homme qui médite est un animal dépravé.»

«Les idées générales et abstraites, est-il encore dit dans l' «Émile» (69), sont la source des plus grandes erreurs des hommes, jamais le jargon de la métaphysique n'a fait découvrir une seule vérité.»

Et, dans la deuxième lettre à Sophie (70): «Le raisonnement, loin de nous éclairer, nous aveugle; il n'élève point notre âme, il l'énerve et corrompt le jugement qu'il devrait (71) perfectionner.»

Qu'on relise attentivement ces textes, qu'on prenne soin de noter ce qu'ils proposent, ce qu'ils nient, ce qu'ils attaquent, ce qu'ils détruisent, et l'on constatera que le marxisme n'est rien d'autre que la synthèse, la systématisation rigoureuse de tout cela.

Ce qui, jusqu'ici, dans chaque système, avait été négation fragmentaire, destruction partielle, parfois même inconsciente, le marxisme le met bout à bout, en quelque sorte, et en réalise la somme «consciente» et volontaire.

Il prend à son compte et ordonne méthodiquement tous les refus, toutes les propositions nihilistes dispersées dans les œuvres des penseurs plus ou moins subversifs depuis Luther et Descartes.

... et couronnement de la pensée révolutionnaire

À ce titre il est le terme logique, le couronnement de toute la pensée révolutionnaire.

IL EST LA RÉVOLUTION PAR EXCELLENCE, sinon la forme suprême, présentement connue, de la Révolution.

Son prestige même tient à cela. Toute la civilisation moderne a travaillé et travaille encore pour lui. Là est le plus grand danger qu'il représente.

À quoi bon, après cela, s'en aller dire au marxiste: «Ton affaire ne tient pas»? Dialogue de sourds! Elle ne tient pas? Sans doute, mais seulement au regard de cette forme de pensée qu'il récuse et que la pensée moderne a commencé à saper bien avant qu'on ne parlât de lui. Or, cette pensée moderne, la récusons-nous comme nous le devrions? Ne sommes-nous donc pas plus incohérent que lui?

Son affaire ne tient pas? Mais il sait, lui, qu'elle tient, ou plutôt qu'elle est tenue, soutenue, préparée, justifiée par tout ce que les trois derniers siècles ont compté de plus célèbres penseurs et philosophes.

Son affaire ne tient pas? Mais, en fait, tout y a conduit et y conduit de ce que l'esprit moderne a conçu et conçoit encore.

Quelles leçons faudra-t-il que nous recevions pour nous décider à comprendre ce qu'est la Révolution, et comme il est vain d'en combattre les forces extrêmes si nous continuons à respecter les systèmes qui l'ont d'abord fait se glisser parmi nous?

Tant que nous ménagerons ces derniers, le marxisme ne manquera pas d'apparaître plus cohérent que nous.

Car il est vraiment le seul système cohérent dans l'incohérence, entendez: le seul système cohérent dès lors qu'on ne croit plus à l'intelligence, à l'ÊTRE, à la vérité (71 bis). Ce que d'autres (Kant, par exemple) posaient en principe, mais sans le développer en fait, le marxisme l'ordonne méthodiquement, ne craignant pas d'aller jusqu'au bout des conséquences.

Quoi d'étonnant à ce qu'un Lénine ait pensé qu'il ne peut y avoir qu'une contradiction vraiment irréductible: celle du catholicisme et du marxisme. Opposition entre la religion de Celui qui se dit l'Être même, et le système dans lequel la notion d'être perd son sens (72).

Deux conséquences logiques de «l'esprit moderne»...

L'Anarchie

... Dès qu'on refuse l'enseignement de cette Église qui, seule, continue à défendre l'objectivité de la connaissance intellectuelle et les justes capacités de la raison (73), deux attitudes restent logiquement possibles.

D'abord l'anarchie.

S'il n'y a pas de vérité, en effet, si le réel n'existe pas ou si ce réel est inconnaissable, si tout change, ou peut changer au gré du vouloir humain individuel ou collectif, s'il n'y a pas de bien et de mal, de beau et de laid, rien - absolument rien - ne peut légitimement..., rien ne doit déterminer (ou seulement tendre à déterminer) un comportement humain.

S'il n'y a pas de vérité, si le verbe «être» n'a réellement pas de sens, rien ne peut m'obliger à rien car il est matériellement impossible de savoir s'il est un ordre vrai, et donc un juste ordonnateur. Personne donc, n'a réellement le droit de me commander.

Rien n'EST que MOI, par la seule CONSCIENCE (74) que je possède de ce Moi.

«Ni Dieu ni maître».

Moi seul!... Pratiquement, ce qui me plaît, mon caprice, mon plaisir.

Telle est la position de l'anarchiste.

On devine aisément à quoi elle tend et où elle aboutit.

