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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

lundi, juin 28, 2010

ANNÉE 1669. CHAPITRE 1, page 1 à 7

1. De la Mission des Martyrs dans le pays des Anniez ou Iroquois Inferieurs.

RELATION DE CE QVI S'EST PASSÉ DE PLVS REMARQVABLE AUX MISSIONS DES PERES DE LA COMPAGNIE DE lESUS EN LA NOUVELLE fRANCE, ÈS ANNÉES 1668. ET 1669.

Enuoyée au R.P., ESTIENNE DECHAMPS Prouincial de la Prouince de France (*)

(*) D'après l'édition de Sébastien Mabre-Cramoisy, publiée à Paris en 1670.

Relation-1669. A



CHAPITRE PREMIER.

De la Mission des Martyrs dans les païs des Anniez, ou Iroquois Inferieurs.

Le Peuple d'Agnié a esté autrefois une des plus florissantes Nations Iroquoises, et a touiours passé iusques à cette heure pour une des plus vaillantes et des plus fieres. Cet esprit guerrier qui l'occupoit aux armes, l'éloignoit si fort de la Foy, que l'on croyoit que les Agniez seroient les derniers à se soümettre à l'Evangile. Mais s'est servi des armes de la France pour donner commencement à leur conversion; leur courage s'est ramoli aprés leur defaite, et c'est maintenant de tous les peuples Iroquois, celuy qui donne de plus grandes esperances de sa conversion à la Foy Chreslienne.

Le Pere lean Pierron, aprés avoir fait un voyage à Quebec, arriva heureusement à Tinniontoguen, qui est le principal Bourg de cette nation, le 7. iour d'Octobre de l'année 1668. et prit entierement le soin de cette nouvelle Eglise, que le Pere Fremin luy laissa, aprés l'avoir cultivée avec des fatigues incroyables: le vivre y est si pauvre qu'on n'y mange presque point de chair ny de poisson; mais Dieu fait par sa grace que les Missionnaires vivent tres­contens dans ce depoüillement de toutes choses. Il n'y a rien de plus pauvre que nos Agniez, dit le Pere dans une de ses Lettres; mais avec cela ie les ayme plus que moy mesme, voyant les dispositions qu'ils ont au Christianisme.

Ie sçais, continuë ce Pere, assez la langue Iioquoise pour expliquer tout ce que ie veux dans les matieres de la reIigion, et pour entendre les Confessions des nouveaux Chrestiens, et sans l'occupation que me donnent les Tableaux que ie peins moy mesme, ie serois plus versé dans la langue que ie ne suis; mais ie trouve le fruit de ces peintures si grand que ie iuge qu'une partie de mon temps est bien employée à cet exercice; car ie fais par ces Tableaux, premierement que nos Sauvages y voyent sensiblement ce que ie leur enseigne, ce qui les touche plus fortement.

De plus i'ay cet advantage, qu'ils se servent de Predicateurs à eux mesmes, et que ceux qui ne viendroient pas prier par devotion, y viennent du moins par curiosité, et se laissent ainsi insensiblement prendre par cet attrait. Enfin i'ay trouvé moy mesme le secret de m'instruire, car en les entendant raconter nos Mysteres, j'apprens beaucoup de la langue, par le moyen de ces Images.

Entre les portraits que j'ay faits, il y en a un de la bonne et de la mauvaise mort. Ce qui m'a oblige a le faire, a esté que je voyois que les vieillards et les femmes âgées se fermoient avec les doigts les oreilles, du moment que je voulois parler de Dieu, et me disoient: Ie n'entens pas. I'ay donc mis dans un costé de mon Tableau un Chretien qui meurt saintement, ayant les mains jointes, en sorte qu'il tient la Croix et son Chapelet, puis son ame est élevée dans le Ciel, par un Ange, et les Esprits Bienheureux paroissent qui l'attendent. De l'autre costé j'ay mis dans un lieu plus bas une femme cassée de veillesse qui y meurt, et qui ne voulant pas écouter un Pere Missionnaire, qui luy montre le Paradis, tient auec les doigts ses deux oreilles fermées; mais un Demon sort de l'Enfer qui luy prend les bras et les mains, et met luy mesme ses doigts dans les oreilles de cette femme mourante. L'ame de cette femme est enlevée par trois Demons, et un Ange qui sort d'une nuée, l'espée à la main les precipite dans les abymes.

Cette figure m'a donné une belle matiere de parler de l'immortalité de nos ames, et des biens et des maux de l'autre vie, et l'on n'a pas plus tost conceû l'explication de mon Tableau, qu'il ne s'est plus trouvé personne qui ayt osé dire: Ie n'entens pas; que si cette Image a eu cet effet, j'espere que celle de l'Enfer que ie travaille, en aura encore un plus grand à l'avenir.

