ILLUSTRATIONS
MARXISME· LÉNINISME
CHAPITRE 1
LE MATÉRIALISME
A CARACTÈRE DIALECTIQUE
L'« HUMANISME DU TRAVAIL »
ET LA «RÉVOLUTION PERMANENTE»
Les idées elles-mêmes, et les théories de l'esprit seront vues, par le marxisme, dans cette optique de la plus grande action révolutionnaire, telle que nous l'avons étudiée au chapitre précédent. S'il est navrant d'entendre tant de catholiques employer seulement les termes de «forces spirituelles», c'est peut-être parce que la formule exprime la seule façon dont un marxiste peut s'intéresser aux idées. Pour lui, vraiment, elles ne peuvent avoir que cet aspect de «FORCES», et si la formule «forces spirituelles» est irremplaçable pour quelqu'un, c'est bien pour lui.
Si l'on croit, en effet, que la puissance des idées a besoin d'être apprise à un marxiste, sous prétexte qu'il se dit matérialiste, il suffit de lire la «treizième leçon» du manuel de Politzer (1) sur «le rôle et l'importance des idées dans la vie sociale».
«Un préjugé très répandu, y est-il dit, consiste à croire que le matérialisme marxiste est indifférent aux idées, qu'il ne leur reconnaît aucune importance, aucun rôle. Cette leçon va montrer qu'il n'en est rien, qu'au contraire les marxistes prennent idées et théories tout à fait au sérieux. La preuve en fut donnée par Marx lui-même: s'il avait refusé tout pouvoir aux idées, aurait-il consacré sa vie à l'élaboration et à la diffusion de la théorie révolutionnaire?... Tant s'en faut, par conséquent, que le marxisme néglige la puissance des idées. «Nous ons dit (écrit Staline) (2) que la vie spirituelle de la société est un reflet des conditions de sa vie matérielle. Mais pour ce qui est de l'importance de ces idées et théories sociales, de ces opinions politiques, de leur rôle dans l'histoire, le matérialisme historique, loin de les nier, souligne, au contraire, leur rôle et leur importance considérables dans la vie sociale, dans l'histoire de la société...»
«Ceux qui reprochent au marxisme de négliger les idées, reprend Politzer, lui font, sciemment ou non, un procès qui ne le concerne pas. Ils lui imputent une erreur qui est celle du matérialisme vulgaire. Nier l'importance des idées, c'est là une position anti-scientifique, que le matérialisme dialectique a toujours combattue.» (3)
1. - Le caractère dialectique du matérialisme marxiste
Matérialisme dialectique: tout est toujours dans ce dernier mot quand il s'agit du marxisme. On se trompe donc profondément quand on donne au mot «matérialisme» son sens le plus courant pour l'appliquer au marxisme. La plupart de nos contemporains, ignorant Hegel et ne sachant pas ce que cela veut dire, oubliant le mot «dialectique» et, ne se souvenant que du mot «matérialisme» considèrent le marxisme comme un matérialisme vulgaire, lequel consiste à ramener tout le réel à la matière. Ce qui fait qu'on y admet encore une réalité, la réalité même de cette matière.
Or Marx rejette cette conception «fixiste», «dogmatique». Son matérialisme est dialectique, historique. Entendez qu'il refuse de se fonder sur l'idée d'une matière qui apparaîtrait dès lors comme la seule vérité. Engels a précisément reproché au matérialisme du XVIIIe siècle son « incapacité de con si« dérer ... la matière ENGAGÉE DANS UN DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE... Cela tenait, ajoutait-il, à la façon métaphysique, c'est-à-dire anti-dialectique de philosopher à cette époque.»(4)
Pour Engels et Marx, en effet, il n'y a pas plus de vérité matérielle à connaître que de vérité spirituelle parce qu'il n'y a aucune réalité, même matérielle, qui existe et qui dure. Il n'y a et il n'y aura jamais que le jeu des forces matérielles en œuvre dans l'histoire, l'incessant changement de forces matérielles en lutte (cf. note 4).
Le spirituel à son tour n'est que le produit des forces matérielles.