On peut professer de tels principes. On ne peut pas les vivre absolument. Le résultat partiel, seul possible, est une déchéance morale et parfois physique, suffisamment évidente... Sinon: l'insociabilité pure et simple (75), l'impossibilité de donner un sens au moindre rapport humain.

On peut se dire anarchiste. On ne l'est jamais pleinement. On ne peut pas l'être, car il est pratiquement impossible d'être cohérent à ce degré.

... Ou le marxisme

Mais le marxisme n'est pas l'anarchie.

Il la déteste, même s'il lui arrive de recourir momentanément à son office destructeur (76).

L'anarchie est écartée et normalement combattue par le marxisme, parce qu'à ses yeux elle est essentiellement une impuissance, une stérilisation, une gaspilleuse de force.

Si, comme nous le citions plus haut... «rien n'étant vrai ni faux, bon ni mauvais, la règle (est) de se montrer efficace», on comprend qu'Albert Camus, dans l'ouvrage déjà cité (77), poursuive ainsi sa description du marxisme:

«Lénine ne croit qu'à la Révolution et à la vertu d'efficacité... La lutte contre la morale formelle inaugurée par Hegel et Marx se retrouve chez lui dans la critique des attitudes révolutionnaires inefficaces... Si l'on prend les deux œuvres qui sont au début (78) et à la fin (79) de sa carrière d'agitateur, on est frappé de voir qu'il n'a cessé de lutter sans merci contre les formes sentimentales de l'action révolutionnaire. Il a voulu chasser la morale de la Révolution parce qu'il croyait, à juste titre, que le pouvoir révolutionnaire ne s'établit pas dans le respect des dix commandements... Il a combattu, à la fois, le réformisme (80) coupable de détendre la force révolutionnaire et le terrorisme (anarchiste), attitude exemplaire et inefficace...»

Tel est le juste réflexe marxiste.

La lecture des œuvres d'un des derniers chefs de la Révolution (et non le moindre!), Mao-Tse-toung, est fort instructive sur ce point. Beaucoup seront surpris d'y trouver (81) une critique sévère et fort pertinente, à l'occasion, de principes et de formules d'action peu goûtés de certains ennemis de la Révolution. Critique de l'égalitarisme et de l'ultra-démocratisme. Voire... (et sur ce point beaucoup de contre-révolutionnaires auraient intérêt à méditer ces lignes-là) critique de ce que Mao appelle «l'aventurisme», le «putchisme», «l'impétuosité révolutionnaire»; toutes les formes incohérentes, incoordonnées, impréparées, intempestives, du combat politique et social (82).

Un vrai marxiste a normalement horreur de cela!

Horreur de l'anarchie, comme telle, parce qu'elle disloque le faisceau toujours plus cohérent, toujours plus puissant de forces matérielles, qui est la raison d'être du marxisme.

À ce titre, ce dernier est organisateur, discipliné, disciplinaire, et ennemi de l'anarchie.

Conclusion

Dès lors qu'on a perdu le sens de l'êTRE, le sens de la vérité, mais qu'on a gardé un certain goût de la cohérence dynamique et qu'on se sent peu d'attrait pour le stérile repli sur soi ou l'intempestive agressivité de l'anarchiste, le marxisme ne peut pas ne pas être la grande tentation.

Il offre, si l'on peut dire, comme un ordre, ou plutôt une cohérence (83), dans ce refus de l'ÊTRE, dans cette non-croyance en une VÉRITÉ qui est un des caractères les plus évidents de notre temps.

Ainsi, le marxisme n'apparaît plus comme un principe, une cause; mais plutôt comme un résultat, une conséquence, un aboutissement: couronnement et synthèse de la subversion. Il réalise ce qui a été semé par toutes les puissances de désordre. n est l'héritier principal de la Révolution (84).


La vérité de rien, la force de tout

Dynamique, mais sans référence à l'ÊTRE, telle est la civilisation moderne! Et tel est le marxisme.

L'anarchie est croupissement ou exaspération inconsistante. Le marxisme, au contraire, est un culte du plus grand rendement, un culte de la toujours plus grande efficience matérielle.

Dès lors, qu'on ne croit plus au vrai ni au faux, au bien ni au mal, au beau ni au laid, le marxisme (contrairement à l'anarchie qui s'anéantit dans son individualisme forcené) présente la dangereuse séduction d'une interprétation «dynamique» de l'univers, une vision, prétendue complète, du monde.

Sa perversion, son caractère «intrinsèquement pervers» (85) tient à ce que cette vision est radicalement faussée dans le principe même de son optique. Univers qui n'est plus vu, pensé, jugé en notions d'ÊTRE, en fonction de vérités à connaître, à respecter ou à servir, mais un univers vu, pensé, jugé en valeurs de FORCE, valeurs d'ACTION, valeurs d'EFFICIENCE, valeurs de MOUVEMENT, sans référence à une vérité quelconque. Univers où la notion d'être, la notion de vérité n'ont plus de sens, et où les notions de mouvement, de force, d'action, de transformation, de travail, apparaissent fondamentales, notions premières.