L'invention de ces Tableaux n'est pas tout à fait nouvelle, elle avoit deia esté mise saintement en usage par un celebre Missionnaire de nostre France, et il n'est personne qui aye leu la vie de Monsieur le Noblez, qui n'avouë que ç'a esté un des plus beaux secrets dont il se soit servi pour instruire les peuples sur nos saints Mysteres.

Le Pere Pierron a peu imiter ce grand homme, et introduire dans le fond de nos forests une pratique qui a esté de si grand usage parmy une nation déjà civilisée. L'on a sceû que cette sainte methode avoit esté infiniment utile; mais elle serviroit de bien peu, si ce Pere ne joignoit à ces saintes industries les grands travaux qu'il luy faut necessairement souffrir, pour faire continuellement chaque semaine la visite de sept grands Bourgs, dans l'espace de sept lieuës et demy de longueur, afin d'empescher qu'aucun enfant ny aucun adulte malade ne meure sans recevoir le Baptesme. Et si quelquefois quelqu'un échappe à sa diligence, c'est la plus sensible affliction qu'il souffre, et ce qui luy fait demander qu'on luy envoye incessamment du secours. On luy a accordé ce qu'il desiroit; le Pere Boniface a esté choisi aussitost aprés son arrivée de France à Quebec, pour aller cette année seconder son zele.

L'on ne sçauroit dire si la guerre que qui les Iroquois ont avec les neuf nations des Loups repandues depuis Manhate, jusques aux environs de Quebec, est plus advantageuse à la foy Chrestienne, que la paix. La guerre les humilie par la perte de leurs gens, mais aussi les empeschant de s'arrester dans un lieu, elle met des obstacles à la conversion des guerriers qui se separent en plusieurs bandes pour aller en party contre l'ennemy. Les Agniez et les Loups se font la guerre jusques auprés de la nouvelle Orange et s'estans pris se brûlent et se mangent les uns les autres. Mais les Loups ont cet avantage, qu'estans grand nombre d'hommes et gens errants, ils ne peuvent estre facilement destruits par les Iroquois, et les Iroquois le peuvent estre plus facilement par les Loups.

On ne laisse pas toûjours de gagner quelques ames à Iesus-ChristT dans ce tumulte des armes. Deux vieillards ne sembloient attendre pour mourir, que le Baptesme qu'ils receurent avec toute la consolation possible; mais un troisiéme, qui se voyoit mourir avec une parfaite presence d'esprit, afin de justifier son endurcissement, prenoit pour pretexte qu'il oublioit toutes les instructions que le Pere luy faisoit, du moment qu'il estoit hors de sa Cabanne; enfin estant pressé de se convertir, il dit qu'il avoit trop commis de crimes pendant sa vje, pour se convertir à l'heure de la mort. En effet, comme la Providence Divine ne permet jamais qu'un homme pour Sauvage qu'il soit, meure sans le Baptesme, s'il a tasché de tout son possible de garder la loy naturelle, aussi Dieu permet-il souvent une juste punition, que ceux qui ont mal vescu soient privez du Baptesme.

Vn autre Vieillard âgé de plus de cent ans, homme d'excellent jugement, et qui avoit esté la premiere teste du pays, a esté aussi baptisé, s'estant disposé à cette grace par sa constance à venir prier Dieu en presence de tout le monde, malgré les railleries continuelles de quelques-uns de sa nation encore infidelles.

Vne des choses qui empesche le plus la conversion de ces barbares, est ce qu'on appelle parmy eux la jonglerie ou l'art de guerir les malades par des superstitions criminelles; neantmoins le Pere par son adresse a rendu cet art si ridicule, que personue n'ose souffler aucun malade en sa presence, les Iongleurs feignans qu'ils ont déja fait leur operation, quand il entre dans la Cabane. Ce qui luy donne du credit pour cela, est qu'il procure aux malades beaucoup mieux que ces pretendus Medecins, la santé du corps avec celle de l'ame.