«C'est l'origine matérielle des idées qui fonde leur puissance», affirme Politzer (5). Car les idées en tant que telles n'ayant pas de sens pour un marxiste, ce sont les forces matérielles qu'elles sont susceptibles d'engendrer qui peuvent seules intéresser ce dernier (6). Car, ainsi que le notait Marx: « La théorie elle aussi devient force matérielle lorsqu'elle pénètre les masses» (7). Et un marxiste a trop le sens de tout ce qui est force pour refuser de voir la puissance de ce genre de force-là. Il en fera même le ressort d'une arme nouvelle: «l'arme idéologique», que d'authentiques «spiritualistes» seront bien incapables d'employer comme lui.
Mais les «idées» n'auront de sens pour le marxiste que: - comme reflets «des besoins du développement de la vie MATÉRIELLE de la société»; - comme pouvoir «d'utiliser à fond» leur FORCE «MOBILISATRICE, ORGANISATRICE ET TRANSFORMATRICE» (8).
D'où l'équivoque du langage «spiritualiste» employé souvent par les marxistes pour décrire l'action des idées dans l'histoire. Même lorsqu'il s'agit de conceptions morales et religieuses, ce n'est jamais sous l'angle de la vérité ou de l'erreur qu'ils en parlent. Elles sont le produit de forces matérielles à un moment donné. Elles s'insèrent dans les luttes révolutionnaires dont elles sont un instrument.
Ainsi depuis les choses matérielles proprement dites, jusqu'aux choses de l'esprit, le marxisme prétend tout interpréter, tout expliquer, tout ordonner.
Une idéologie qui serait universelle.
Ses prétentions universalistes sont incontestables. «Le communisme, écrit Marx (9), étant un naturalisme achevé, coïncide avec l'humanisme. Il est la véritable fin de la querelle entre l'homme et la nature et entre l'homme et l'homme... Il résout le mystère de l'histoire et il sait qu'il le résout.»
Et Lénine (10): «La doctrine de Marx est harmonieuse et complète; elle donne aux hommes une conception cohérente du monde.»
Et Politzer (11). «Le marxisme est une idéologie qui forme un tout et qui permet de trouver les réponses à toutes les questions.»
Un universalisme de l'action pure, du «mouvement intégral», des puissances transformatrices de l'homme et de la nature, tel est le marxisme.
2. - L'«humanisme du travail»
«L'homme est occupé à sa machine, écrit dans la «Konsomolskaïa Svrodd», gazette des Konsomols (jeunesses communistes), l'une de ces jeunes ouvrières que fanatise le plan quinquennal. L'homme se fait travailleur de choc; il ne peut plus regarder sa femme en face et songer aux bagatelles de la vie. II fait cas de chaque minute de travail comme on fait cas de sa chair. Par la machine qu'il commence à chérir il prend conscience de sa parenté fraternelle avec le pays, avec la révolution et conçoit de l'amour pour eux» (12).
Un universalisme du travail? Certainement! Et, si l'on veut, un humanisme de l'«homo faber», plus même que de l'«homo œconomicus». Mais par ces distinctions, on pressent déjà combien le marxisme, en dépit de ses prétentions universalistes, est, en réalité, partiel, unilatéral.
N'admettant que l'action, ou ramenant tout à elle, il reste un humanisme exclusif.
Et combien d'anti-communistes, qui, aujourd'hui ne pensant qu'à l'action, à l'énergie, au rendement, à l'efficience, à la force, à la puissance, et qui ne voulant rien voir au-delà du travail producteur et de ses résultats matériels, ne se doutent guère de quel esprit ils sont. Toutes gens qui annoncent, en effet, que la civilisation à naître sera une civilisation du travail, autant dire une civilisation où le travail, la production matérielle, la puissance industrielle seront les valeurs suprêmes de la vie. Savent-ils que dans l'état actuel des esprits, et à présenter seulement les choses ainsi, la seule civilisation du travail, c'est le marxisme?