D'où cette observation: LE VRAI MARXISTE EST UN HOMME QUI NE CROIT À LA VÉRITÉ DE RIEN, MAIS QU'INTÉRESSENT UNIQUEMENT LA FORCE, LA TRANSFORMATION, LA MISE EN ŒUVRE DE TOUT.


Le marxisme, inversion intellectuelle

C'est cette inversion intellectuelle, violence faite à la plus naturelle façon de penser et de considérer les choses, qui rend si difficile une juste compréhension du marxisme.

Et l'on pense à cette parole de l'Évangile: «La lampe de ton corps, c'est l'œil. Si donc ton œil est sain, tout ton corps sera éclairé; mais si ton œil est en mauvais état, tout ton corps sera dans les ténèbres. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, combien grandes seront les ténèbres!» (86)

Optique radicalement vicieuse du marxisme, principe d'une lumière qui n'est que ténèbres.

Pour comprendre quel il est, une accoutumance est nécessaire. Une laborieuse étude, en effet, peut ne servir à rien si l'on ignore ce problème d'inversion visuelle, véritable clef du système. Combien n'ont rien compris, après s'être longtemps penchés cependant sur un grand nombre de documents, parce qu'ils les ont pensés, interprétés, critiqués, comme ayant une valeur «statique», une valeur d'ÊTRE, une valeur de VÉRITÉ, alors que leur véritable sens, leur véritable cohérence est d'un autre ordre: «dynamique», «DIALECTIQUE», mots qui pour beaucoup ne signifient rien ou presque.

Et c'est ce qui explique que nous ayons tenu à parler si longuement du marxisme avant même d'avoir donné sa définition philosophique. Pareille définition, en effet, risque d'être inutile si elle n'est pas précédée d'une sorte de préparation de l'esprit, d'accommodation dialectique de l'entendement.

C'est ce que nous avons essayé de faire. Désormais, le lecteur saisira mieux l'accentuation marxiste de formules ou termes auxquels il aurait eu tendance à donner le «sens commun», ce qui est l'erreur grossière, très fréquente pourtant, de la plupart de ceux qui se penchent sur le marxisme.

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Notes:

(26) Trois Réformateurs, «Luther ou l'avènement du Moi». Pages 39, 40, 43 à 49, 72. (Nouv. édit. revue et corrigée, Plon, 1945).

(27) Guillaume d'Occam (1276-1342) fut un des champions du «nominalisme», théorie selon laquelle nos idées n'auraient aucune valeur perdurable universelle. Elles n'auraient qu'une valeur de signe, de nom (nominalisme), une valeur de convention propice à d'utiles classements.

D'où le caractère pragmatique, utilitaire que prennent dans cette perspective l'intelligence et la raison. Elles y sont considélées comme coupant, tranchant, fragmentant le réel pour notre plus grande commodité, mais sans qu'on reconnaisse aux catégories, découpages qu'elles expriment la moindre vérité.

M. Jean Daujat l'a bien vu lorsqu'il fait remonter au nominalisme l'origine lointaine du marxisme.

Le caractère pragmatique de la raison, selon ces philosophes nominalistes, entraîne une conception arbitraire de la morale et de la politique puisque l'intelligence ne saurait accéder aux vérités qui les fondent, qui leur donnent un but. Cette théorie «aboutit, note M. Jacques Chevalier, comme on le voit chez Luther, chez Hobbes ou chez Hegel, à faire du Souverain ou de l'État une puissance absolue, illimitée, créatrice des droits.» (Leçons de philosophie, t. II, p. 484, Arthaud, édit. Grenoble - Paris 1943).

On retrouvera au numéro 107 de Verbe (décembre 1959) des précisions sur le nominalisme.

(28) Weim, XLV, 621, 5-8 (1538).

(29) Weim, XII, 319, 8; 320, 12.

(30) Weim, XVIII, 164, 24-27 (1524-1525).

(31) «Ralionem atrocissimum Dei hostem», in Galat (1531). Weim, XL, P.L, 363, 25.

(32) Cité par A. Baudrillart: «L'Église catholique, la Renaissance et le Protestantisme», Paris 1905, p. 322-323.

(33) Erb, 16, 142 à 148 (1546).

(34) «Descartes, écrit Hegel dans son Histoire de la philosophie, est le fondateur de la philosophie moderne... L'action de cet homme sur son siècle et sur les temps nouveaux ne sera jamais exagérée: c'est un héros. Il a repris les choses par le commencement et, APRÈS UN ÉGAREMENT DE MILLE ANS, il a retrouvé le véritable sol de la philosophie.»