Vn autre soin des Missionnaires regarde les Captifs à qui l'on apprend à mourir en veritables Chrestiens, au milieu des flammes, aprés leur avoir donné le Baptesme, et quelquefois il est arrivé que les Iroquois ont eux-mesmes servi d'interpretes pour leur apprendre nos mysteres. On peut faire voir par plusieurs exemples que Dieu opere dans l'ame de ces infidelles, en les frappant de sa crainte. En voicy un assez remarquable. Vn Capitaine de guerre de la nation des Agniez, devant partir le lendemain pour aller contre les Loups leurs ennemis, alla demander au Pere dans la Chapelle que les Sauvages ont eux-mesmes dressée, ce qu'il feroit, et ce qu'il diroit pour aller au Ciel, s'il arrivoit qu'il fust pris en guerre et qu'il deust estre bruslé; cette demande toucha le cœur du Pere, et l'obligea de luy enseigner la maniere de faire un acte de contrition, lequel ce Sauvage repassa durant une heure dans son esprit pour le bien apprendre, et puis le luy repeta souvent, qui est une marque que ces Barbares commencent à apprehender une autre vie, et l'on doit raisonnablement croire que cette crainte qui est le commencement de la veritable sagesse, leur sera salutaire.

Comme la crainte de la mort se fait sentir à ceux qui ne sont pas encore baptisez, le mespris de la vie est admirable en ceux qui ont receu le Batesme. Ceux qui croyent en Dieu, dit une femme Iroquoise, qui avoit couché deux nuits toute seule à la campagne en danger d'estre enlevée par quelqu'un de la nation des Loups, ne doivent point craindre la mort, puisqu'elle leur sert de passage pour aller au Ciel.

Quoy qu'il y en ait parmy les Agniez qui n'ont pas la Foy; neanmoins plusieurs d'entre eux ont une veritable soif et une veritable faim de la Iustice, et il se trouve que Dieu fait apprendre à quelques-uns d'eux leurs prieres d'une façon qui semble tenir du miracle. Il y a des femmes Sauvages si ferventes dans la priere, qu'elles y passent les nuits toutes entieres et si devotes envers la sainte Vierge, qu'elles disent chaque iour plusieurs fois leur Chapelet.

La premiere chose qu'elles font, lors qu'elles vont travailler dans leurs champs, est d'inviter celles qui sont de leur compagnie, d'offrir à la Mere de Dieu la mesme priere, à laquelle elles joignent toutes ensemble quantité d'Oraisons jaculatoires qu'elles adressent à Dieu. N'est-ce pas là montrer qu'on est capable du Christianisme?

La vraye pieté ,commence à se former de telle maniere dans les esprits des Agniez, que le Pere qui en a la conduite, écrit qu'il a celebré la derniere Feste de Pasques avec beaucoup de solemnité. Qu'il a donné à ses nouveaux Chrestiens la sainte Communion. Que la ceremonie du Vendredy Saint s'y est faite comme en France, et que tous y ont adoré nostre Seigneur en Croix.

Le Catechisme se fait deux fois le iour; une fois pour les hommes, et l'autre pour les femmes. Et la ferveur y est si grande, que les personnes mariées n'ont point de honte de s'y faire interroger publiquement. Il s'est trouve une femme assez capable pour apprendre la forme du Baptesme, .et tout ce qui est necessaire pour l'administration de ce premier Sacrement de l'Eglise, qui est la porte de tous les autres, quoy qu'on ne luy en aye pas encore permis l'usage et l'exercice.

Cette femme devoit estre enveloppée dans un massacre que firent les Loups de plusieurs Agniez, presque à cent pas de la palissade d'un de leurs Bourgs, où les ennemis s'estoient mis en embuscade; mais il arriva que cette femme devant aller avec les autres travailler à son champ, elle les envoya devant elle, avec asseurance de les suiure incontinent aprés; là dessus elle s'endort tout à coup et au mesme moment l'on entend le cry des personnes que l'on massacroit. Ah! dit cette bonne Chrestienne, je reconnois bien que Dieu vouloit me conserver, et je ne cesse point de le remercier de cette grace.

Voicy une chose qui n'est pas moins remarquable. L'une de ces femmes blessées par les Loups, leurs ennemys, raconte qu'elle fut attaquée par l'un d'eux, qui luy donna trois coups de hache sur la teste, pendant qu'elle se defendoit courageusement contre luy; mais qu'un autre coup qui luy fut donné a costé de l'œil droit, la ietta par terre et l'épuisa de sang et de forces. Alors, ainsi qu'elle l'a rapporté au Pere, elle fit cette priere. Iesvs, vous estes le maistre de ma vie, ayez pitié de moy: car si je meurs en l'estat où je suis, sans estre baptisée, je seray eternellement bruslée dans des feux qui ne s'esteignent iamais. A peine auoit-elle acheué ces paroles, qu'elle sentit une force qui se coula par tout son corps. Elle se releua sur le champ; et comme elle alloit se saisir de la hache de son ennemi qui la pouuoit aisement tuer, il prit à l'heure mesme la fuite. Cela obligea cette femme à demander le Baptesme, et à dire, ie veux croire et honorer le reste de mes iours, Iesvs mon liberateur.