Encore et toujours, il apparaît ici comme la réalisation suprême, la «prise de conscience» de la «civilisation moderne». Sombart l'a noté, dans son «Apogée du capitalisme»: «Nous devons nous habituer peu à peu à cette idée qu'entre le capitalisme stabilisé et réglementé, et un socialisme rationalisé et UTILISANT TOUTES LES RESSOURCES DE LA TECHNIQUE, la différence n'est pas grande; de sorte que la destinée des hommes et l'avenir de leur civilisation ne subiront pas, du fait d'une organisation socialiste de l'économie, une orientation différente de celle conditionnée par une organisation capitaliste; le mode de travail reste le même dans les deux cas, et, dans les deux cas, l'ensemble de l'économie repose sur la déshumanisation».
Changer les lois de l' histoire
Reste que le marxisme a pour lui l'avantage d'une systématisation plus cohérente et plus complète. Un humanisme du travail, a-t-on dit. Pour le marxisme, en effet, l'homme n'existe qu'en tant qu'il modifie le monde par son labeur, son action. L'homme est travail et il n'existe qu'en modifiant le monde par son travail. Pour le marxisme il n'y a dans l'homme que le travailleur.
Comme Engels l'écrit dans «Anti-Dürhing», travailler «c'est humaniser le monde, supprimer les conditions du milieu primitif qui enchaînent l'humanité, c'est créer des conditions où l'homme ne soit plus assujetti aux lois primitives de l'animalité (! ?) de l'histoire; c'est accomplir l'acte libérateur du monde. Voilà la mission du prolétariat moderne.» (13).
Engendrer sans cesse une nouvelle humanité
«Dans la production, écrit Karl Marx, les hommes n'agissent pas seulement sur la nature, mais aussi les uns sur les autres» (14).
«De proche en proche, écrit M. Roger Garaudy, l'organisation politique, le statut moral et religieux des sociétés dépendent pour l'essentiel de leur mode de production» (15).
L'homme est rigoureusement déterminé par ses rapports sociaux. Il n'est qu'un rouage de la société. Et la société est déterminée, à son tour, par la production matérielle. L'homme, donc, évolue constamment au gré des forces de l'industrie.
«L'homme nouveau» marxiste change sans cesse de nature. Il n'est pas, il ne sera jamais définitif. Il SE FAIT par une révolution continue, permanente.
Le paysan de l'époque féodale, le bourgeois du XVIIe siècle, l'ouvrier des fabriques, contemporain de Marx, ne sont que des produits de leur temps, lui-même fonction des systèmes économiques et de leurs luttes.
Ce sens universel de l'homme que le clacissisme français retrouve dans l'antique Pyrrhus comme dans l’Espagnol Rodrigue, ou le bon monsieur Jourdain, bourgeois de Paris, ce sens universel de l'homme n'existe pas pour les marxistes. Ces personnages ne sont que les phases successives d'une humanité qui s'édifie elle-même par son travail.
«Toute la prétendue histoire du monde, écrit Marx (16) n'est rien d'autre que la production de l'homme par le travail humain.»
Ce que nous avons dit à propos de la «dialectique» trouve ici une rigoureuse application.
Le marxisme est un humanisme TOTAL... mais un HUMANISME INVERSÉ? Humanisme de l'action, du devenir, du mouvement pur.
«Pour lui, conclut M. Jean Daujat (17), rien n'existe que par l'action humaine. Et il ne connait rien d'autre que l'homme qui se fait lui-même par son action» (18).
3. - La «Révolution permanente»
Totalitarisme du travail et de la puissance transformatrice de l'homme, le marxisme ne propose aucune autre fin à son action que l'action même, une toujours plus grande action: la Révolution continue, la Révolution permanente.
«La notion de royaume temporel de la Foi que (Marx) tient d'Israël, écrit M. Jean de Fabrègues (19), va se trouver, par lui, à la fois déviée et retournée (proprement subvertie). Nous voici au mot de Malraux: «La Révolution joue le rôle que joua la Vie éternelle». La Révolution est explication du monde, de son mouvement, de son rythme; elle en donne le sens, le but; elle en est l'espoir et elle en sera l'achèvement... La Révolution est rédemption, elle est aussi création, NOUVELLE CRÉATION du monde... la Révolution engendre non seulement des rapports nouveaux entre les hommes, un monde nouveau, mais très exactement aussi un HOMME NOUVEAU» (20).