(35) Dictionnaire de Philosophie, p. 385, art. «R Descartes». Lethielleux, Paris, 1909.

(36) On ne sait si c'est un doute réel, ou un doute méthodique, un doute par hypothèse.

(37) Sur ces deux modes de connaissance cf. Verbe n̊o. 107, Introduction à la politique: les universaux et n̊o. 108.

(38) Voir à propos de Hegel la note définissant ce terme. (note 48).

(39) Hume, philosophe écossais né et mort à Edimbourg (1711-1776).

Selon lui nous ne connaîtrions que nos sensations et les phénomènes, les manifestations sensibles des choses. Ce que nous appelons la cause d'un effet ne serait qu'une illusion de notre imagination.

La seule notion abstraite et générale que pourrait atteindre notre intelligence serait celle de la quantité et du nombre.

Protestant, Hume oppose, comme Luther, la raison à la foi.

Comme ce dernier il ne donne à la raison qu'un rôle pratique puisqu'elle ne connaît que la quantité et les choses sensibles.

(40) An Enquiry concerning human understanding sect I, Edit. E.A. Burtt, Modern Library, 1939, p. 587.

(41) Emmanuel Kant, philosophe prussien né et mort à Kœnigsberg (1724-1804) où il professa.

Selon lui il y a un monde réel (le monde des «noumènes», des «choses en soi») mais notre intelligence ne peut l'atteindre. Elle ne peut saisir que ce qui est à la surface du réel, les «phénomènes» qui produisent en nous des sensations. La fonction de notre raison c'est de se construire, à partir des sensations, un monde intérieur, personnel, de la connaissance. Cette théorie est un «idéalisme» parce qu'elle fait dépendre notre connaissance d'une création de notre esprit.

Cependant chez Kant, la réalité, l'«objet» ne disparaissent pas complètement. Ils existent: ce sont les «noumènes», mais notre esprit ne peut en avoir une connaissance exacte.

En revanche la réalité s'impose à nous au plan de la RAISON PRATIQUE en nous dictant nos devoirs. L'esprit qui, selon Kant, ne peut connaître aucune vérité métaphysique, connaît cependant les vérités d'ordre moral. Si on veut bien le remarquer, la philosophie de Kant s'insère rigoureusement dans le courant de Luther à Marx. L'intelligence échoue au plan spéculatif et n'a plus qu'une fonction pratique en ce qui touche à la conduite de la vie et à la morale.

Kant a systématisé l'inversion de la philosophie traditionnelle qui faisait reposer la morale sur la métaphysique (on règle ses actions sur la vérité connue et aimée, la «pratique» s'établit en fonction des «principes» immuables qui guident l'homme vers sa fin). Il fait reposer au contraire la métaphysique sur la morale. Les principes ne sont plus fondés sur une vérité connue par l'intelligence, mais se déduisent des règles de notre action.

Il y a un grand pas ainsi fait vers le marxisme, philosophie de lutte et d'action.

(42) Opus. cit., p. 104.

(43) Liberté qui n'a rien à voir avec ce que le catholicisme appelle du même nom.

(44) Le «moi» de Fichte, autrement dit: la pensée de l'individu, se heurte dans son dynamisme, dans son mouvement, à ce que nous appelons le monde extérieur, les choses et qu'il appelle le «non-moi».

Contraints de s'amalgamer, de trouver entre eux une harmonie le «moi» et «non-moi» (la pensée personnelle et ce qui tombe sous nos sens), en s'opposant, donnent naissance à un troisième terme.

On retrouve là ce qui sera la méthode hégélienne et marxiste: la «thèse» et l' « antithèse» engendrent, par leur lutte, un troisième «moment» ou stade, dans l'évolution de l'Idée pure: c'est la «synthèse».

À partir de cette «synthèse» devenue «thèse» à son tour le cycle recommence: elle s'oppose à une «antithèse»: de leur lutte naît une nouvelle «synthèse» et ainsi de suite.

Hegel fut aussi influencé par un autre philosophe allemand: SCHELLING. Celui-ci voyait bien qu'en faisant du «Moi» le créateur de la pensée on ne comprenait plus les sciences de la nature: physique, chimie, etc. Il n'y a pas de science de la nature qui ne doive, en effet, se soumettre à la réalité du monde extérieur.

Cette constatation aurait pu amener Schelling à retrouver la véritable solution à ce problème, dans la philosophie traditionnelle et chrétienne. Il ne le fit pas et conçut un système idéaliste où le «moi» et le «non-moi» (la pensée et le monde extérieur) étaient confondus dans ce qu'il appelait l'«absolu».