Certes voila de tres-beaux commencemens, et bien qu'en la nouuelle Eglise des Agniez, il n'y ayt pas grand nombre d'adultes, parce qu'on ne les baptise qu'avec beaucoup de precaution, elle ne laisse pas d'avoir des ames heroïques parmi des femmes Catechumenes, qui font beaucoup d'impression sur l'esprit de leurs marys et qui remportent tous les jours d'illustres victoires contre ceux qui les veulent engager dans le crime. Comme l'on pressoit une de ces nouvelles Chrestiennes de quitter la priere jusques à la menacer, elle fut assez genereuse pour respondre en cette occasion à son mary: Ie suis maistresse de moy mesme, je fais ce qu'il me plaist, et toy fais ce que tu voudras. D'autres se moquent des injures, et disent hautement: N'importe, qu'on nous tuë, car cette vie est peu de chose, et nous esperons que Dieu nous fera misericorde.

La constance de quelques nouveaux Chrestiens n'est pas moins à estimer dans un de leurs Bourgs, nommé Gandaoüaguen, sous la conduite d'un fervent Catechiste, et bien que la raillerie soit infiniment sensible à ces peuples, ils ne laissent pas de la supporter de genereusement pour l'amour de Iesvs-Christ. Nous baissons la teste à ces injures, disent-ils au Pere, et quand nous sommes assemblez, nous prions Dieu qu'il ouvre les yeux à ces moqueurs pour voir ce que nous voyons. En un mot l'experience fait voir tous les jours plus que jamais, que les Sauvages sont capables de tout, aussi bien que les François, dans les choses qui regardent la pieté et le service de Dieu. Ils sçavent tout ce qui est de plus difficile dans le Mystere de la sainte Trinité, ils distinguent les deux natures en lesvs-Christ, ils connoissent ce que l'Eglise enseigne de l'immortalité de nos ames, du jugement, du peché mortel, du peché veniel et du peché originel, et comme on s'applique particulierement à leur enseigner les prieres ordinaires et les Commandements de Dieu et de l'Eglise, qu'ils chantent tous les Dimanches en vers Iroquois, c'est aussi ce qu'ils n'ignorent pas non plus que le reste, dont la connoissance est absolument necessaire, lorsque on les reçoit au Baptesme.

Il n'est pas iusques aux petits enfans qui ne paroissent capables des plus belles impressions de la foy. Vn exemple entre les autres le va faire voir. Vne femme Iroquoise avoit eu un soin particulier de l'instruction de l'un de ses enfans, âgé d'environ trois ans; comme elle tomba malade, il luy demanda au plus fort de son mal, ce qu'elle avoit à se plaindre de la sorte. Ie suis malade, mon fils, luy répond sa mere. Alors ce petit enfant, s'adressant à nostre Seigneur, luy dit: Seigneur qui êtes le maître de nos vies, ayez pitié de ma mere, et luy rendez la santé. Cet enfant est le mesme à qui on a donné une image où sont representez nos mysteres, il les sçait parfaitement, et monstre l'esprit qu'il a capable de tout. L'Ambassade des principaux guerriers d'Agnié qui sont venus le printemps vers Mr. de Courcelle nostre Gouverneur, pour luy demander avec des presents quelques-uns de nos Peres, afin d'assister celuy qui a soin de leur Eglise, est une marque qu'ayans de l'inclination pour la Foy, on a sujet de concevoir de grandes esperances de leur conversion. De plus la paix qu'ils sont d'eux-mesmes venus les premiers affermir par de nouveaux presents, contribuera beaucoup à l'avancement de la Religion, dans la juste crainte que leur donnent les armes du Roy, sous la conduite de Monsieur de Courcelle, dont ils redoutent le courage, et qui, à mesme temps qu'il agit avec eux de la maniere la plus propre à les tenir dans le devoir, leur inspire par ses paroles le respect qu'ils doivent à la Foy Chrestienne et aux Predicateurs de l'Evangile.

Ces Barbares ont maintenant une si haute idée de la valeur des François, qu'ils pensent qu'il n'y a que la protection du Roy qui les puisse deffendre de leurs ennemis, c'est pourquoy ils sont venus demander du secours à Monsieur nostre Gouverneur contre la nation des Loups, comme pour la defense d'un pays qui est déja au Roy par la force des armes, et qu'ils né tiennent que parce que il luy plaist de le laisser. C'est ainsi que les Ambassadeurs d'Agnié se sont expliquez dans leur harangue.