C'est là, peut-être, un des aspects les plus méconnus du marxisme.
Combien pensent, en effet, que le communisme est d'autant plus violent qu'il a une vue plus précise de la cité idéale, cité d'où toute injustice serait bannie, et qu'il est impatient de l'atteindre comme le terme de ses efforts.
Rien de plus anti-marxiste qu'une telle conception de la cité future.
Bien loin de présenter les choses ainsi, le marxisme, s'est défini, tout au contraire, comme «socialisme scientifique» par opposition au socialisme dit «utopique» parce qu'il tendait précisément à décrire la belle ordonnance d'une cité idéale, dont la réalisation devait faire l'objet de nos efforts.
Foi absolue dans l'histoire infaillible
Or, écrit Plekhanov (21), «les socialistes utopistes s'en tenaient au point de vue abstrait de la nature humaine et jugeaient des phénomènes sociaux selon la formule: «oui est oui, et non est non». La propriété privée, ou bien correspond ou bien ne correspond pas à la nature humaine; la famille monogamique ou bien correspond, ou bien ne correspond pas à cette nature, et ainsi de suite. Considérant la nature humaine comme immuable, les socialistes (utopistes) étaient fondés à espérer que, parmi tous les systèmes possibles d'organisation sociale, il y en avait un qui correspondait plus que tous les autres à cette nature. D'où le désir de trouver ce système le meilleur, c'est-à-dire correspondant le mieux à la nature humaine... Marx introduisit dans le socialisme la méthode dialectique, portant ainsi un coup mortel à l'utopisme. Marx n'invoque pas la nature humaine. Il ne connaît pas d'institutions sociales qui ou bien correspondent ou bien ne correspondent pas à cette dernière. Déjà dans «Misère de la philosophie», nous trouvons ce reproche significatif et caractéristique à l'adresse de Proudhon: «M. Proudhon ignore que l'histoire entière n'est pas autre chose qu'une modification constante de la nature humaine» (22).
Tous les chefs, tous les maîtres marxistes sont d'une franchise extraordinaire sur ce point.
«Le communisme, écrit Karl Marx lui-même, n'est pas pour nous un état qui doive être créé, un idéal destiné à orienter la réalité, nous appelons communisme le MOUVEMENT effectif qui supprimera la situation présente. Les conditions de ce mouvement sont données par cette situation.»
Et Engels (23): «... L'humanité ne saurait parvenir à un état parfait. Une société parfaite, un état parfait sont des choses qui ne peuvent exister que dans l'imagination; au contraire toutes les conditions historiques qui se sont succédées ne sont que des étapes transitoires dans le développement sans fin de la société humaine allant de l'inférieur au supérieur.»
Cela n'est-il pas normal?
Comme l'a fort bien dit A. Camus (24): «La dialectique appliquée correctement ne peut pas et ne doit pas s'arrêter... Un mouvement auquel on refuse un commencement ne peut avoir de fin.»
Et comme l'écrit encore M. Henri Lefèvre: «Le communisme scientifique se détermine par le mouvement tout entier de l'histoire... Le Parti, c'est l'incarnation de l'Idée révolutionnaire dans l'histoire. L'histoire ne connaît ni scrupules, ni hésitations. Inerte et infaillible, elle coule vers son but. À chaque courbe de son cours elle dépose la boue qu'elle charrie et les cadavres des noyés. L'histoire connaît son chemin. Elle ne commet pas d'erreurs. Quiconque n'a pas une foi absolue dans l'histoire n'a pas sa place dans les rangs du Parti...» (25).
Une remise en cause perpétuelle de tout
Or, qui oserait penser que l'histoire puisse suspendre un jour sa vertu dialectique, et cesse d'exiger cette remise en cause perpétuelle et révolutionnaire de tout?