Hegel proclama que l'«absolu» de Schelling c'était l'Idée pure dans son développement continu, dans son dynamisme, qui suivait les étapes indiquées par Fichte: thèse, antithèse, synthèse.

- Fichte, Jean Gottlieb (1762-1814) fut professeur à Iéna en 1794. Le Discours à la nation allemande est de 1808.

- Schelling Frédéric, Guillaume, Joseph (1775-1854) né à Wurtemberg est mort en Suisse. Il fut professeur à Iéna, Wurtzbourg et Munich. Il écrivit de nombreux ouvrages pendant sa longue carrière professorale.

(45) Connaître le Communisme, p. 14.

(46) Né à Stuttgart en 1770, Hegel est mort à Berlin en 1831. Il enseIgna à Heidelberg et à Berlin en 1818. Il succéda à Fichte. Ses œuvres complètes forment 17 volumes. Ouvrages les plus importants: Phénoménologie de l'esprit (1807), Logique (1812-1816), Philosophie de l'esprit et son Cours d'Esthétique.

(47) On retrouvera la référence explicite à cette théorie dans la citation que nous faisons d'un texte de Hitler, partie II, chap. 3.

(48) Ce terme n'a pas en philosophie le sens qu'on lui donne dans le langage courant. Dire de quelqu'un qu'il est idéaliste signifie communément qu'il professe des sentiments nobles, généreux, désintéressés. Grande est la différence entre l'idéalisme ainsi conçu et l'idéalisme philosophique. Ce dernier désigne essentiellement les systèmes de ceux qui ramènent toute réalité à l'idée et au sujet pensant. L'idéalisme est donc une revendication d'indépendance plus ou moins totale de l'esprit humain se manifestant par le refus de cette «soumission à l'objet» qui est au fond de toute la pensée chrétienne. C'est l'homme qui veut trouver tout en lui-même, et rien qu'en lui-même, sans avoir à reconnaître aucune dépendance. La pensée, pour l'idéalisme, n'est pas connaissance d'une réalité objective, elle est purement idéale, pure construction de l'esprit se développant selon ses propres lois...

(49) Opus. cit., p. 15.

(50) Et si le marxisme est, comme nous le verrons, une transposition matérialiste de l'idéalisme hégélien, il garde la dialectique et l'évolutionnisme de telle sorte qu'on ne peut le comprendre sans le rattacher à Hegel.

(51) Autant dire: une école de la philosophie de la contradiction. On sait, en effet, que le mot «absurde» signifie contradictoire, une chose impossible à penser parce que contradictoire.

(52) État de type nettement germanique, Hegel ne s'en cache pas. Présentant le système hégélien Émile Bréhier écrit: (Histoire de la Philosophie, t. II, 3. Alcan, édit.).

«La supériorité définitive du GERMANISME est une supériorité spirituelle; la race germanique possède les qualités naturelles qui lui permettent de recevoir les plus hautes révélations de l'Esprit. Ce n'est pas la supériorité de la race comme telle qui est affirmée, mais seulement relativement à un moment déterminé, au MOMENT FINAL, de l'HISTOIRE DU MONDE.»

(53) «PAR-DESSUS LES ÉGLISES DISTINCTES, L'ÉTAT ASSUME LA GÉNÉRALITÉ DE LA PENSÉE, la doctrine de sa forme, et cela LUI PERMET D'EXISTER.» (Hegel).

(54) Il resterait à montrer comment d'autres philosophes, et même des courants de pensée apparemment opposés à celui que nous venons de décrire ont largement contribué à l'expansion du marxisme dans le monde.

C'est le cas, en particulier, des religions et philosophies siatiques.

Analyser leurs apports à la dialectique marxiste-léniniste serait une œuvre immense et délicate, nécessitant de longs développements que nous ne pouvons inclure dans cet ouvrage.

Œuvre immense car les tendances panthéistes et vitalistes qui sont communes à la plupart des pensées asiatiques, varient dans leur formulation et dans les modes de vie qu'elles entraînent. Œuvre délicate parce que le marxisme nettement désigné trouve dans ces religions des adversaires qui, cependant, lui préparent inconsciemment les voies par leur pensée.

Bornons-nous à une constatation: il est curieux de voir que les philosophes asiatiques farouchement hostiles à «l'Occident» sous lequel ils englobent aussi bien saint Thomas que Descartes, le sont pour deux raisons:

- D'une part, ils haïssent le «matérialisme» occidental et reprochent surtout à la «pensée moderne» d'avoir été à l'origine d'un mécanisme philosophique dont une conséquence pratique est la civilisation industrielle.

- D'autre part, leur haine profonde s'étend au-delà du cartésianisme, à toute philosophie qui reconnaît un réel pouvoir à la raison et fait de la logique autre chose qu'une vaine occupation de lettrés. C'est moins l'Occident de la géographie que celui de la philosophie chrétienne et du sens commun qu'ils repoussent.