Toutes ces choses, iointes au courage qui est naturel à la nation des Agniez, confirment plus que jamais qu'on y peut faire une florissante Eglise. Les victoires de la pudeur y sont fort illustres; j'ay admiré la vertu d'une jeune femme nouvellement convertie et sollicitée au mal, avec asseurance que le Pere Missionnaire ne le sçauroit pas. Elle répondit: S'il ne le sçait pas, Dieu le sçaura à qui rien n'est caché, et qui seul est à craindre plus que tous les hommes du monde. Cette response arresta l'insolence de celuy qui la sollicitoit au mal. C'est la mesme qui a depuis imité saint Thomas prenant comme luy un tison ardent à la main pour defendre sa pudeur. C'est se tromper, que de croire que les Sauvages soient incapables de la force Chrestienne. Comme l'on exhortoit un vieillard Chrestien, âgé de quatre-vingt dix ans, à souffrir en ce monde, dans la veuë qu'on ne souffre plus en Paradis, il répliqua: Ie n'ay pas besoin que l'on m'encourage, le Paradis avec ses biens m'encourage assez. Cet homme, qui avoit gouverné tout le pays, fut baptisé le jour de la Feste de tous les Saints, dont il porte le nom. Lès Agniez ont d'eux-mesmes pris garde qu'une seule chose estoit capable de destruire ces beaux commencements de la pieté Chrestienne, et qu'il y avoit chez eux un Demon estranger plus à craindre que ceux qu'ils adoroient dans leurs songes. Ce Demon est la boisson enyvrante, qui leur venoit de la nouvelle Orange. Ils ont cherché dans un Conseil public les moyens d'arrester ces desordres qui ruinoient entierement la Foy, et les corps de leur jeunesse, et ayant appris du Pere Pierron, que le moyen le plus efficace estoit de presenter eux mesmes une requeste pour cela au Gouverneur general de Manhate, les plus considerables d'entre eux ont esté luy en presenter une qu'on leur avoit dressée. Voicy la response que fit le Gouverneur de Manhate, et à la requête des Agniez, et à la lettre du Pere qu'il y avoit jointe; ce sont les propres termes tirés mot à mot de l'original.



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PERE,

Par vostre derniere, j'apprens vostre complainte, laquelle est
secondée par celle des Capitaines Iroquois, des Sacheins, des Indiens, comme il appert plus ouvertement par leur requeste enclose dans la vostre, qui est touchant la grande quantité de liqueurs que quelques-uns d'Albanie prennent la liberté de vendre aux Indiens; en ce faisant, que de grands desordres se sont
commis par eux, et est à craindre dauantage, si l'on n'y preuient. Pour response, vous sçaurez que j'ay pris tout le soin possible, et y continueray sous de tres seueres amendes, à restreindre et empescher de fournir aux Indiens aucun excez. Et je suis fort aise d'entendre que telles vertueuses cogitations procedent des Infideles, à la honte de plusieurs Chrestiens. Mais cela doit estre attribué à vos pieuses instructions, vous qui estant bien versé
en une estroite discipline, leur auez montré le chemin de mortification, tant par vos preceptes que pratique.

Vostre tres-humble affectionné seruiteur

Francis Lovelace.

Du Fort Iaques, 18. de Novembre 1668.



Nous allons finir ce Chapitre par le nombre de ceux qui ont este baptisez à Agnié, ou par le Pere Fremin, ou par le Pere Pierron pendant ces deux années 1668. et 1669. L'on compte de baptisez iusques à cent cinquante et un, dont plus de la moitié estoient enfans ou vieillards, qui sont morts bientost aprés leur Baplesme. Cette moisson doit passer pour assez abondante dans une terre inculte, et nous devons beaucoup esperer aprés de si beaux commencemens.

On doit aprés Dieu la naissance de cette Eglise florissante à la mort et au sang du Reverend P. Iogues. Il l'a versé au mesme lieu que commence à naistre ce nouveau Christianisme, et il semble que nous pouvons de nos jours verifier en sa personne ces belles paroles de Tertulien, que le sang des Martyrs est la semence des Chrestiens. Et si la mort des Martyrs est, comme dit excellemment un Pere de l'Eglise, la science de l'éternité, scientia œtemitatis, nous pouvons asseurer que la mort du Pere Iogues a merité à ces Infideles, qui l'ont autrefois massacré, que Dieu leur donnât, par le moyen de ses successeurs, la science de l'Evangile, qui est la veritable science de l'éternité bien-heureuse, qu'il leur avoit annoncée trois diverses fois, qu'il alla dans leur pays, sans craindre la cruauté de ces Barbares.

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