«Il n'y a rien de définitif, d'absolu, de sacré devant (une telle conception), dit Engels; elle montre la caducité de toutes choses, et rien n'existe pour elle que le processus ininterrompu du devenir et du transitoire, de l'ascension sans fin de l'inférieur au supérieur, dont elle n'est elle-même que le reflet dans le cerveau pensant. Elle a, il est vrai, également un côté conservateur; elle reconnaît la justification de certaines étapes de développement de la connaissance et de la société pour leur époque et leurs conditions, mais seulement dans cette mesure. Le conservatisme de cette manière de voir est relatif, son caractère révolutionnaire est absolu - le seul absolu, d'ailleurs, qu'elle laisse prévaloir.»
Caractère absolu de ce qui est spécifiquement révolutionnaire; voilà une des notions les plus marxistes qui soient! Contre toutes les notions du sens commun la Révolution, pour un marxiste, n'a pour fin que la Révolution. Elle n'est pas un moyen ordonné à quelqu'autre chose qu'elle, un moyen de réaliser, par exemple, telle amélioration souhaitable, supprimer tel abus, après quoi on s'arrêterait (26).
Staline l'a écrit sans la moindre dissimulation (27): «Pour le réformisme la réforme est tout... Pour le révolutionnaire, au contraire, le principal c'est le travail révolutionnaire, et non la réforme. Pour lui la réforme n'est que le produit ACCESSOIRE de la Révolution. C'est pourquoi, avec la tactique révolutionnaire, dans les conditions d'existence du pouvoir bourgeois, une réforme devient naturellement un instrument de désagrégation de ce pouvoir, un instrument de renforcement de la Révolution, un point d'appui pour le DÉVELOPPEMENT CONTINU du mouvement révolutionnaire» (28).
Encore une fois, rien de plus anti-marxiste qu'une révolution conçue en vue d'atteindre un but stable, la guérison d'un mal social (29), l'ordonnance d'une certaine cité conçue à la façon d'un terme, d'une fin, d'un point d'arrêt.
Il n'est pas et il ne peut pas être d'autre but à la Révolution que la Révolution elle-même, pleinement triomphante et définitivement victorieuse. Cité révolutionnaire où la production ayant atteint des proportions énormes, la puissance technique étant devenue prodigieuse, l'action collective de l'homme pourra transformer de fond en comble ce que nous croyons être encore les constantes de l'ordre humain ou de la nature humaine. Toute résistance, tout frottement, toute inertie paralysante ayant été supprimés, la vitesse du moteur, dont nous parlions plus haut, passera comme à l'infini, bien loin de tendre à s'arrêter (30).
Reste que cette super-vitesse, ce caractère superrévolutionnaire de la cité de l'avenir ne sauraient faire figure de fin véritable.
Au reste pour illustrer cet aspect si mal vu du marxisme, recopions un passage du livre «Hitler m'a dit», de Hermann Rauschnig (l3): «Je lui fis remarquer qu'on arrivait ainsi au bolchevisme et au communisme (32) comme en Russie.
« - Mais non, mais non, répondit Hitler, vous êtes victime d'un vieux sophisme dont il faut vous débarrasser. Ce qui reste du marxisme, c'est la volonté de construction révolutionnaire, qui n'a plus besoin de s'appuyer sur des béquilles idéologiques et qui se forge un instrument de puissance implacable pour s'imposer aux masses populaires et au monde entier. D'une téléologie à base scientifique, il sort ainsi un vrai mouvement révolutionnaire, pourvu de tous les moyens nécessaires à la conquête du pouvoir.
« - Et le but de cette volonté révolutionnaire?
- Il n'y a pas de but précis. Rien qui soit fixe ne fois pour toutes. Avez-vous tant de peine à comprendre cela? «Je répondais qu'en effet j'étais un peu déconcerté par ces perspectives insolites.
« - Nous sommes UN MOUVEMENT, VOILA LE MOT QUI DIT TOUT... Nous savons qu'il n'y a pas d'état définitif; qu'il n'y a rien de durable, qu'il n'y a qu'une évolution perpétuelle. Ce qui ne se transforme pas, c'est ce qui est mort. Le présent est déjà passé. Mais l'avenir est le fleuve inépuisable des possibilités infinies d'une création toujours nouvelle» (33).