Au-delà du cartésianisme, les pensées asiatiques s'en prennent à ce qui restait de sain et d'acceptable dans l'œuvre de Descartes à savoir une méthode scientifique. Ce qu'elles blâment dans la pensée dite «moderne» ce n'est pas seulement son caractère «moderne», vu sous l'aspect du technicisme, mais surtout son caractère de «pensée», son point de départ dans la raison humaine, fût-il par ailleurs un élément de dégradation pour la véritable intelligence, comme nous l'avons montré.

«Il n'y a, dit le philosophe hindou Dignana, aucune chose réelle indissolublement liée qui puisse être raison logique, car il est dit: la raison d'après laquelle un fait est la cause d'un autre fait, qui en est la conclusion logique, ne dépend point de l'être ou du non être extérieurs, elle repose sur la condition d'inhérence ou de substance instituée PAR «NOTRE PENSÉE». Et M. Masson-Oursel, qui cite ce texte dans sa Philosophie comparée, ajoute: «Cette transposition en termes idéalistes du vocabulaire des Naiyaikas fut finalement adoptée après l'élimination du bouddhisme par la pensée brahmanique elle-même; et désormais se trouva constituée une logique destinée à régner dans toute l'Asie orientale, d'un empire aussi souverain que celui dont a joui en Occident la théorie aristotélicienne du raisonnement.»

Curieuse rencontre des «frères ennemis» que sont le rationalisme et l'anti-intellectualisme de type asiatique!

On se trouve ainsi amenés à cette conclusion des marxistes.

En dehors de la philosophie chrétienne, de toute pensée directement inspirée du christianisme, il est vrai de dire que le marxisme-léninisme est l'héritier de toutes les philosophies... berrantes.

Tandis qu'elle trouve un terrain d'accueil dans le scepticisme et le praticisme de cet Occident mythique, la «dialectique» est en germe dans la facile confusion de l'être et du non-être, lot des panthéismes. Les fatalismes irrationnels apportent de l'eau au moulin du «sens de l'histoire». Et quant au croupissement social des civilisations de clans et de castes on verra, au chapitre de la «désaliénation» (2e partie, Chap. II) combien celle-ci est facilitée.

Quelques exemples illustreront ces brèves remarques: «Le concours de l'Asie, écrivait Elie Eberlin, est indispensable pour la réussite du vaste mouvement de libération dont est agitée l'humanité. L'Europe et l'Amérique - cette Europe synthétique - ne suffisent plus à la tâche. L'Asie doit donner, l'Asie, ce berceau de la civilisation, l'Asie mystérieuse du bouddhisme, du brahmanisme, du confucianisme, l'Asie, ce monde de races. Il faut que l'Europe cesse de convoiter l'Asie comme une proie. L'unité de l'Asie libre sera le prélude de l'unité de l'humanité libre.»

Ainsi voit-on M. Krouchtchev, l'homme au spoutnik, vanter en Europe et aux U.S.A. les progrès techniques de l'U.R.S.S. tandis qu'il donnait naguère un appui bienveillant à la conférence afro-asiatique de Bandœng dont le thème inlassable fut la guerre au «matérialisme» occidental, pour le salut des civilisations «spiritualistes» de l'Orient!

«Le seul effort requis, disait déjà Gandhi, c'est de chasser la «civilisation d'Occident» (Cité par H. Massis. L'Occident et son destin. Grasset, édit. Paris 1956).

Pour des raisons différentes, mais dont on trouverait la racine dans le tour dialectique de certaines pensées orientales, Lénine, dans un discours fameux invitait l'Asie à écraser l'Europe par le communisme.

Mythe de l'Orient contre mythe de l'Occident qu'y a-t-il de sérieux au fond de ce prétendu dilemme géographique dont les marxistes savent si bien utiliser les «contradictions»... mondiales?

Il y a la Vérité et l'erreur, la Vérité qui unit les hommes de tout continent et de toutes civilisations dans une rencontre sur les principes; et il y a l'erreur, toujours divisée et diviseur dont les manifestations, si farouchement opposées qu'elles soient, se retrouvent dans le refus de la seule doctrine vraie.

«Le monde va très mal, écrivait Pie XI, parce qu'il ne sait plus rien des universaux.»

La racine des erreurs, dont le marxisme est l'héritier principal et le foyer d'expansion le plus dynamique, est dans la méconnaissance des principes fondamentaux qui régissent la pensée et ses rapports avec le réel, principes dont le christianisme a permis une élaboration claire et universelle. (Cf. notre Introduction à la Politique et notamment Verbe nos. 106 et 108).

(55) Héritier de la Révolution, le marxisme s'apparente à la Maçonnerie quoique certains Maçons refusent d'aller jusqu'à la subversion radicale qu'il propose.