Il est facile de voir combien ces propos sont aussi marxistes qu'hitlériens.
Le marxisme est un «socialisme dialectique»
«Le communisme, écrivait Karl Marx, est une phase réelle de l'émancipation et de la renaissance humaine, phase nécessaire pour l'évolution historique prochaine. Le communisme est la forme nécessaire et le principe énergique de l'avenir prochain. Mais le communisme n'est pas, en tant que tel, la fin de l'évolution humaine...» (34).
Encore une fois, le marxisme ne conçoit et ne sait voir que des forces, des mouvements. Il n'est donc pas d'erreur plus grossière à son endroit (erreur commune cependant!) que de croire qu'il s'est donné pour but un certain mode d'organisation sociale qui, une fois atteint, rendrait inutile, par sa perfection même, l'action révolutionnaire, et permettrait, dès lors, une sorte de repos, de calme, sinon d'arrêt.
C'est là l'idéal du socialisme utopique. Le marxisme lui, est un SOCIALISME DIALECTIQUE. Pour lui la Révolution ne saurait être que permanente, continue.
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Notes:
(1) Principes fondamentaux de philosophie, p. 243. Édit. Sociales, Paris.
(2) Matérialisme dialectique et matérialisme historique, p. 10, citation faite par Politzer.
(3) «Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire», dira même Lénine, dans Que Faire? p. 26.
(4) F. Engels, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique (nouvelle édit., 1945, Édit. Sociales, Paris, p. 17). On remarquera que Engels critique ce matérialisme «mécaniste» du XVIIIe siècle en termes dialectiques. Les connaissances scientifiques de l'époque, fruit de l'évolution économique de la société, l'auraient déterminé, comme le libéralisme industriel du XIxe siècle déterminait le matérialisme de Marx.
(5) Opus cit. p. 248. Cf. Engels, Études philosophiques, p. 28: «Notre conscience et notre pensée, si transcendantes qu'elles nous paraissent, ne sont que le produit d'un organe matériel, corporel, le cerveau.» Cf. Lénine, Cahiers philosophiques: «Les concepts sont les produits les plus élevés du cerveau qui est lui-même le produit le plus élevé de la matière.»
Cf. Staline, Matérialisme dialectique et matérialisme historique, p. 10-11: «La pensée est un produit de la matière, quand celle-ci atteint dans son développement un haut degré de perfection; plus précisément la pensée est un produit du cerveau.»
(6) On voit par là la différence d'optique: car le chrétien aussi croit à la force des idées, mais il mesure la qualité de cette force à la vérité de ces idées, à leur sainteté, etc. Toutes choses qui n'ont pas de sens pour un marxiste.
(7) Critique de la philosophie du droit de Hegel, Œuvres philosophiques, t. I, p. 96, Édit. Costes, 1927.
(8) Cf. Staline: Le matérialisme dialectique et le matérialisme historique, p. 19, Édit. Sociales, Paris, 1945.
(9) Morceaux choisis, p. 229.
(10) L'Éducation, n̊ 3, mars 1913. «Marx a cela de génial qu'il a répondu aux questions que l'humanité avancée avait déjà soulevées. Sa doctrine naquit comme la continuation directe et immédiate des doctrines des représentants les plus éminents de la philosophie, de l'économie politique et du socialisme.» (Ibid.)
(11) Opus. cit.
(12) Marc Chadourne; L'U.R.S.S. sans passion (cité par L. de Poncins, 1942, Édit. Beauchesnes, Paris, L'énigme communiste.)
(13) Dans la doctrine catholique tous les êtres humains possèdent une même nature: la nature humaine, quelles que soient les conditions sociales dans lesquelles ils vivent (cf. Verbe, nos 107 et suivants, Introduction à la politique).
Le marxisme, au contraire, nie que l'homme conserve une nature humaine permanente. Il transforme sans cesse sa nature par le travail et l'action. Il est l'agent d'une révolution continuelle et radicale du monde et de lui-même. Il n'y a donc aucun point commun entre la conception chrétienne de la vie sociale et «l'humanisme du travail» tel que le marxisme le conçoit.
(14) Cité par M. Roger Garaudy: Le matérialisme historique, p. 17, Edit. Sociales, 1946.
(15) R. Garaudy, opus. cit. M. Garaudy est un auteur marxiste contemporain, agrégé de l'Université.
(16) Economie politique et Philosophie, Œuvres complètes, t. VI, p. 38-40.
(17) Opus. cit., p. 19 et 20.
(18) Pour la doctrine catholique le travail n'est pas imposé à l'homme afin qu'il transforme sa nature. Il est un moyen de continuer la Création, d'assurer sa vie et celle de sa famille, de faire son salut. La production matérielle n'a de sens que pour le service des personnes humaines, créées à l'image de Dieu. De même, la société, disait Pie XII, est faite pour l'homme et non l'homme pour la société».
(19) La Révolution ou la Foi, p. 65, Desclées, édit., 1957.
(20) «Entre la Foi et cette notion de la RÉVOLUTION ABSOLUE, poursuit M. de Fabrègues, il n'y a ni compromission, ni composition possibles: elles s'excluent puisqu'elles sont toutes les deux des explications du monde et DES RE-CRÉATIONS DE L'HOMME et qui s'opposent diamétralement.»
(21) Les questions fondamentales du marxisme, p. 106 et 107.
(22) Cf. ce jugement de M. Henri Lefèvre: «Saint-Simon, Fourier, Louis Blanc, Proudhon... restaient des utopistes, construisant imaginairement une société idéale.» (Le Marxisme, Bordas, édit.)
(23) Ludwig Feuerbach, p. 10. Bureau d'éditions, 1936.
(24) L'Homme révolté, p. 276. N.R.F., 1951.
(25) Le Marxisme, Bordas, édit., Paris.
(26) Pie XII, avec son admirable clarté de pensée, montrait l'opposition radicale d'une telle Révolution avec les données de la raison et de la foi. «Et comment, écrivait-il, la gloire du Créateur et Restaurateur de toutes choses pourrait-elle resplendir dans un monde qui serait fondé nécessairement sur les contradictions et les disharmonies?...
«Il est donc vain d'attendre la perfection et l'ordre du monde d'un certain processus immanent, dont l'homme resterait le spectateur étranger, comme l'affirment certains. Cet obscur immanentisme est un retour à l'antique superstition qui déifiait la nature; et elle ne peut s'appuyer comme on le prétend, sur l'histoire, sinon en falsifiant artificiellement l'explication des faits. L'histoire de l'humanité dans le monde est bien autre chose qu'un processus de forces aveugles; elle est un événement admirable et vital de l'histoire même du Verbe divin; elle a pris son départ en Lui et s'accomplira par Lui au jour de l'universel retour au premier principe, quand le Verbe incarné offrira au Père, comme témoignage de sa gloire, sa propriété rachetée et illuminée par l'Esprit de Dieu.» (Pie XII, Aux peuples du monde entier à l'occasion de Noël, 22 décembre 1957.)
(27) Des principes du léninisme, p. 100.
(28) Cf. Lénine, repoussant lui aussi cette perspective d'une action prétendue révolutionnaire qui aurait pour but réel l'obtention d'avantages matériels, d'une amélioration sociale:
«En fait, écrivait-il, seul l'ouvrier arriéré s'en tient à la lutte économique (entendez: la lutte pour une simple amélioration de son état). L'ouvrier révolutionnaire repoussera avec indignation tous les raisonnements sur la lutte pour les revendications permettant des résultats tangibles... car il comprendra que ce ne sont que des variations sur la vieille chanson du kopeck d'augmentation par rouble.» - Œuvres complètes, t. IV, p. 476-477, et encore: «Pas un socialiste («scientifique») ne s'est avisé de «promettre» l'avènement de la phase supérieure du communisme; s'ils la prévoient, c'est qu'ils supposent une toute autre productivité du travail que celle d'aujourd'hui...» (P.B.L. 7, p. 108-109.)