«Le marxisme et la franc-maçonnerie, écrivent NN. SS. les Évêques argentins dans leur Lettre collective de 1959, ont l'idéal commun du bonheur terrestre... Un franc-maçon peut accepter entièrement les conceptions philosophiques du marxisme... Aucun conflit n'est possible entre les principes philosophiques du marxisme et de la franc-maçonnerie», affirme le grand maître de la franc-maçonnerie de Paris. (La Documentation Catholique, 7-21 septembre 1952, col. 1 205).

«Pour arriver à ses fins, la franc-maçonnerie se sert de la haute finance, de la haute politique et de la presse mondiale; le marxisme, lui, se sert de la révolution sociale et économique contre la patrie, la famille, la propriété, la morale et la religion.

«. Les francs-maçons arrivent à leurs fins par des moyens secrètement subversifs. La franc-maçonnerie met en mouvement des minorités politiques sectaires; le communisme s'appuie sur une politique de masses, exploitant les aspirations à la justice sociale.»

(56) Cf. Engels: «Cette philosophie dialectique dissout toutes les notions de vérité absolue, définitive, et de conditions humaines absolues qui y correspondent. Il n'y a rien de définitif, d'absolu, de sacré devant elle, elle montre la caducité de toutes choses et rien n'existe pour elle que le processus ininterrompu du DEVENIR et du TRANSITOIRE.» Dans un éloge de Marx, Lénine se réjouissait à la pensée que «dès 1843, Marx apparaissait déjà comme un révolutionnaire qui «proclamait la critique implacable de tout ce qui existe.» (Discours aux funérailles de Marx).

(57) N̊o. 3 - 1er décembre 1957. - p. 66.

(58) Cf. sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus: Histoire d'une âme - Conseils et souvenirs. «Je vis, écrit-elle, qu'on louait beaucoup une maîtresse de pension parce qu'elle savait adroitement se tirer d'affaire sans blesser personne. Je remarquai surtout cette phrase: «elle disait à celle-ci: vous n'avez pas tort; à celle-là: vous avez raison». Et moi, tout en lisant, je pensais: « Je n'aurais pas fait ainsi. Il faut toujours dire la vérité». Et maintenant je la dis toujours. J'ai bien plus de peine, il est vrai... Si je ne suis pas aimée, tant pis. Qu'on ne vienne pas me trouver si on ne veut pas la vérité...»

(59) «Assurément», note S.E. Monseigneur Lefebvre, archevêque de Bourges, dans son Rapport doctrinal à l'Assemblée de l'Épiscopat français (avril 1957), «les chrétiens ne vont pas jusqu'à mettre en doute l'existence de Dieu et Son autorité, mais, PRATIQUEMENT, ils ne lui font guère de place dans leur vie. On le relègue dans un ciel lointain, on admet le futur rendez-vous du Jugement, mais, en attendant, on prétend bien MENER SA VIE sans qu'Il ait à y voir de très près. Ainsi s'estompe la notion du péché.»

(60) N. R. F., p. 16.

(61) Par l'allusion, notamment, à ce monde appelé à être «partagé... en maîtres et en esclaves».

(62) À ce trait éminemment gidien, on voit combien le gidisme contribue, lui aussi, à l'établissement de cet état d'esprit dont la fleur marxiste sort comme d'un fumier.

(63) Revue de Métaphysique et de Morale (1894), p. 549-560.

(64) E. Minkowski, Éphémère, Durée, Éternel dans la Revue de Métaphysique et de Morale: juillet-décembre 1956. N̊os. 3-4.

(65) Antonymie: opposition de noms ou de mots ayant un sens contraire: ex.: un honnête fripon.

(66) L'évolution créatrice, 2e édit., 1907, p. 270.

(67) Maximes morales et immorales. Grasset édit. 1914.

(68) Rappelons que l'ÊTRE est le premier objet de l'intelligence, l'erreur elle-même, consistant pour l'homme à accorder une valeur d'ÊTRE à ce qui N'EST PAS. Ce n'est même qu'à partir de ce faux-semblant d'être que l'intelligence raisonne et peut raisonner plus ou moins logiquement, ce qui est encore pour elle une façon de raisonner SUR L'ÊTRE. La notion d'être disparaissant, l'intelligence cesse d'avoir un sens. Et l'on comprend fort bien, comme nous le redirons un peu plus loin, que les «penseurs» (?) modernes aient cherché, plus ou moins confusément, un autre mot pour combler le vide laissé par cette disparition. Le terme de «conscience» semble appelé à cette fin. Pris dans un sens complètement différent de celui qui lui avait été donné jusqu'ici par la pensée chrétienne, il n'est pas étonnant de voir la singulière fortune réservée à ce mot dans la pensée moderne. On sait l'usage qu'en fit Rousseau, et plus près de nous, Bergson... Ce mot revient comme un leitmotiv sous la plume des marxistes.