(29) Cf. Lénine: «... Enfin, presque tous les socialistes d'alors et en général les amis de la classe ouvrière ne voyaient dans le prolétariat qu'une plaie; ils voyaient avec effroi cette plaie grandir à mesure que se développait l'industrie. Aussi cherchaient-ils tous les moyens d'arrêter le développement de l'industrie et du prolétariat. Marx et Engels mettaient au contraire tout leur espoir dans la croissance continue de ce dernier. Plus il y a de prolétaires, plus grande est leur force en tant que classe révolutionnaire, plus le socialisme est proche et possible.» Karl Marx et sa doctrine, p. 42, Édit. Sociales, Paris.
Que penser dès lors de ceux qui, parmi nous, vont claironnant que ce qu'il faut quand même admirer, dans le mouvement communiste, c'est qu'il a eu pitié du prolétariat et que son mouvement de révolte est né en voyant l'excès de sa misère? Bien loin de songer, au contraire, à guérir cette plaie du prolétariat, le marxisme la cultive et s'en sert.
(30) «C'est le rôle des hommes de mobiliser, d'organiser les forces déjà existantes, pour améliorer le rythme de la nécessaire évolution et des nécessaires révolutions. (Le matérialisme historique leur demande)... d'accélérer le rythme des nécessaires transformations.» Roger Garaudy, Le matérialisme historique, Les lois de l'histoire, p. 23, fasc. IV, «Cours de l'Université nouvelle », Edit. Sociales, Paris, 1946.
(31) p. 212. Paris, 1939.
(32) Et le fait est que l'observation est pertinente. S'il est petit-neveu du dynamisme germanique de Fichte, l'hitlérisme est, comme le marxisme, éminemment hégélien. Le R.P. Riquet le faisait remarquer dans ses prédications de Carême sur Le chrétien face au pouvoir.
Il citait un passage significatif de Mein Kampf: «Le combat est toujours le moyen de développer la santé et la force de résistance de l'espèce et par suite, la, condition préalable de ses progrès», écrivait Hitler. «Dans cette lutte incessante pour la vie et la maîtrise, le vainqueur, prédestiné par la pureté et les qualités de son sang, c'est l'Aryen - «le Prométhée de l'humanité». Il doit ses succès à un double fait dans la droite ligne de la DIALECTIQUE du Maître et de l'Esclave. D'abord «la capacité qu'il possède de se sacrifier pour la communauté, pour ses semblables»... C'est à cette disposition d'esprit intime que l'Aryen doit sa situation dans le monde et que le monde doit d'avoir des hommes; car elle seule a tiré DE L'IDÉE PURE la FORCE CRÉATRICE qui, en associant par une union unique en son genre, la force brutale du poing à l'intelligence du génie, a créé les monuments de la civilisation humaine». Mais une seconde condition apparaît non moins indispensable... «Ce ne fut pas par hasard que les premières civilisations naquirent là où l'Aryen rencontra des peuples inférieurs, LES SUBJUGUA et les SOUMIT à sa volonté. Ils furent le premier INSTRUMENT TECHNIQUE au service d'une civilisation...» (Adolph Hitler, Mein Kampf, 1924, traduction J. Gaudefroy, Demonbynes et A. Calmettes, Paris, 1934; p. 285 et 296-298. Cité par le R.P. Riquet, Le chrétien face au pouvoir, 1. Le maître et l'esclave, p. 12, Spes, Paris, 6 mars 1949.)
(33) Toujours l'idéal d'une évolution, d'une révolution continue, permanente! Cf. tel passage d'un discours de Mustapha Kémal, qui montre, lui aussi, à quel point cette notion a conquis des esprits qu'on ne penserait peut-être pas taxer de marxisme: «Les révolutions, disait le dictateur turc, doivent être fondées « dans le sang. Une révolution qui n'est pas fondée dans le sang ne sera jamais PERMANENTE...» Discours devant la grande assemblée nationale d'Ankara, le 8 août 1926.
(34) Morceaux choisis, p. 228.