(69) Livre IV. Profession de foi.

(70) Œuvres et correspondances inédites, Ed. Streckeisen Moulton, 1861, Masson, t. II, p. 55.

(71) A la façon de M. Prudhomme, on pourrait dire qu'en cet endroit ce « devrait » vaut son pesant d'or. Pourquoi « devrait perfectionner» ? N'est-ce point sous-entendre que telle est bien la plénitude de l'ordre humain? Est-il bon dès lors, ou n'est-il pas bon, de tendre vers cet ordre? Et, même s'il est évident que l'homme se sert abusivement de sa facuIté de raisonner, c'est l'abus seul qui doit être stigmatisé et non ce qui a pour but précisément de « perfectionner » le jugement, comme Rousseau est bien forcé de le reconnaître.

(71 bis) Le catholicisme: religion de l'être!... Ce qui ne veut pas dire, ainsi qu'on le verra plus loin, religion de l'immobilité, de l'intemporel, car c'est aussi la religion de l'histoire, la religion de l'événement de l'Incarnation, de sa préparation et de ses suites. En vérité la seule religion qui donne son sens à l'histoire.

(72) Cf. encore cette remarque d'Henri Lefèvre, dans son ouvrage: Le Marxisme, édit Bordas, «Seuls restent face à face, en France du moins, le christianisme (le catholicisme non contaminé par le libre examen individualiste protestant) et le marxisme.»

(73) Cf. notamment le Concile du Vatican, l'Encyclique Aeterni Patris, de Léon XIII: les textes de saint Pie X contre le modernisme ... Cf. l'Encyclique Humani Generis de Pie XII, la première encyclique de S. S. Jean XXIII, Ad Petri Cathedram.

(74) On comprend que le mot «conscience» soit le seul qui convienne ici. «Intelligence», en effet, ne saurait convenir, car une réelle intelligence de soi suppose une relative intelli­gence du monde extérieur, une relative intelligence des biens, des valeurs, des fins que l'ordre de ce monde impliquerait ou risquerait d'impliquer. Autant de choses qui prouveraient à l'anarchiste la fausseté de ses principes et de sa position par la mise en lumière de l'objectivité d'un monde extérieur. Seule cette objectivité permettrait à l'anarchiste de se penser INTELLlGEMMENT.

(75) On connaît le mot de Sartre: «l'Enfer, c'est les autres» (dans la pièce: Huis clos).

(76) Comme il advint, par exemple, au cours de la guerre d'Espagne, ou au début de la Révolution russe.

(77) L'Homme révolté, pp. 279, 280, 281.

(78) Que taire? - en 1902.

(79) L'État et la Révolution - en 1917.

(80) Il s'agit précisément de la réforme se proposant un but précis, objet même de cette réforme. «Pour le réformisme, la réforme est tout, a noté fort significativement Staline. Pour le révolutionnaire, au contraire c'est le travail révolutionnaire et non la réforme... C'est pourquoi... une réforme devient (pour lui) un instrument de renforcement de la Révolution, un point d'appui pour le développement continu du mouvement révolutionnaire...» Des principes du léninisme, p. 100.

(81) Mao-Tsé-toung - Œuvres choisies, t. II, voir les pages 120 à 140, Éditions Sociales, Paris.

(82) Nous avons montré, au début de notre étude «Pour une doctrine catholique de l'action politique et sociale» la leçon qu'on peut légitimement tirer de ces enseignements marxistes. Cf. Verbe, nos. 95 et 96.

(83) Le terme «cohérence» est préférable ici à celui d' «ordre». Ce dernier, en effet, est trop riche en valeurs intellectuelles, trop objet d'intelligence, et, par là-même, trop statique, trop essentiellement métaphysique pour convenir au marxisme. Le mot «cohérence», plus flou, plus brut, s'adapte mieux, nous semble-t-il, au dynamisme anti-intellectualiste du marxisme.

(84) «Jules Monnerot explique le marxisme comme ce qui «est venu combler le grand vide, la «fonction religieuse» inassouvie et qui demande à l'être: «TOUTES CHOSES ÉTANT ÉGALES, QU'EST-CE QUI COMPTE ENCORE?» Il en résulte un vide, mais il est intolérable, il faut tout faire pour en sortir». (Jean de Fabrègues, La Révolution ou la Foi, p. 84, Desclées, éditeur, 1957).

Pour combler ce «vide intolérable» on ne trouvera plus que les valeurs d'action... et ce sera la dialectique marxiste-léniniste.

(85) Pie XI, Divini Redemptoris, 1937.

(86) Matth, V, I, 22.



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